Du Puy du Fou à la « Nuit du bien commun » : quand l’extrême droite falsifie l’histoire de France en costumes d’époque

vendredi 17 octobre 2025.
 

Puy du Fou. Des « spectacles historiques » fleurissent partout en France, financés par la bourgeoisie catholique et soutenus par l’extrême droite, ayant pour but de réécrire notre passé pour mieux préparer leur futur. Derrière les capes, les armures et les feux d’artifice, une autre bataille se joue : celle de la mémoire.

De Philippe de Villiers à Pierre-Édouard Stérin, ces nouveaux metteurs en scène de l’histoire veulent effacer la Révolution et sanctifier l’ordre ancien.

Des torches, des violons et un récit falsifié

On les présente comme de simples reconstitutions festives. Mais leurs scénarios racontent tous la même fable : une France pure, chrétienne et monarchique, trahie par la Révolution et salie par la République.

Dans « Le Serment du vigneron », les révolutionnaires sont des démons de foire. Le peuple y est manipulé, la religion persécutée, la patrie souillée. Le message est clair : la République, c’est le chaos. Sauf que la réalité est autrement plus complexe. Les paysans de 1789 n’étaient pas des assoiffés de sang, mais des affamés qui voulaient la fin des impôts injustes et des privilèges féodaux. Les guerres de Vendée ? Une guerre civile terrible, oui, mais pas un « génocide républicain ». Ce mythe, ressassé par l’extrême droite – et rejeté par les historiens – depuis trente ans, sert à faire passer les bourreaux d’hier pour les victimes d’aujourd’hui.

Ces spectacles sont une machine à simplifier, à mentir, à rendre l’histoire sentimentale. Larmes, musiques épiques, lumière dorée sur la croix : tout y est pour émouvoir, rien pour comprendre.

Le Puy du Fou, usine à nostalgie réactionnaire

C’est là que tout a commencé : le Puy du Fou, en Vendée, fondé par Philippe de Villiers. Derrière les villages en bois et les chevaliers enflammés, on glorifie la France d’avant les Lumières : celle où l’ordre venait d’en haut, où les pauvres restaient à leur place et où l’Église décidait du bien et du mal.

Pourtant, l’histoire réelle dit l’inverse. Sous la monarchie, la moitié du pays meurt de faim. Les « héros » du Puy du Fou, les nobles vendéens, se battaient pour maintenir leurs privilèges, pas pour “libérer” le peuple. La Révolution, quant à elle, a brisé les chaînes féodales, aboli les privilèges et ouvert la voie à la citoyenneté.

Mais ce n’est pas ce qu’on raconte dans ces parcs d’attractions idéologiques. Là, la République est la méchante, les révolutionnaires sont les bourreaux, et la monarchie l’âge d’or perdu. Le succès populaire du Puy du Fou n’a rien d’innocent : c’est une usine à nostalgie réactionnaire, une fabrique d’oubli politique.

La bourgeoisie réactionnaire joue les troubadours

Derrière la caméra, toujours les mêmes : les ultra-riches. Philippe de Villiers a ouvert la voie, Pierre-Édouard Stérin l’a industrialisée. L’homme, fondateur de Smartbox et mécène ultra-catho, investit aujourd’hui dans la “renaissance culturelle” de la France. Ses millions arrosent des spectacles comme “La Dame de pierre”, consacré à Notre-Dame de Paris.

Le synopsis ? La cathédrale comme symbole d’une France chrétienne persécutée par le modernisme. La réalité ? Notre-Dame appartient à l’État depuis 1905, et sa restauration en 2019 est financée par l’argent public, pas par l’évêque de Paris. Mais qu’importe la vérité : ce que vend Stérin, c’est une émotion. Et derrière l’émotion, une idéologie. Celle d’un pays qui aurait perdu son âme parce qu’il a conquis la liberté.

Stérin n’est pas seul. Autour de lui, les réseaux de la « Nuit du Bien commun », la galaxie ultra-catholique, des associations anti-avortement et des influenceurs d’extrême droite. Tous veulent falsifier l’histoire de France — et pour cela, ils s’achètent des chevaliers, des chorales et des effets pyrotechniques.

