À Chicago comme dans tous les États-Unis, une foule immense exprime son ras-le-bol de Trump

mercredi 29 octobre 2025.
 

À l’appel de la coalition « No Kings » (« Pas de rois »), des millions d’Américains ont défilé samedi 18 octobre dans tout le pays pour protester contre l’autoritarisme de Donald Trump. À Chicago, le rassemblement a été massif dans une ville où le président états-unien tente de déployer l’armée.

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Donald Trump a voulu les dépeindre en ennemis de l’Amérique et en terroristes. Samedi 18 octobre, à Chicago, ville au cœur du Midwest qu’il a qualifiée d’« enfer sur terre » pour justifier l’envoi de la garde nationale et déclencher une chasse aux migrant·es, une foule immense lui a répondu de la manière la plus retentissante possible.

Environ 250 000 personnes, selon les organisateurs, se sont rassemblées de manière pacifique – et joyeuse aussi malgré la gravité du moment – avec beaucoup de bruit, musique et slogans. Et en lançant une nouvelle fois « Bas les pattes ! » (« Hands off ! ») au président états-unien.

Cynthia Cortez, 27 ans, est venue avec ses parents. Sa mère s’est déguisée en licorne. La mode de se travestir et de revêtir des costumes gonflables est partie de Portland, autre ville démocrate, située sur la côte Ouest, également dans le viseur de Donald Trump. Il s’agit de se moquer des affirmations de ce dernier, selon lequel la ville est une zone de guerre.

Beaucoup de manifestant·es ont suivi cette pratique marquée par la dérision et l’ironie. Sur le site de vente par correspondance Amazon, les costumes sont désormais épuisés. Même si l’on approche de la fête de Halloween, pour laquelle il est habituel de s’accoutrer, la politique joue sûrement un rôle non négligeable dans cette pénurie. Samedi, dans le cortège, on pouvait ainsi voir toutes sortes de créatures, depuis les dragons jusqu’aux dinosaures, en passant par l’ogre vert Shrek. Sans oublier les poulets. Et, bien sûr, les grenouilles, par lesquelles tout a commencé.

Parmi les cibles de la multitude de pancartes et banderoles – un concours d’ingéniosité –, on trouve bien entendu le président états-unien, mais aussi certains de ses affidés comme son conseiller à la sécurité intérieure, Stephen Miller, ou Kristi Noem, la responsable de ce même département. Une agence dont Kristi Noem a la charge est également conspuée : ICE, la police de l’immigration.

Solidarité avec les migrants pourchassés Ses agent·es masqué·es, qui circulent dans les rues à bord de véhicules banalisés, sont à la fois craint·es et détesté·es par une grande partie de la population. En cause : leurs méthodes brutales, leurs raids dans les quartiers et leurs rafles de migrant·es, la plupart appartenant à la communauté latino, depuis plus d’un mois dans le cadre de l’opération « Midway Blitz ».

Officiellement, il s’agit d’expulser de dangereux criminels, mais les victimes sont surtout des travailleuses et travailleurs qui vivent aux États-Unis depuis des années et se retrouvent séparé·es de leur famille. Un père de famille a été tué par balles au cours d’une des opérations de cette police. Il venait d’accompagner ses enfants à l’école et a été accusé d’avoir voulu écraser des membres d’ICE avec sa voiture. Cette version officielle est cependant remise en cause par les enquêtes de plusieurs médias.

Toute cette situation inquiète Cynthia qui est arrivée avec ses parents bien avant le début du meeting, prévu à midi, en provenance de la banlieue ouest. Dans le vaste parc situé au bord du lac Michigan et près du centre historique où doit se tenir le rassemblement, son père brandit un imposant drapeau mexicain. Sa mère déguisée se laisse prendre en photo, une pancarte à la main sur laquelle est inscrit : « Nous avons besoin d’arcs-en-ciel, pas de raids. » Sur celle de Cynthia, on peut lire : « Je manifeste pour ceux qui fuient apeurés. »

« Je suis une migrante de deuxième génération, explique la jeune entrepreneuse. Je ressens tout ce qui se passe au plus profond de mon âme. Cela peut arriver à n’importe qui d’entre nous, beaucoup d’entre nous sont issus de l’immigration. Nous sommes tous ici pour protéger quelqu’un. Cela pourrait être nos cousins, notre sœur, notre père qui ne rentrent pas du travail. Je veux qu’ils sachent que nous sommes là pour les protéger. Ce qu’ils font n’est pas juste. »

Elle se mobilise pour celles et ceux qui, de peur d’être embarqué·es par ICE, n’osent plus sortir de leur maison. Il y a deux semaines, elle a organisé un événement pour récolter des dons alimentaires, qu’elle a ensuite distribués. Un réseau de solidarité bien utile dans ces périodes sombres. « Je sais que les gens ont peur de sortir de chez eux, indique-t-elle. Les gens ne font pas leurs courses. Les enfants ne vont pas à l’école. C’est donc ce que je fais. Les gens ont du pouvoir, une seule personne peut changer beaucoup de vies. »

Elle aimerait tout simplement que Donald Trump laisse Chicago tranquille : « Tout va bien ici. Laissez les gens travailler. Laissez-les faire leur travail. »

Rappel des batailles pour les droits civiques C’est le sens de l’intervention des deux élus démocrates les plus exposés en ce moment, le maire de Chicago, Brandon Johnson, et le gouverneur de l’État d’Illinois, J. B. (Jay Robert) Pritzker. Tous deux ont été acclamés par la foule qui a ainsi salué leur résistance aux tentatives du pouvoir fédéral d’imposer sa loi – en tout cas, celle de Trump qui s’est défendu cette semaine sur Fox News d’être un « roi ».

