Seul en son palais, Emmanuel Macron gribouille l’avenir de la République

mercredi 15 octobre 2025.
 

Les appels à la démission du président de la République se multiplient et sont désormais exprimés par certains de ses alliés politiques. Depuis un an, rares sont ceux, au sein du camp présidentiel, à savoir expliquer les choix du chef de l’État. Encore plus rares sont ceux à échanger avec lui pour tenter de les comprendre.

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L’image captée par un journaliste de BFMTV a fait le tour des réseaux sociaux, suscitant des commentaires à la fois moqueurs et consternés. On y aperçoit Emmanuel Macron longeant les quais de Seine, entouré de son seul service de sécurité, peu après la démission du premier ministre le plus éphémère de la Ve République. Quelques secondes qui résument l’isolement dans lequel le président de la République est plongé depuis plusieurs mois déjà.

Les critiques qui ont émergé dans son propre camp après la dissolution de 2024 sont aujourd’hui assumées publiquement par celles et ceux qui ont pourtant accompagné le chef de l’État pendant des années. À commencer par Gabriel Attal, qui a franchi un pas supplémentaire dans sa stratégie de distanciation, en déclarant lundi 6 octobre, sur TF1 : « Je ne comprends plus les décisions du président de la République. » Avant de pointer un « acharnement à vouloir garder la main ».

Le lendemain matin, le coup porté par Édouard Philippe fut plus rude encore. « L’État n’est plus tenu », a affirmé le président du parti Horizons sur RTL, indiquant « [constater] que l’autorité et la continuité de l’État ne sont plus respectées ». Et cet autre ancien premier ministre de considérer qu’Emmanuel Macron « s’honorerait » à « partir immédiatement après » le vote du budget 2026 pour permettre une élection présidentielle anticipée.

Des déclarations auxquelles il convient d’ajouter l’« immense déception » exprimée par Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, sur sa pratique du pouvoir, ou encore les vives critiques formulées par François Bayrou, échaudé par son passage à Matignon. Les rares soutiens restant au président de la République ont beau pointer les ambitions des un·es et des autres pour expliquer ces prises de distance, le fait est que la liste des défections s’allonge de jour en jour.

Trois semaines de silence

La littérature politique regorge d’histoires sur l’isolement du pouvoir, et tout a été raconté sur les deux dernières années de mandat de François Mitterrand et de Jacques Chirac, objet de toutes les critiques et des velléités dévorantes de successeurs putatifs. Mais les deux dirigeants n’en avaient pas moins leurs alliés, leurs fidèles, leurs soutiens indéfectibles et leurs ralliés de la dernière heure. Emmanuel Macron, lui, gouverne comme il marche le long de la Seine : seul.

Cette rupture, qui couve depuis au moins un an mais dont les germes sont anciens, a été amplifiée ces derniers jours par le psychodrame qui a suivi la composition du gouvernement Lecornu, annoncée dimanche 5 octobre au soir, alors que personne ou presque ne comprenait ce qui se tramait entre Matignon et l’Élysée depuis trois semaines. « On est tous tombés de notre chaise », affirme un cadre de Renaissance, vieux compagnon de route du président de la République.

La nomination de Bruno Le Maire au ministère des armées revient dans toutes les discussions. « Mais comment ils ont pu penser que c’était une bonne idée ? », hallucine une proche du chef de l’État. Aux cadres du parti Les Républicains (LR) qu’il a appelés dimanche soir pour expliquer sa volonté de plier bagage, Bruno Retailleau a raconté les coulisses de l’épisode. « J’étais à Matignon tout à l’heure, dans son bureau, et il ne m’a rien dit ! », a-t-il expliqué au sujet de Sébastien Lecornu.

La plupart des conseils donnés au président de la République ne sont jamais suivis d’effets.

Dans les jours qui ont précédé l’annonce de ce gouvernement, le couple exécutif a pris soin de cultiver le plus grand secret sur ses options. « On en était réduits à s’appeler avec les autres chefs de groupe ou de parti pour se demander des nouvelles que personne n’avait, peste l’un d’eux. C’est quand même incroyable. » Même Gérald Darmanin, réputé proche des deux hommes, a été tenu à l’écart des discussions, jurant à ses interlocuteurs qu’il ne savait pas quel sort lui serait réservé.

