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Bruno Retailleau multiplie les appels du pied à l’extrême droite, mais refuse pour l’instant l’accord de gouvernement proposé par Jordan Bardella en cas de dissolution. Sur le terrain, plusieurs cadres locaux du parti de droite se montrent déjà disposés à faire alliance avec le Rassemblement national.
Cette fois, Bruno Retailleau a voulu être clair. Invité au « 20 heures » de France 2, mardi 7 octobre, le président du parti Les Républicains (LR) a fermement rejeté la main tendue par Jordan Bardella. Le matin même, sur CNews, le patron du Rassemblement national (RN) s’était pour la première fois dit « parfaitement disposé » à trouver « un accord de gouvernement » avec LR, si son propre parti n’obtenait pas de majorité absolue en cas de nouvelles législatives anticipées.
« C’est non », a répondu le ministre de l’intérieur démissionnaire. « Ils n’ont pas voté la réforme des retraites, les 15 heures [de travail obligatoire – ndlr] en contrepartie du RSA, la réforme de l’assurance-chômage », a-t-il égrené, dénonçant « les idées de gauche » (sic) de Marine Le Pen sur le plan économique.
Un peu plus tôt dans la même journée, Bruno Retailleau avait pourtant provoqué la confusion parmi ses troupes en rompant avec le « ni-ni » historique de son parti en cas de duel entre la gauche et l’extrême droite. Sur Europe 1 et CNews – médias du groupe Bolloré œuvrant à l’union des droites –, il a ainsi appelé à faire barrage à la gauche, dimanche 12 octobre, au second tour de la législative partielle dans le Tarn-et-Garonne opposant une socialiste au candidat du parti d’Éric Ciotti, l’Union des droites pour la République (UDR), soutenu par le RN.
En claquant la porte de la coalition gouvernementale dans laquelle il a embarqué LR il y a un an, Bruno Retailleau est revenu au tiraillement de départ, entre les macronistes et les lepénistes. Le parti de Jordan Bardella se plaît à faire monter la pression, impatient de faire tomber les dernières digues et de poursuivre le chemin entamé à l’été 2024, avec le ralliement fracassant de l’ancien patron de LR Éric Ciotti. « Je peux vous dire que nous recevons beaucoup de candidatures de la part de LR ou d’ex-LR », a revendiqué la députée RN Edwige Diaz, membre de la commission nationale d’investiture (CNI) du parti d’extrême droite.
Du côté de l’UDR, on soutient que des rapprochements s’opèrent déjà à l’Assemblée nationale avec une partie des cinquante député·es LR. « Jusqu’à fin octobre 2024, c’était très tendu, ils ne nous parlaient pas. Mais c’est totalement terminé, assure à Mediapart le député ciottiste Charles Alloncle. Quand Éric Ciotti prend la parole dans l’hémicycle, le groupe LR qui siège juste à côté l’encourage. » Et d’en conclure : « Je n’ai aucun doute que si demain on a 240 député·es [la majorité absolue étant atteinte à 289 – ndlr], la grande majorité de ces parlementaires LR négocieraient un contrat de gouvernement avec nous. »
Au lendemain de la démission de Sébastien Lecornu, plusieurs figures du parti de Bruno Retailleau se montraient effectivement ouvertes à cette idée. L’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Élysée Henri Guaino a ainsi estimé sur BFMTV qu’il n’était « pas anormal » que LR, « sous certaines conditions », gouverne avec le RN s’il venait à manquer des voix au parti lepéniste.
« Nous n’avons pas que des désaccords avec le RN, a aussi euphémisé dans la même journée la sénatrice LR Sophie Primas sur RTL. S’il y a un contrat de gouvernement avec des idées ou des mesures qui ne sont pas orthogonales à nos convictions, travaillons ensemble. » Face à la polémique suscitée par ses propos, l’ancienne porte-parole du gouvernement Bayrou s’est sentie obligée de rétropédaler sur le réseau social X, se disant finalement « de tout temps opposée à l’union des droites ».
Si le RN a 250 députés, il faut faire un contrat de gouvernement avec eux, tout simplement.
Jean-Hubert Lelièvre, président de la fédération LR de Charente Plus que jamais, la droite LR est donc poussée à la clarification. Plusieurs cadres ont d’ailleurs l’intention de demander à Bruno Retailleau de réunir en urgence les instances dirigeantes du parti pour dissiper le flou. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, fait dorénavant savoir qu’il s’opposera fermement à une alliance avec le RN. « C’est un bordel innommable », résume un proche de Valérie Pécresse.