« Nous ne nous rendrons jamais ! », a lancé le gouverneur, qui a dénoncé le fait que des « personnes noires et latinos sont prises pour cibles en raison de la couleur de leur peau ». « Aujourd’hui, a-t-il poursuivi, nous sommes ici pour dire d’une seule voix qu’il existe une menace existentielle pour notre république constitutionnelle. Il ne s’agit pas d’un choix politique. Il s’agit d’un impératif moral. »

« Ce que Trump n’avait pas prévu, a poursuivi J. B. Pritzker, c’est que Chicago se mobiliserait pour défendre la liberté, les droits individuels et les valeurs américaines, parce que nous aimons l’Amérique. » La foule a alors scandé des « USA ! USA ! ».

La tentative de diviser et de conquérir cette nation ne prévaudra pas.

Brandon Johnson, maire de Chicago

Alors que, pendant toute la semaine, des dirigeants républicains comme Mike Johnson, le président de la Chambre des représentants, avaient dénoncé les rassemblements de samedi comme des démonstrations de haine contre les États-Unis, J. B. Pritzker a répondu que « la résistance pacifique et démocratique fait toujours peur aux autoritaires. […] Trump panique face à la montée de la contestation publique à l’égard de son programme en général ».

Le gouverneur a rappelé que, dans le passé, Chicago avait refusé d’appliquer la loi de 1850 obligeant à expulser vers les États du sud du pays les esclaves qui avaient fui. Puis a conclu par un tonitruant : « Donald Trump, reste loin de Chicago ! »

Le maire noir de la ville, Brandon Johnson, a lui aussi galvanisé l’auditoire en dénonçant la volonté de l’administration Trump de revenir sur toute une série de conquêtes en matière de droits civiques. « Ils veulent se venger de la guerre civile [dite de Sécession – ndlr], a-t-il affirmé. Mais nous sommes ici pour rester fermes, pour rester engagés – nous ne céderons pas. Nous ne nous laisserons pas intimider. La tentative de diviser et de conquérir cette nation ne prévaudra pas, car lorsque le peuple est uni, la justice prévaut toujours. »

Pour rappeler l’importance de la bataille en faveur de la démocratie états-unienne, qui s’apprête à fêter ses 250 ans l’année prochaine, une réplique géante du préambule de la Constitution avec le célèbre début « We The People » (« Nous le peuple ») a été déployée dans un coin du parc. Les manifestant·es « peuvent y apposer leur signature », explique Dune, une des membres du collectif à l’origine du projet Backbone. C’est une façon de défendre leurs convictions et de dire : “Nous voulons que vous respectiez la Constitution de ce pays.” »

Un ingénieur informatique de 39 ans, qui ne souhaite pas donner son nom et a déménagé à Chicago il y a peu en provenance du Texas, s’inquiète du « fascisme » qui s’est installé aux États-Unis et des attaques contre « les étrangers, les immigrants, les personnes queers et transgenres ». Tout en espérant un sursaut du Parti républicain, pourtant largement colonisé par le mouvement Maga. « J’espère vraiment que les républicains vont enfin se montrer courageux et défendre les valeurs auxquelles ils disent croire lorsqu’ils parlent de l’État de droit. Et qu’ils vont destituer le condamné [Donald Trump – ndlr] qu’ils ont mis au pouvoir et le renvoyer. »

Un rassemblement massif mais symbolique

C’est sûrement le souhait de nombre de participant·es au rassemblement de Chicago, mais aussi de celles et ceux qui ont pris part aux plus de 2 500 autres prévus dans tout le pays. Il s’agit de la seconde édition du mouvement « No Kings » après celle du 14 juin, le jour où le président états-unien organisait un défilé militaire à Washington et fêtait son anniversaire.

Après le meeting, les protestataires ont continué à marcher dans les rues du « Loop », le centre historique de la ville, en lançant des « Il est temps que Trump s’en aille » et des « À qui est la rue ? À nous ».

Debout sur une balustrade, en surplomb, Jackie Birov, une trentenaire d’origine ukrainienne, est déguisée en statue de la Liberté. En compagnie d’ami·es, elle appelle celles et ceux qui défilent à venir les rejoindre au centre de détention des migrant·es d’ICE à Broadview, dans la banlieue de Chicago.

Ce lieu, dit-elle, représente « toute la terreur que ICE peut infliger ». « Plus nous serons nombreux, plus nous pourrons réellement entraver leurs opérations plutôt que de nous contenter d’un geste symbolique », poursuit-elle, regrettant que la police de l’État d’Illinois, sous le commandement de J. B. Pritzker, réprime les manifestations là-bas, protégeant de fait la police de l’immigration.

Elle y a d’ailleurs été brièvement interpellée la veille. « L’Amérique existe grâce aux immigrants, souligne-t-elle. Mais j’ai l’impression que la statue de la Liberté n’est plus représentative de ce qui se passe en Amérique et je veux montrer cette ironie aux gens. Et le fait d’être arrêtée dans ce costume était encore plus symbolique, évidemment. »

À Chicago comme ailleurs, les défilés de samedi marquent l’une des plus importantes mobilisations du second mandat de Donald Trump seulement neuf mois après son retour à la Maison-Blanche. Une manière de montrer que la peur qu’il tente d’instiller est moins forte que la détermination de celles et ceux qui refusent son pouvoir personnel à un an des élections de mi-mandat.

François Bougon


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