Depuis lundi, le président de la République a repris contact avec certains de ses proches – pour beaucoup des hommes – afin de leur demander ce qu’ils pensaient de la situation, lesquels n’ont pas manqué de lui souligner qu’il aurait mieux fait de les appeler avant. Malgré ces échanges, aucun d’entre eux n’est en mesure d’expliquer comment une telle équipe gouvernementale a pu être imaginée. Certains ironisent sur les prétendus talents de « négociateur » de Sébastien Lecornu, d’autres pointent la « responsabilité » de son ami Thierry Solère.

L’ancien député LR, un temps conseiller de l’ombre d’Emmanuel Macron, a accompagné le chef du gouvernement pendant trois semaines à Matignon, sans jamais y être officiellement nommé. Bien qu’ayant indiqué à Mediapart ne jouer « strictement aucun rôle dans le dispositif » de la Rue de Varenne, c’est lui qui a assuré le service après-vente auprès de certains journalistes. Lui aussi que des cadres du parti présidentiel et des formations alliées ont appelé pour tenter de comprendre les grandes manœuvres en cours. En vain.

Odeur de fin de règne

Même silence du côté de l’Élysée. De façon générale, la plupart des conseils qui ont été donnés au président de la République depuis un an par celles et ceux qui ne lui ont pas tourné le dos malgré la dissolution n’ont pas été suivis d’effets. À l’Assemblée nationale, le groupe Ensemble pour la République (EPR) a passé l’année à ruminer sa déception et sa dépression, enregistrant lui aussi quelques défections. L’indifférence, pour ne pas dire le mépris, que le chef de l’État a affichée à l’égard de ses propres troupes a fini par se retourner contre lui.

Le palais présidentiel est désormais coupé du monde, y compris de celui qui a porté Emmanuel Macron au pouvoir en 2017. Beaucoup se plaignent de ne plus avoir aucun échange avec le président de la République. Sur son téléphone, le compagnon de route cité plus haut fait défiler les textos qu’il lui a adressés. Le dernier n’a pas eu de réponse. Le précédent non plus. Plus haut, un autre, puis deux, puis trois…

Dans les couloirs de l’Élysée, l’odeur de fin de règne est partout. Plusieurs collaborateurs d’Emmanuel Macron ont quitté les lieux depuis la dissolution, à commencer par son bras droit historique Alexis Kohler, remplacé par Emmanuel Moulin. Celles et ceux qui restent ne se cachent plus beaucoup de penser à l’avenir : certain·es imaginent une reconversion dans la haute fonction publique, d’autres préparent leur départ dans de grandes entreprises privées…

Emmanuel Macron est incapable de renouveler ses proches, ses ministres et ses idées.

Il ne reste plus que les affaires internationales pour animer l’Élysée. « Le président est accaparé par l’Ukraine et Gaza, c’est ce qui occupe ses discussions et son agenda », justifie un des ses rares interlocuteurs réguliers. Conséquence de ce nouvel équilibre, celles et ceux qui le côtoient de plus près sont à présent les diplomates : son sherpa Emmanuel Bonne, le chef d’état-major particulier Vincent Giraud, ou le communicant Jean-Noël Ladois, chargé des questions internationales.

Quand il faut remettre les mains dans le cambouis de la politique intérieure, Emmanuel Macron rappelle à lui une poignée de conseillers déjà à la manœuvre au moment de la dissolution de 2024, tels Jonathan Guémas, le conseiller stratégie, ou Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire. « Je ne comprends pas qu’il continue de faire appel à eux », peste un autre membre du premier cercle, sévère à l’égard de ceux que Bruno Le Maire avait qualifiés de « cloportes » l’été dernier.

C’est dans ce rayon-là, auquel il faut ajouter Sébastien Lecornu et Emmanuel Moulin, qu’est née l’idée de nommer Bruno Le Maire et Éric Woerth au gouvernement. Tout comme celle de redonner au premier ministre démissionnaire la charge de mener deux jours de négociations supplémentaires avec les forces politiques. « Quand une situation est bloquée, le président sait penser outside the box », assure Marc Ferracci, ministre sortant de l’industrie et proche d’Emmanuel Macron, sans crainte du ridicule.

L’éphémère trajectoire du gouvernement Lecornu raconte, à l’inverse, l’incapacité du président de la République à renouveler ses proches, ses ministres et ses idées. Depuis un an, il n’a fait que recycler ses derniers soutiens, sans varier ses politiques. Le tout en s’appuyant sur le seul parti ayant refusé le front républicain aux législatives anticipées – et les ayant par ailleurs largement perdues. Au risque de faire ressembler la fin de son second quinquennat à un interminable gribouillage.

Ilyes Ramdani et Ellen Salvi


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