Les nouveaux visages du gouvernement Lecornu II :

mercredi 22 octobre 2025.
 

Plusieurs personnalités ont fait leur entrée dans la nouvelle équipe ministérielle dévoilée dimanche 12 octobre, avec comme dénominateur commun leur fidélité au président de la République. Plusieurs ministres, dont Sébastien Lecornu, sont notamment visés par des procédures judiciaires.

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• Des ministres, dont le premier d’entre eux, sous enquête judiciaire

Le temps où les ministres d’Emmanuel Macron devaient quitter leur fonction sitôt l’ouverture d’une procédure judiciaire est totalement révolu. Désormais, ils sont même nommés alors que des investigations sont en cours. C’est notamment le cas pour Vincent Jeanbrun, promu à 41 ans à la tête du ministère du logement, alors qu’il est visé par une enquête portant sur… l’attribution de logements à deux de ses proches.

Ancien maire de L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), le député a octroyé pendant plusieurs années des appartements d’un syndicat intercommunal qu’il présidait à son chef et à son directeur de cabinet à la mairie, dans des conditions préférentielles qui ont poussé l’association Anticor à signaler les faits à la justice en 2024. Au moment de la révélation de l’affaire par Mediapart, Vincent Jeanbrun avait contesté toute irrégularité.

Avant de se faire élire de justesse en 2024 à l’Assemblée nationale, et d’être désigné porte-parole du groupe de la Droite républicaine, cet ancien poulain de Valérie Pécresse avait tenté de prendre la tête de la métropole du Grand Paris, en 2020. Sa candidature fut alors barrée pour des bisbilles internes à la droite par Rachida Dati, qu’il retrouve désormais au sein du gouvernement, puisque la maire du VIIe arrondissement de Paris est reconduite à la culture.

La ministre doit quant à elle être jugée pour des faits de corruption et de trafic d’influence – qu’elle conteste – le 16 septembre 2026. Cette situation n’a, là encore, pas été considérée suffisamment problématique pour que la membre du gouvernement soit écartée par le premier ministre Sébastien Lecornu, lequel est lui-même visé par une enquête pour des soupçons de favoritisme largement passée sous silence.

• Deux anciens patrons entrent au gouvernement

Fidèle à la geste macroniste originelle, le gouvernement Lecornu II embarque deux chefs d’entreprise dans son équipe. Ministre du travail et des solidarités, Jean-Pierre Farandou pourrait se retrouver en première ligne des prochaines discussions sur les retraites.

Dirigeant de la SNCF depuis 2019, il devait quitter son poste dans les jours à venir en raison de son âge (68 ans) au profit de Jean Castex, ex-premier ministre et patron de la RATP. Et il a l’habitude de négocier avec les syndicats : il est justement celui qui a fait appliquer dans l’entreprise ferroviaire l’extinction du statut de cheminot pour les nouvelles recrues.

Jean-Pierre Farandou s’était néanmoins attiré les foudres de l’exécutif en 2024, lorsqu’il avait négocié avec les syndicats de la maison un accord sur les fins de carrière, permettant aux agent·es de partir jusqu’à deux ans et demi plus tôt que ce que prévoit la loi. De quoi faire considérer à Marylise Léon, la dirigeante de la CFDT, que sa nomination est « plutôt un bon signal », au nom du « très bon dialogue » entretenu à cette occasion. Les connaisseurs n’oublient pas qu’il a aussi précipité le sabordage du fret dans l’entreprise publique.

Serge Papin, lui, est déjà semi-retraité. Le nouveau ministre des petites et moyennes entreprises (PME), du commerce, de l’artisanat, du tourisme et du pouvoir d’achat, 70 ans, a été le dirigeant du groupement Système U de 2005 à 2018. En 2023, il avait été un an administrateur indépendant du conseil d’administration d’Auchan Retail International, la structure qui chapeaute l’activité distribution du groupe dans le monde.

L’homme, qui fut un dynamique et sympathique habitué des médias, a donc toujours œuvré du côté de la grande distribution, de l’autre côté de la barrière par rapport aux PME, qu’il devra désormais défendre. Au Monde, il a assuré qu’il n’avait néanmoins « jamais été dans le rapport de force », mais « toujours favorable aux accords tripartites » entre industriels, agriculteurs et grande distribution.

