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L’annonce de la non-censure du gouvernement par le groupe socialiste a créé une scission à gauche, mais aussi des remous en interne dans le parti. Coups de fil, échanges tendus, cas de conscience et interpellations sur les réseaux sociaux : tout a été fait pour convaincre les députés PS de désobéir.
Depuis l’annonce de la non-censure de Sébastien Lecornu par le groupe socialiste, mardi 14 octobre, deux attitudes s’opposent parmi ses député·es. Il y a celles et ceux qui revendiquent fièrement « l’une des plus grandes victoires du mouvement social depuis le CPE [contrat première embauche – ndlr] », comme le président du groupe à l’Assemblée nationale Boris Vallaud, à propos de la suspension de la réforme des retraites. « On a remis à l’agenda politique des questions de gauche, et maintenant nous avons soixante-dix jours de discussions budgétaires pour mener la bataille culturelle », affirme aussi la députée Ayda Hadizadeh.
Et puis il y a les autres, plus discrets et discrètes, qui multiplient les échanges avec des collègues de gauche, consultent des oracles extérieurs, demandent l’avis d’anciens « frondeurs » sous la période de François Hollande... Ces « hésitant·es » ne sont pas totalement convaincu·es de la position adoptée, voire la critiquent ouvertement, en dépit du coût à payer et du risque de rupture de ban. Des huit député·es socialistes qui avaient désobéi à la ligne du groupe pour censurer François Bayrou en janvier, il n’en reste plus qu’un à annoncer déjà qu’il réitérera : Paul Christophle. « Le compte n’y est pas. Jeudi, je censure », a-t-il affirmé sur le réseau social X.
Son post a été abondamment relayé par des membres de l’aile gauche du Parti socialiste (PS), mais aussi par des partenaires écologistes, communistes et insoumis – ces trois formations ont décidé de censurer le gouvernement jeudi matin, et connaîtront peu de dissidences. « Cela n’abîme ni la discipline ni le groupe qu’il y ait des voix différentes [sur la censure], d’ailleurs chez Les Écologistes ou chez Les Républicains il y en a aussi », explique Paul Christophle. Mais son message a aussi été commenté âprement : « Tu quittes le PS ? », a demandé publiquement la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie, membre de l’aile droite du parti.
Ce raidissement interne au PS explique le peu d’emphase des député·es qui doutent. Pierrick Courbon, membre de l’aile gauche, en fait partie. S’il avait appelé, dans un communiqué de son courant « Avenir socialiste », à censurer Sébastien Lecornu avant sa déclaration de politique générale, il n’avait pas encore arrêté sa décision mercredi soir. « C’est épuisant psychologiquement d’être contraint de chercher la moins mauvaise décision », confie-t-il à Mediapart, en soulignant qu’« à la différence de la censure de Bayrou en janvier dernier, on a un gain politique attendu et salué par le mouvement social ».
Le député a fait appel à Benoît Hamon pour tenter d’y voir plus clair. « Il a confirmé mes tourments », sourit-il. « Si tu penses que prolonger l’espérance de vie du macronisme n’est pas possible, vote la censure. Si tu penses que c’est un moindre mal, ne la vote pas », lui a dit en substance l’ancien candidat socialiste à la présidentielle de 2017 et ancien « frondeur » sous François Hollande. La pression est amicale. D’autres l’ont moins été ces vingt-quatre dernières heures.
La veille au soir de la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu, sentant venir le choix de la non-censure, la députée écologiste Sandrine Rousseau a tenté de convaincre par téléphone Olivier Faure pendant une heure. En vain. « Je veux croire ce soir qu’il n’y a pas “les socialistes” mais “des socialistes” qui chacun, chacune, prendront leur décision en conscience », a-t-elle réagi après l’annonce du choix de son groupe par Boris Vallaud.
« C’est une erreur historique dont le coût sera absolument terrible pour la démocratie, explique encore la députée à Mediapart. Macron cherche depuis 2022 à casser l’union de la gauche et à rallier le PS au camp macroniste, et c’est le cadeau qu’ils lui font en maintenant Lecornu au pouvoir. Les syndicats, les associations, toute la société civile organisée nous avaient soutenus en 2024. Qui sont-ils pour décider de rompre ça ? »
Quand le communiqué du bureau national du PS a été rendu public mardi, confirmant l’hypothèse d’un échange de bons procédés entre les socialistes et Sébastien Lecornu pour éviter la censure, le député écologiste Charles Fournier s’est adressé franchement au socialiste Laurent Baumel, à la buvette de l’Assemblée nationale. « On s’entend bien, mais il y a eu un accrochage parce qu’ils ne sont pas hyper à l’aise avec leur décision. Leur niveau d’exigence au départ, c’était la taxe Zucman, une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG) et l’abrogation de la réforme des retraites. Finalement, la seule suspension de la réforme des retraites aura suffi », relate l’écologiste, voisin de circonscription de Laurent Baumel en Indre-et-Loire.
Arsène Dehec, secrétaire de section PS à Cognac
Rapidement, la pression a débordé la sphère de l’Assemblée. Depuis que la décision des socialistes a été rendue publique, il y a des citoyen·nes pour se satisfaire d’une victoire sur les retraites. Mais il y a aussi des sympathisant·es de gauche voire des militant·es socialistes qui s’arrachent les cheveux en voyant la caution ainsi apportée à un pouvoir honni. « Dans les semaines qui viennent, chaque décision de ce gouvernement de droite, sur le plan social, économique ou écologique, chaque décision raciste, on pourra se dire “c’est grâce au PS”. Merci à eux », a écrit dans un post Instagram la militante féministe Caroline de Haas, qui s’était engagée à corps perdu dans la campagne du Nouveau Front populaire (NFP).
