![]() |
Une semaine après une première tentative avortée, Emmanuel Macron a nommé une équipe où ses soutiens ont une fois encore la part belle. Bruno Retailleau et Manuel Valls quittent le gouvernement, Rachida Dati et Gérald Darmanin restent, quelques hauts fonctionnaires et patrons font leur entrée. Mais pour combien de temps ?
Un dernier pour la route ? La composition du deuxième gouvernement de Sébastien Lecornu a été annoncée, dimanche 12 octobre au soir, sept jours après une première mouture qui a provoqué l’éclatement de la coalition au pouvoir, la démission du premier ministre puis sa reconduction à Matignon sur décision présidentielle.
Le casting dévoilé par l’Élysée devait être celui du « renouvellement », des « ruptures » et des « surprises », à en croire les éléments de langage distillés par l’exécutif depuis quelques jours. Surprise : il fait la part belle – et même un peu plus – aux fidèles d’Emmanuel Macron. Gérald Darmanin est reconduit au ministère de la justice, à l’instar de ses collègues Jean-Noël Barrot (affaires étrangères), Amélie de Montchalin (comptes publics), Rachida Dati (culture), Aurore Bergé (égalité), Benjamin Haddad (Europe) et Philippe Tabarot (transports).
Déjà présent·es dans l’éphémère gouvernement du 5 octobre, Roland Lescure (économie et finances), Mathieu Lefèvre (transféré à la transition écologique), Naïma Moutchou (qui remplace Manuel Valls aux outre-mer) et Marina Ferrari (sports et jeunesse) ont sauvé leur place. Catherine Vautrin, elle, passe des affaires sociales aux armées. Cinq ministres, enfin, font leur retour au sein du gouvernement : Françoise Gatel (aménagement du territoire), Laurent Nuñez (intérieur), Philippe Baptiste (enseignement supérieur), Maud Bregeon (porte-parole) et Charlotte Parmentier-Lecocq (handicap).
Difficile d’y sentir, dès lors, l’odeur de la rupture vantée par Sébastien Lecornu. Même les conditions dans lesquelles cette équipe ministérielle a été composée racontent la mainmise du président de la République sur la scène intérieure. Alors que se dessinait, dans le week-end, un report de l’annonce à lundi ou mardi, Emmanuel Macron a brusquement accéléré le calendrier et l’a fait savoir à la presse. « Macron veut un gouvernement ce soir », ont titré les chaînes d’information en continu dimanche après-midi, tuyautées par l’Élysée.
La suite n’était pas moins révélatrice : Sébastien Lecornu a été convoqué à l’Élysée peu après 18 h 30 et les deux hommes ont composé ensemble le gouvernement jusqu’à… la publication du communiqué présidentiel, à 22 heures. Plus de trois heures de réunion et un chef de l’État omniprésent, deux jours après avoir fait savoir qu’il laissait « carte blanche » à son premier ministre.
Sans surprise, la liste des nouveaux ministres fait la part belle aux proches du président de la République. Son ancienne conseillère diplomatique Alice Rufo secondera Catherine Vautrin aux armées ; le député David Amiel, conseiller d’Emmanuel Macron dès 2015 au ministère de l’économie, hérite de la fonction publique. La députée macroniste Stéphanie Rist entre également au gouvernement, comme l’eurodéputée MoDem Marie-Pierre Vedrenne.
L’entourage de Sébastien Lecornu a bien tenté, à coups de messages distillés à la presse dans la soirée de dimanche, de détourner le regard de ces innombrables signaux de continuité : son gouvernement détonne, a assuré Matignon, par un « mélange de personnalités de la société civile et de jeunes parlementaires ». Mais les faits sont têtus et donnent comme rarement une impression de déjà-vu.
En ce qui concerne les personnalités attirées du dehors du monde politique, le pari du second gouvernement Lecornu est une resucée de celui déjà fait par Emmanuel Macron en 2017 : amener des hauts fonctionnaires et dirigeant·es d’entreprise à prendre des responsabilités ministérielles. Les « nouveaux visages » s’appelaient à l’époque Élisabeth Borne, Muriel Pénicaud ou Jean-Michel Blanquer.
L’Assemblée nationale pourrait examiner, dès jeudi 16 octobre, les premières motions de censure déposées par les oppositions.
Ils se nomment aujourd’hui Jean-Pierre Farandou, président de la SNCF qui doit être remplacé dans les semaines à venir par Jean Castex, et hérite du ministère du travail et des solidarités ; Monique Barbut, ancienne présidente de WWF France, nommée à la transition écologique ; Serge Papin, ancien patron des magasins U, qui débarque à Bercy pour s’occuper du commerce, des petites et moyennes entreprises et du pouvoir d’achat.