Pourtant, dans les rangs des responsables locaux de LR, l’idée d’un rapprochement avec le parti d’extrême droite a déjà fait son chemin. Tout en soulignant des divergences sur le plan économique, plusieurs cadres de terrain contactés par Mediapart se disent prêts à converger avec le RN autour de certains dénominateurs communs, en premier lieu l’immigration et la sécurité.
Membre du bureau politique de LR et conseillère départementale de Saône-et-Loire, Nathalie Damy ne se cache pas d’avoir glissé un bulletin Marine Le Pen dans l’urne au second tour de la présidentielle de 2022. « Il y a un moment où il va falloir qu’on travaille avec tout le monde », estime-t-elle aujourd’hui, précisant que la première menace vient à ses yeux de La France insoumise (LFI).
Référente de Bruno Retailleau dans le département lors de la campagne interne pour la présidence du parti, Nathalie Damy indique qu’elle ne « mettrait pas son veto » à un accord de gouvernement avec le RN, dont LR partage selon elle « tout le travail sur la fraude, les OQTF [obligations de quitter le territoire français – ndlr] ou l’immigration illégale ». Avec un point « non négociable » toutefois : le retour à la retraite à 62 ans, souhaité par Marine Le Pen et ses soutiens.
À la tête de la fédération de Charente, Jean-Hubert Lelièvre assume lui aussi : « Si le RN a 250 députés, il faut faire un contrat de gouvernement avec eux, tout simplement », expose-t-il avant de lister quelques lignes rouges, dont le retour de la peine de mort ou « l’antisémitisme à la papa façon “Maréchal, nous voilà !” ». Admiratif du « courage » de Bruno Retailleau, qui a « fait un bras d’honneur à la bien-pensance » en appelant à ne pas voter pour le Parti socialiste (PS) face à l’extrême droite dans le Tarn-et-Garonne, ce conseiller départemental revendique le droit de s’allier avec le RN « puisque les socialistes, eux, s’allient avec LFI et que ça ne dérange personne ».
Pour Jean-Hubert Lelièvre, rien ne sert de s’inquiéter. Le responsable départemental s’emploie ainsi à minimiser avec légèreté les risques d’une accession de l’extrême droite au pouvoir : « Ils feront juste des trucs de bon sens, rassurez-vous, les théâtres continueront à être ouverts, il y aura toujours des concerts de punk… Il n’y aura pas de “Grand Soir” », veut-il croire.
Je n’ai pas de cas de conscience sur le terrain vis-à-vis du RN, à partir du moment où on se bat pour les mêmes choses.
Else Joseph, sénatrice et présidente de la fédération LR des Ardennes Si Henri Guaino a convoqué le gouvernement provisoire de la République française pour justifier sa main tendue au RN, en assénant que la droite « a bien gouverné avec les communistes en 1944 », Jean-Hubert Lelièvre, lui, préfère évoquer un autre précédent historique. « Si on lit l’histoire de la droite, on a déjà eu un moment où le FN n’était pas un sujet, au moment de Dreux par exemple », rappelle-t-il.
En 1983, le Rassemblement pour la République (RPR) avait en effet fait alliance avec le Front national de Jean-Pierre Stirbois pour ravir la mairie à la gauche. Alors président du parti de droite, Jacques Chirac expliquait déjà à l’époque qu’il lui semblait « beaucoup plus dangereux de soutenir une coalition qui comporte des communistes qu’une coalition qui comporte des membres du FN ».
La sénatrice LR Else Joseph, qui dirige la fédération des Ardennes, se dit pour sa part sceptique face au principe d’« accords généraux » mais reste ouverte à des « accords ponctuels », notamment dans les « territoires où il y a un danger LFI important ». « Je n’ai pas de cas de conscience sur le terrain vis-à-vis du RN, à partir du moment où on se bat pour les mêmes choses », explique-t-elle.
« On partage une volonté de contrôler l’immigration. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes voilées, de quartiers dans lesquels on ne peut plus aller », poursuit l’élue, au diapason du discours identitaire et sécuritaire porté par le RN. Se revendiquant « gaulliste », Else Joseph tient toutefois à préciser qu’elle n’est « pas en train de faire des ponts avec le RN pour le moment ».
L’indifférence affichée par ces cadres locaux de LR à l’idée de se coaliser avec le parti fondé par Jean-Marie Le Pen inquiète certains de leurs homologues. « Une majorité de nos militants ici attend depuis longtemps qu’on prenne la main du RN », reconnaît Richard Tiberino, président de la fédération LR du Gard – un département comptant cinq député·es frontistes et un député UDR. « Faire une alliance avec des gens qui ont le vent en poupe, ça vaut peut-être le coup électoralement, conclut-il, mais j’ai quand même une conscience. Le Front national a toujours été notre ennemi. »
Alexandre Berteau et Youmni Kezzouf
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