Une campagne est aussi menée par des socialistes de l’aile gauche pour interpeller leur camp, sur les réseaux sociaux et par mails adressés aux député·es. Arsène Dehec, secrétaire de section PS à Cognac (Charente), a d’abord dit sa « honte » sur X mardi. Depuis, il multiplie les posts avec le hashtag #SocialisteJeCensure, des visuels sans équivoque et des mentions au groupe socialiste. « Vingt-quatre députés à convaincre, c’est considérable, mais il y a des cartes à jouer », assure-t-il.
« Il y a la pression en interne et la pression des partenaires. Dans un contexte d’élections municipales en mars 2026 qui nous poussent à maintenir des liens avec nos alliés locaux, nous faisons moins consensus. Notre position s’est désaxée : on est plus centristes que centraux. Les militants sont désarmés », explique encore Arsène Dehec à Mediapart, espérant encore convaincre un nombre suffisant de député·es socialistes de censurer Sébastien Lecornu jeudi.
Certains menacent même de rendre leur carte, à l’instar de Lubin Dargère, 19 ans, secrétaire de section à Roanne (Loire) que Mediapart avait rencontré à l’université d’été du PS. « Je suis plein d’interrogations sur ma place au PS. Je me demande si un cycle politique n’est pas terminé. On a adhéré avec l’espoir de l’union de la gauche, mais aujourd’hui c’est la ligne de Place publique qui l’a emporté, une ligne sociale-démocrate qui rejette LFI et espère récupérer la Macronie. En cas de dissolution, quelle place prendrait le PS ? », s’interroge-t-il, désabusé.
Ces critiques sont restées jusqu’à mercredi soir relativement indolores. Le groupe socialiste fait bloc, et s’appuie pour se justifier sur des témoignages de gratitude individuels, les réactions positives des syndicats – CFDT en tête – ou encore sur un sondage. « Les Jeunes Socialistes ne sont pas contents, mais c’est attendu. C’était beaucoup plus tendu pour la non-censure de François Bayrou. Aujourd’hui, beaucoup sont attachés à la discipline de groupe », estime la députée Ayda Hadizadeh.
Clémentine Autain, députée membre du groupe écologiste
Si l’aile droite du parti se réjouit, des militant·es et des cadres locaux s’interrogent cependant et disent leurs craintes que ce choix pèse dans les représentations à l’avenir. Le maire des Ulis (Essonne), Clovis Cassan, a adressé un message vidéo aux parlementaires socialistes. Le conseiller de Paris et membre du conseil national du PS, Karim Ziady, multiplie aussi les interpellations.
Celui-ci craint qu’Olivier Faure se soit laissé entraîner par son ambition pour la présidentielle de 2027. « C’est un choix stratégique fait par le PS : parier sur l’effondrement du macronisme pour récupérer cet électorat qui se sent trahi par Macron en se posant comme la gauche responsable face à l’électorat orphelin du centre-gauche, défend-il. Mais j’ai peur que ce choix tactique se retourne contre nous. Il est important de parler aux militants très en colère et très tristes, de leur dire qu’ils ont encore leur place et qu’ils ne doivent pas claquer la porte du parti. »
« Prolonger l’espérance de vie d’un pouvoir honni, quand bien même c’est en échange de gains réels, est une vraie prise de risque du PS. Ce choix sera structurant dans les représentations », analyse aussi Benoît Hamon, joint par Mediapart.
Lors des questions au gouvernement, mercredi 15 octobre, une déclaration de Sébastien Lecornu a ouvert un nouvel angle d’attaque pour tenter de faire bouger les lignes à l’intérieur du groupe PS. Interrogé sur le véhicule législatif qu’il choisirait pour concrétiser la suspension de la réforme des retraites, le premier ministre a répondu : « Si on veut aller le plus vite possible [...], je pense qu’il faut que le gouvernement dépose un amendement au PLFSS [le budget de la Sécurité sociale – ndlr] dès le mois de novembre. »
Dans ce cas, si les socialistes veulent que la suspension devienne réelle, ils devraient voter pour un budget de la Sécurité sociale catastrophique sur tout le reste. « Ils ne pourront pas voter le budget de la Sécurité sociale. C’est une saignée », alerte Clémentine Autain. Selon elle, cette sortie de Sébastien Lecornu a rappelé la fin de non-recevoir lancée par François Bayrou dans l’hémicycle, après l’échec du « conclave » sur les retraites. « Le risque est grand que le piège se referme sur eux », abonde la communiste Elsa Faucillon.
« Il est vrai que la question du véhicule législatif cristallise un certain nombre de craintes quant à la possibilité de rendre la suspension réellement effective à partir de janvier. En d’autres termes, je ne veux pas que les socialistes se retrouvent contraints d’ici quelques semaines à laisser passer les atrocités qu’il y aura dans le PLFSS pour obtenir la suspension de la réforme des retraites », détaille Pierrick Courbon.
Un élément supplémentaire qui pèsera sur les consciences socialistes, jusqu’à jeudi matin. Et sans doute après.
Sarah Benhaïda et Mathieu Dejean
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