À Pau, l’Immaculée-Conception a embauché un militant de l’Action française comme prof d’histoire

dimanche 26 octobre 2025.
 

Le groupe scolaire catholique et privé sous contrat a recruté le numéro deux du mouvement royaliste en Aquitaine, et ce dans le dos du rectorat de l’académie de Bordeaux. L’établissement a déjà fait l’objet d’une inspection générale en 2024 pour de graves dérives réactionnaires.

https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251016-175041&M_BT=1489664863989

Crier « Vive le roi », être farouchement antirépublicain, militer ouvertement au sein d’un groupuscule d’extrême droite et enseigner l’histoire de France ? Pas de problème, pour le collège de l’Immaculée-Conception, à Pau (Pyrénées-Atlantiques).

Ce groupe scolaire (école, collège, lycée) catholique sous contrat, installé dans la ville de François Bayrou, a pourtant déjà fait l’objet d’une inspection générale en juin 2024, qui a conclu à de graves entorses aux valeurs de la République et à la laïcité. Ce rapport d’inspection, que Mediapart avait révélé, faisait suite à plusieurs enquêtes accablantes publiées dans Libération et la La République des Pyrénées.

Le directeur de l’établissement, Christian Espeso, est lui-même sous la menace d’une mesure de suspension par le ministère de l’éducation nationale, annulée depuis par le tribunal administratif – le ministère a fait appel de la décision.

Cette épée de Damoclès n’a pas empêché Christian Espeso de recruter, à la rentrée scolaire 2025, le jeune Bastien B., numéro deux de l’organisation royaliste Action française en Aquitaine, pour enseigner l’histoire-géographie à des classes de collège, dont les quatrièmes, qui ont la Révolution française au programme. Selon les informations de Mediapart, l’homme était bien indiqué jusqu’à fin septembre comme « enseignant » de cette matière dans l’espace numérique de travail du collège.

« Il nous a été présenté le jour de la prérentrée scolaire, par M. Espeso lui-même, comme un professeur qui arrivait d’un établissement hors contrat, confirme un enseignant de l’Immaculée-Conception. Il avait la moitié de son emploi du temps comme professeur d’histoire-géo, et la deuxième moitié comme surveillant, ce qui arrive parfois chez nous. »

Plus étonnant encore, le rectorat de Bordeaux n’a jamais validé ce recrutement ni établi de contrat de travail, ce qui est normalement la règle pour l’embauche d’un professeur vacataire dans l’enseignement privé sous contrat. Officiellement car « il ne disposait pas des diplômes nécessaires ».

L’Immaculée-Conception a pourtant insisté plusieurs fois pour avoir gain de cause : l’établissement catholique a sollicité une première fois le rectorat sur ce recrutement le 30 septembre, et s’est vu opposer un premier refus le 10 octobre, un jour après que l’académie a reçu nos questions, et donc les informations sur le pedigree militant du candidat.

Le collège est cependant revenu à la charge et a demandé s’il pouvait financer cet enseignant d’histoire-géographie sur ses « fonds propres ». Le rectorat a redit son refus, « au motif qu’un enseignement prévu dans le contrat d’association ne pouvait être assuré par un enseignant rémunéré sur ressources propres », explique le service de presse du rectorat de Bordeaux. Le collège privé de Pau n’a répondu à aucune des questions de Mediapart sur ce passage en force manifeste.

L’Action française en soutien du directeur

D’après nos informations, Bastien B. est toujours en poste au collège mais désormais uniquement comme surveillant. Joint par SMS, le militant assure « qu’un engagement, quel qu’il soit, est sans rapport avec l’enseignement d’une discipline. On peut transmettre des connaissances avec conscience professionnelle et neutralité ». Puis il explique n’être pas « actuellement » enseignant dans l’établissement, mais y officier comme « conseiller d’éducation ». « Je vous apprends aussi que le rectorat ne s’occupe pas des recrutements pour l’enseignement sous contrat, et pas davantage pour les personnels éducatifs », affirme par ailleurs le jeune homme, ce qui est faux.

« Il a enseigné jusqu’au début de la semaine [du 13 octobre – ndlr], j’ai appris qu’on lui avait demandé ensuite de sortir de classe, précise l’un de ses collègues. Officiellement, on ne sait pas pourquoi. »

L’Action française, mouvement royaliste, antirépublicain et chrétien fondé par la figure majeure de l’extrême droite Charles Maurras, est régulièrement mise en cause ou condamnée pour les actions violentes, racistes ou anti-avortement de ses militant·es. Dans une vidéo, Bastien B. proclame cependant qu’elle est « partout chez elle en France ». Le groupuscule a également farouchement soutenu Christian Espeso, manifestant et collant ses stickers dans les rues de Pau lorsque ce dernier a été suspendu pendant trois ans par le ministère de l’éducation nationale pour atteinte à la laïcité.

« Dans cet établissement huppé, on fait la queue pour venir travailler, pourquoi est-ce que la direction choisit ce profil-là en particulier ?, s’interroge un personnel éducatif. On a le sentiment d’une véritable pépinière d’extrême droite, le tout financé par l’argent public, c’est quand même très problématique. »

« On est en plein dans une forme de déloyauté du directeur de l’Immaculée-Conception, s’indigne de son côté Franck Pécot, secrétaire général du Snep-Unsa, syndicat des enseignants du privé. Il installe un personnel qui n’a manifestement rien à faire là. Mais il y a aussi clairement un problème de contrôle du rectorat, qui semble être au bout de ses moyens d’action. Le ventre est mou, Christian Espeso se sent comme le roi du pétrole, et il s’y enfonce. »

Le rectorat a affirmé jeudi 16 octobre qu’il allait saisir la direction de l’Immaculée-Conception pour s’assurer que Bastien B. « n’est pas en position d’enseignement », mais n’a pas répondu, à l’heure où Mediapart publie cet article, sur son rôle possible comme surveillant.

Depuis des mois, la presse locale et nationale pointe les multiples dérives de cet établissement et de son directeur, autoritaire et adepte d’une vision radicale de l’enseignement catholique. Cours de catéchisme obligatoires, intervenants réactionnaires, entraves à la liberté de conscience… : le contrôle déclenché en mars 2024, mené par pas moins de douze inspecteurs, a également montré comment cet établissement de 2 600 élèves, composé d’une école maternelle, d’un collège, d’un lycée général et de trois lycées professionnels, s’affranchit des règles et des programmes scolaires.

C’est comme si tout était permis, ici.

Un professeur de l’Immaculée-Conception

Plus grave encore, une inspection menée en 2021 avait déjà mis au jour de graves dérives, dont certaines n’ont jamais cessé. À l’époque, dix-neuf signalements pour atteintes à la laïcité avaient été remontés par des professeurs. Le contrat d’association de l’Immaculée-Conception, qui lui permet de bénéficier de l’intégralité du financement de ses postes de professeurs, mais également d’être subventionné par les collectivités locales (département, région et ville de Pau), n’a lui non plus jamais été remis en question.

« C’est comme si tout était permis ici, explique le professeur cité précédemment*. Nous avons un collègue qui a été inspecté il y a trois semaines sur sa matière, il en a profité pour parler de sa souffrance à l’inspecteur. Celui-ci a estimé que ça ne le regardait pas. On se sent complètement abandonnés. »

Mathilde Goanec


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