Respectivement âgées de 68, 69 et 70 ans, ces trois personnalités reconnues dans leur champ d’action s’offrent, avant la retraite, le tour de piste ministériel qui manquait peut-être à leur CV. Mais pour combien de temps ? Contrairement à la précédente, cette équipe gouvernementale devrait durer jusqu’aux passations de pouvoir, prévues lundi à la mi-journée. L’échéance du premier conseil des ministres, convoqué mardi à 10 heures, semble également atteignable.
La suite paraît moins certaine. L’Assemblée nationale pourrait examiner, dès jeudi 16 octobre, les premières motions de censure déposées par les oppositions. Une grande partie des groupes d’opposition, à gauche et à l’extrême droite, a déjà affirmé sa volonté de renverser Sébastien Lecornu, si bien que le destin politique de ce dernier est suspendu à une vingtaine de voix de député·es.
Pour s’occuper des relations entre le gouvernement et le Parlement, le premier ministre a nommé Laurent Panifous, président du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) à l’Assemblée. Une manière, estime-t-il peut-être, d’obtenir la bienveillance de ces élu·es dont le vote constitue une des inconnues des jours à venir.
L’autre grande question est l’attitude du Parti socialiste (PS), qui aura toutes les peines du monde à trouver des motifs de bienveillance dans le casting dévoilé dimanche. La nomination de Laurent Panifous, un ancien socialiste entré en dissidence avant de refuser de siéger au groupe PS, n’est pas de nature à réchauffer les relations entre l’exécutif et le parti d’Olivier Faure qui s’est contenté d’écrire « No comment… » sur le réseau social X sitôt le gouvernement annoncé.
Aussi à droite que les précédents, le gouvernement Lecornu 2 compte de farouches opposant·es à la suspension de la réforme des retraites réclamée par le PS et a pour porte-parole une ministre, Maud Bregeon, qui avait promis de censurer un éventuel gouvernement dirigé par Olivier Faure. Comme un symbole, les derniers ministres à se revendiquer d’une filiation avec le PS quittent le gouvernement, une semaine après François Rebsamen : c’est le cas de Manuel Valls, de Juliette Méadel, d’Agnès Pannier-Runacher ou encore d’Élisabeth Borne, dont le maintien était attendu à l’Éducation nationale, qui revient finalement au haut fonctionnaire Édouard Geffray.
Pierre angulaire de la mission de Sébastien Lecornu, l’adoption des projets de loi de finances pour 2026 ne paraît pas plus avancée maintenant qu’est connu le gouvernement. Et les tracas ne viendront pas seulement de la gauche : la nomination de six représentant·es du parti Les Républicains (LR) a suscité la colère de Bruno Retailleau, président de la formation de droite, qui avait fait acter en bureau politique la non-participation au gouvernement.
Une consigne bravée par Annie Genevard, pourtant présidente de la commission nationale d’investiture (CNI) du parti et dirigeante de premier plan de LR, confirmée à l’agriculture. « Servir dans un gouvernement n’efface ni les valeurs ni les principes qui guident l’engagement d’une vie », a justifié l’élue, dans un post sur X par lequel elle se décrit comme « pleinement fidèle à [s]on parti ».
Les députés Vincent Jeanbrun, Sébastien Martin et Nicolas Forissier, tous membres du groupe dirigé par Laurent Wauquiez à l’Assemblée, font également partie du nouvel exécutif. L’état-major de LR a réagi quelques minutes à peine après le communiqué de l’Élysée en annonçant que les six ministres membres du parti « ne [pouvaient] plus se réclamer de LR » et quittaient leurs fonctions dans ses instances dirigeantes. Parmi elles et eux : Rachida Dati, donc, qui a pourtant officiellement été investie par le parti de droite pour les élections municipales à Paris.
Comme un symbole de l’inédite précarité dans laquelle s’installe le nouveau gouvernement, Matignon a demandé aux ministres d’organiser des cérémonies de passation de pouvoir « sans presse, sans discours, sans invités extérieurs », une première.
« Un conseil aux nouveaux arrivants : ne déballez pas trop vite vos cartons », a ironisé la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée, Mathilde Panot. La cheffe de file du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, a affiché quant à elle sa certitude que « le gouvernement [serait] censuré », appelant à une dissolution rapide. « C’est l’hypothèse la plus vraisemblable », avait déclaré quelques heures plus tôt Olivier Faure dans La Tribune dimanche. Le premier secrétaire du PS doit annoncer mardi, après la déclaration de politique générale du premier ministre, la position de son groupe. Elle déterminera, en grande partie, l’espérance de vie du gouvernement Lecornu.
Ilyes Ramdani
| Date | Nom | Message |