• Ces ex-conseillers d’Emmanuel Macron devenus ministres

Comme il l’a fait à maintes reprises par le passé, le chef de l’État est allé puiser dans le vivier de ses ex-conseillers et conseillères à l’Élysée pour grossir les rangs du gouvernement. Après Sibeth Ndiaye et Cédric O en 2019, Clément Beaune en 2020 ou encore Rima Abdul Malak en 2022, c’est au tour de David Amiel et Alice Rufo d’être propulsé·es ministre délégué·e, le premier pour s’occuper de la fonction publique et de la réforme de l’État, la seconde auprès de la ministre des armées et des anciens combattants.

Véritable condensé du macronisme, David Amiel a longtemps été présenté comme le « bras armé » de l’ancien secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, auprès duquel il a travaillé pendant deux ans, au début du premier quinquennat. En mars 2019, il quitte le cabinet de la présidence de la République pour assurer la promotion du livre qu’il vient de publier avec son ami Ismaël Emelien, lui-même proche conseiller du chef de l’État : Le progrès ne tombe pas du ciel (Fayard) – un ouvrage qui, en revanche, tombait bien des mains.

Après un passage rapide au sein du groupe La Poste, où il occupe la fonction de directeur de la stratégie de la branche grand public et numérique, David Amiel retrouve l’équipe du président-candidat pour la campagne de 2022. Il y déploie à nouveau ses grandes idées filandreuses – dont la célèbre « maximisation des possibles » –, avant d’être élu député de Paris aux législatives suivantes. À l’Assemblée nationale, il a notamment intégré la commission des finances et travaillé sur la question de l’accès au logement des agents publics.

Diplomate de formation, Alice Rufo était déjà à l’Élysée sous le quinquennat de François Hollande. Elle y est ensuite revenue après la première élection d’Emmanuel Macron, pour s’occuper des relations avec l’Asie, la Russie, le Caucase, la Turquie, les Balkans et les réfugié·es. De 2019 à 2022, elle a surtout été l’adjointe du sherpa du président de la République, Emmanuel Bonne, au sein d’une cellule diplomatique au bord de l’implosion – à l’époque, un audit interne avait même été déclenché pour évaluer la gestion de l’équipe.

Après son départ de l’Élysée, Alice Rufo a rejoint le ministère des armées, où elle a d’abord été chargée des affaires stratégiques et du désarmement, avant de prendre la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) au conseil général de l’armement, un an plus tard. C’est là, à l’hôtel de Brienne, que l’ancienne conseillère du chef de l’État a appris à connaître Sébastien Lecornu et à travailler à ses côtés. Mais elle est surtout restée proche d’Emmanuel Macron, principal artisan de ce nouveau gouvernement.

• Un fidèle de Jean-Michel Blanquer à l’Éducation nationale

À 47 ans, Édouard Geffray, tout juste nommé ministre de l’éducation nationale, revient dans un ministère qui lui est familier. Le septième locataire de la rue de Grenelle depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022 est un haut fonctionnaire, énarque. De 2017 à 2019, il a occupé la fonction de directeur général des ressources humaines de l’Éducation nationale. Avant d’être nommé par Jean-Michel Blanquer directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), soit une sorte de ministre bis, chargé de la mise en application des réformes.

À ce titre, il a assuré la continuité malgré les changements de ministres du quinquennat. Ainsi, Édouard Geffray a-t-il été aux premières loges de la mise en œuvre – et du détricotage – des réformes emblématiques de la période. Notamment la plus contestée, celle du lycée et par extension du baccalauréat. Il a aussi géré la période du covid et la mise en place des groupes de niveau dans le cadre du « choc des savoirs » voulu par Gabriel Attal, fin 2023.

Édouard Geffray a finalement quitté le ministère de l’éducation nationale en juillet 2024 pour retrouver le Conseil d’État. En 2020, l’homme avait choqué bon nombre d’enseignant·es par son manque de compassion. Il avait mis sur le même plan le suicide de la directrice d’école Christine Renon, un an plus tôt, et un accident du travail citant une chute dans l’escalier.

