Ce que disent les éruptions de colère de la Gen Z du Népal au Maroc, de Madagascar au Pérou

samedi 18 octobre 2025.
 

Depuis la fin de l’été, les soulèvements de la génération Z - celle née entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 - essaiment à travers le monde. Dernier mouvement en date : celui de la jeunesse marocaine, impulsé par le collectif Gen Z 212, en référence à l’indicatif du pays.

Déclenché par la mort de huit femmes enceintes dans un hôpital public d’Agadir, le mouvement vise à exiger un meilleur système de santé et d’éducation, la fin de la corruption des élites et la chute du gouvernement du Premier ministre Aziz Akhannouch.

Ses responsables ont annoncé ce samedi 11 octobre, la suspension de la mobilisation, quelques heures après que le roi Mohamed VI a demandé au gouvernement d’accélérer les réformes sociales. Mais cette pause n’est « qu’une étape stratégique visant à renforcer l’organisation et la coordination, afin de garantir que la prochaine phase du mouvement soit plus efficace et plus influente », a précisé le mouvement Gen Z 212.

Avant d’arriver au Maghreb, cette colère de la Gen Z a d’abord germé dans les rues de Katmandou, au Népal, mais aussi en Indonésie, au Pérou, ou encore à Madagascar. Comme au Maroc, dans chacun de ces cas, les manifestants dénoncent une société à deux vitesses.

Au Népal, la suspension des réseaux sociaux par les autorités a poussé les manifestants à dénoncer le niveau de vie extravagant de la jeunesse dorée du pays, appelée les « nepo kids ». À Jakarta, c’est l’octroi aux députés d’une allocation logement dix fois supérieure au salaire minimum qui a mis le feu aux poudres. Du côté de Lima, les manifestants ont fait front face à une loi obligeant les jeunes à cotiser sur un fonds de pension privé. À Madagascar, le ras-le-bol a été provoqué par les coupures d’eau et d’électricité à répétition.

« Des contextes politiquement comparables »

Selon Paolo Stuppia, docteur en sciences politiques à l’université Paris 1, enseignant à Science Po et chercheur associé au Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP), ces manifestations se tiennent « dans des contextes politiquement comparables ». Il s’agit de « pays du sud global, dont la population considère qu’ils sont mal gouvernés. Pour certains, ce sont également des pays qui ont été colonisés et dont la société porte l’héritage de la lutte contre la colonisation », poursuit le chercheur interrogé par Le HuffPost.

Par ailleurs, les pays concernés « ont une population relativement jeune, avec au moins un quart de zoomers (personne issue de la génération Z, ndlr) », pointe le co-auteur de l’ouvrage Géopolitique de la jeunesse - engagement et (dé)mobilisations.

Les méthodes sont elles aussi similaires. À l’image de ce qui a été observé une quinzaine d’années auparavant lors des Printemps arabes, les mobilisations de ces dernières semaines ne s’organisent pas via des partis, des syndicats ou des ONG mais directement sur les réseaux sociaux.

« La gen Z est la première génération à être née avec les réseaux sociaux », rappelle auprès du HuffPost Élodie Gentina, chercheuse en sciences sociales, professeure à l’IESEG et autrice de l’ouvrage La Génération Z en Asie : dynamiques, différences et digitalisation. « C’est une génération hyperconnectée, qui a accès à l’information tout le temps. Ils vivent dans un système en réseau et de ce fait, ils n’accordent pas d’importance aux organisations basées sur la hiérarchie ».

Cet usage d’internet a engendré un « effet d’imitation » d’un pays à un autre, selon Paolo Stuppia. « Les réseaux sociaux ont permis d’échanger des techniques de mobilisation, des symboles communs, comme avec le drapeau de One piece [présent dans les cortèges de nombreuses manifestations dans le monde] », détaille l’expert.

Avec Internet « les mobilisations sont aussi plus imprévisibles, parce qu’il n’y a pas d’appels clairs qui circulent via des tracts par exemple, et sont donc plus difficiles à contrôler pour les autorités », ajoute-t-il.

Discord : une plateforme au cœur de la mobilisation

Contrairement à leurs prédécesseurs des Printemps Arabes, pour s’organiser, les zoomers ne se tournent pas vers Facebook - considéré comme dépassé - mais plutôt vers Discord. La plateforme aux 200 millions d’utilisateurs mensuels, longtemps cantonnée à l’usage des gamers - a joué un rôle central dans les récents mouvements de contestation.

Au Maroc, le collectif Gen Z 212 est né sur cette application, où il rassemble plus de 185 000 personnes. Sur ces chaînes de conversations, les membres échangent par écrit et par vocaux sur leurs revendications et leurs prochains lieux de rendez-vous. Chaque soir, la plateforme accueille également un vote sur la reconduite du mouvement.

De la même manière, au Népal, les manifestations se sont organisées sur le groupe Youth Against Corruption, fort de 160 000 membres. Après la chute du gouvernement, c’est sur Discord que les débats sur le choix du prochain Premier ministre se sont tenus. Ces discussions ont fait émerger le nom de la présidente de la Cour suprême Sushila Karki, nommée Première ministre par intérim le 12 septembre dernier. « C’est une façon de se réapproprier la démocratie », estime Paolo Stuppia.

« La génération Z, notamment en Asie, est très friande des micro-communautés en ligne. À la différence des réseaux sociaux plus traditionnels comme Facebook et Instagram, Discord séduit parce qu’il donne l’impression d’être plus communautaire et plus authentique », décrypte de son côté Élodie Gentina.

Si ces mouvements sont très commentés, il reste difficile, selon Paolo Stuppia, « de déterminer si, à terme, ils mèneront à des changements profonds ». Difficile, aussi, de prédire s’ils dépasseront les frontières du « sud global », pour éventuellement faire émerger une « Gen Z 33 ».


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