Dans ces spectacles, la bourgeoisie se déguise en peuple. Elle se costume pour mieux masquer la domination qu’elle défend. On y chante la terre et la sueur, mais ce sont des héritiers en chemise en lin qui tiennent les manettes. Les comédiens sont bénévoles, les techniciens précaires, les profits bien réels.

Et les mairies ? Elles paient. Subventions, mise à disposition de sites, exonérations fiscales : le contribuable finance la propagande de ceux qui le méprisent. À Clamecy, dans la Nièvre, la mairie a financé un spectacle sur « le baptême de Clovis, fondateur de la France chrétienne ». Mensonge historique total : au Ve siècle, la France n’existait pas, et Clovis se convertit pour mieux régner, pas pour évangéliser.

Pendant ce temps, les compagnies de théâtre indépendantes crèvent. Les festivals militants ferment faute de moyens. Mais pour faire dire à Jeanne d’Arc qu’elle « combat l’esprit de décadence moderne », là, on trouve des millions. C’est ça, la bataille culturelle vue par la bourgeoisie : un patrimoine au service de la réaction.

Une guerre de classes culturelle

Ce n’est pas du folklore, c’est une guerre. Une guerre pour la mémoire, pour la légitimité, pour le sens. Quand on fait aimer les rois, on fait détester les révolutionnaires. Quand on fait pleurer sur les nobles, on efface les prolétaires. Ces spectacles sont des armes idéologiques. Ils préparent le terrain pour imposer des politiques mortifères : l’austérité, la répression, la peur de l’autre.

L’histoire qu’ils racontent est celle d’un peuple soumis, d’une patrie sacrée, d’un ordre divin. C’est la propagande douce du capitalisme conservateur, celle qui fait applaudir les opprimés pendant qu’on les tond.

Et le pouvoir macroniste regarde ailleurs. Macron lui-même a cité Philippe de Villiers comme « modèle de réussite culturelle ». Rachida Dati et son ministère de la Culture subventionnent sans broncher des événements où les Lumières sont tournées en dérision. Quand la bourgeoisie d’hier ressuscite celle d’aujourd’hui, le centre applaudit : même caste, mêmes intérêts.

Ces « spectacles » ne sont pas un hobby provincial : c’est un projet politique. Réhabiliter la monarchie, c’est légitimer l’inégalité. Diaboliser la Révolution, c’est délégitimer toute idée de rupture. L’extrême droite veut qu’on croie que « le peuple » ne doit plus se soulever, que l’ordre est naturel, que l’autorité est sacrée.

Ce n’est pas un hasard si les financiers de ces shows sont les mêmes qui financent les influenceurs catholiques, les écoles hors contrat, ou les campagnes de Zemmour. Tout se tient : fabriquer une mémoire, pour fabriquer l’obéissance.

Ce que ces spectacles veulent vraiment enterrer : notre Histoire, la vraie La gauche ne peut plus laisser ce terrain à l’ennemi. Il faut reprendre la scène, raconter l’histoire autrement. Parler de 1789, oui, mais du peuple, pas des curés. Raconter la Commune, les luttes ouvrières, les résistances, les immigrations, les combats féministes. Faire du théâtre, du cinéma, de l’art populaire — pas de la propagande, mais du sens.

Car pendant que l’extrême droite transforme la Révolution en péché, les classes populaires oublient qu’elles ont déjà gagné. L’égalité, la laïcité, les droits sociaux ne sont pas des abstractions : ce sont des conquêtes arrachées. Si on laisse l’histoire être réécrite, on perd tout.

Derrière les feux d’artifice, c’est toujours la même idée : faire aimer au peuple ses chaînes. Leur France n’a rien d’historique. C’est une France fantasmée, soumise, pieuse et silencieuse. Une France où le patron bénit l’ouvrier, où la femme prie pendant que l’homme commande, où le riche donne « charitablement » ce qu’il a volé.

Mais la vraie histoire de France, c’est celle des sans-culottes, des communards, des mineurs, des grévistes. C’est celle des profs, des soignants, des précaires d’aujourd’hui. Et tant que ces spectacles mentiront, il faudra continuer à raconter la vérité.

Par Kaïs


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