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat des enseignant·es du second degré, ne garde pas un bon souvenir de l’homme, « très raide sur la mise en place des réformes comme homme de main de Blanquer », dit-elle à Mediapart. Cette professeure dans l’Essonne rappelle qu’il reste « l’architecte opérationnel des réformes éducatives du macronisme, qui ont fait beaucoup de mal à l’école, aux personnels et aux élèves ».

• À l’écologie, une techno et un « cost-killer »

Méconnue du grand public, Monique Barbut, la nouvelle ministre de la transition écologique, est une figure de la diplomatie environnementale. L’économiste de 69 ans était encore, avant sa nomination dimanche soir, envoyée spéciale du président de la République sur le climat. Elle a entamé sa carrière à l’Agence française de développement, où elle a officié durant une vingtaine d’années. Elle a aussi été membre de la délégation française lors du Sommet de la Terre de 1992 à Rio de Janeiro (Brésil), en tant qu’experte des questions financières.

À partir des années 2000, Monique Barbut rejoint les institutions internationales en devenant directrice de la branche « industrie » du Programme des Nations unies pour l’environnement, puis présidente du Fonds pour l’environnement mondial – le principal bailleur de fonds des projets verts dans les pays du Sud. Elle a ensuite été à la tête de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification de 2013 à 2019.

Enfin, la nouvelle ministre a été envoyée spéciale de la présidence française pour le One Planet Summit sur la biodiversité de 2021 – des sommets lancés par Emmanuel Macron pour doper la finance climat –, avant de diriger l’ONG WWF France de 2021 à 2023.

Chargé de la transition énergétique, en tant que ministre délégué, Mathieu Lefèvre ne s’était pas jusqu’ici distingué par son intérêt pour l’écologie, à part la signature d’une tribune assez vague de député·es macronistes appelant à « préserver notre ambition écologique », et un bon mot pastichant la célèbre phrase de Jacques Chirac (« Notre maison brûle… ») en la transformant en blague austéritaire : « Nos comptes publics brûlent et l’Assemblée nationale regarde ailleurs. » Il a voté contre la proposition de loi Duplomb qui voulait rétablir un pesticide particulièrement toxique.

Assidu des plateaux de télé, ce député du Val-de-Marne et ancien conseiller de Gérald Darmanin a récemment cosigné une tribune pour la baisse des dépenses publiques et contre les hausses d’impôts, pour ne pas « faire fuir les entreprises ». Un point de vue original alors que la Cour de comptes elle-même vient d’alerter sur le manque de financement de la transition écologique.

• Marie-Pierre Vedrenne, une MoDem exfiltrée de Bruxelles

Si Marie-Pierre Vedrenne vient d’être nommée ministre déléguée à Beauvau, elle est surtout identifiée à Bruxelles sur les dossiers de libre-échange. Née en 1982, cette élue MoDem a un temps dirigé la Maison de l’Europe à Rennes (Ille-et-Vilaine), avant de rejoindre en 2019 la délégation Renaissance au Parlement européen.

Au sein de la commission du commerce international à Strasbourg, elle a tenté de faire entendre la position de l’exécutif français, ambiguïtés comprises : oui aux vertus du libre-échange, mais à certaines conditions, dont la réciprocité des normes. Elle a voté sans hésiter pour les traités de libre-échange entre l’Union européenne et le Vietnam, ou avec la Nouvelle-Zélande, mais traîne des pieds sur celui en chantier avec les pays du Mercosur (« Non, en l’état »).

À partir d’octobre 2021, Marie-Pierre Vedrenne a coprésidé la délégation libérale française, aux côtés de la macroniste Valérie Hayer. Elle l’exerce seule à partir de janvier 2024, alors que Valérie Hayer est propulsée à la tête du groupe Renew – en remplacement de Stéphane Séjourné, devenu ministre du gouvernement Attal à Paris. En juillet, elle est contrainte à la démission de ce poste de coordination, après avoir exprimé des critiques sur le flou de la stratégie de Valérie Hayer à la tête de Renew : sa nomination au gouvernement a donc des allures de discrète exfiltration.

La rédaction de Mediapart

Les journalistes Mickaël Correia, Dan Israel, Ludovic Lamant, Jade Lindgaard, Antton Rouget, Ellen Salvi et Faïza Zerouala ont contribué à la rédaction de cet article.


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