Flottille pour Gaza : en Italie et en Espagne, la solidarité de la jeunesse et du monde du travail

dimanche 12 octobre 2025.
 

Dans les deux pays, des dizaines de milliers de personnes ont cessé le travail ou manifesté pour dénoncer l’interception des bateaux en route vers Gaza, et marquer leur soutien aux Palestiniens. De nouveaux rassemblements sont attendus samedi. Reportages à Bologne et Barcelone.

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Bologne (Italie) 100000 manifestants pour la Palestine et la flottille

« On bloque tout », s’époumone Paolo Rizzo face à la foule compacte qui progresse tant bien que mal, rue Ugo-Bassi, vendredi 3 octobre à Bologne. Le long des trottoirs, une interminable file de véhicules bloque le trafic : des bus de la ville, des camions, des voitures, tous à l’arrêt. « Aujourd’hui, les bureaux sont fermés, les écoles, les universités, les usines, les entrepôts de logistique, les transports aussi », harangue le militant du parti de gauche Potere al Popolo (PaP, « Le pouvoir au peuple »).

La veille, déjà, aux milliers de personnes rassemblées en fin de journée Piazza Maggiore, Paolo Rizzo promettait : « On est sérieux, cette fois on va faire mal à la production, à la circulation des marchandises, à la machine de guerre d’Israël et à la complicité du commando Meloni. »

C’était l’appel lancé quelques jours plus tôt par les dockers du port de Gênes : bloquer tout le pays si l’armée israélienne s’en prenait à la flottille pour Gaza. En première ligne des mobilisations de soutien à la Palestine, le Comité autonome des dockers, rattaché au syndicat Unione Sindacale di Base (USB), a d’abord bloqué les livraisons d’armes italiennes à Israël, censées partir depuis les ports du nord du pays.

Surtout, pour la première fois depuis l’automne 2023, il a réussi à faire parler d’une seule voix les mouvements de soutien au peuple palestinien de toute l’Italie. « Ça a eu l’effet d’un détonateur, résume Riccardo Rinaldi, militant de Potere al Popolo. Le mur de silence s’est effondré, la population veut parler de Palestine, que le gouvernement agisse en rompant tous ses accords commerciaux et militaires avec Israël. »

Parti à 9 heures de la Piazza Maggiore, le cortège de Bologne a rassemblé près de 100 000 personnes, selon les syndicats. Les étudiant·es, qui avaient bloqué leur université la veille, sont nombreux. « Je suis très en colère, amère et totalement déconcertée par la situation à Gaza et la réaction du gouvernement, explique Francesca qui travaille à l’université. Être ici, c’est le seul moyen de me regarder dans un miroir et de savoir que j’ai fait ce que j’ai pu. » De nombreux parents sont là avec leurs enfants, certains en porte-bébé ou en poussette, d’autres, plus grands, des dessins de petits bateaux aux couleurs du drapeau palestinien entre les mains.

En Italie, des campements dans une centaine de villes

Les travailleurs et travailleuses défilent par secteur : enseignant·es, éducateurs et éducatrices, personnel soignant, chercheurs et chercheuses, ouvriers et ouvrières, professionnel·les des assurances et tant d’autres. « On défend le droit à la vie et à la santé publique comme on le fait tous les jours entre les murs de l’hôpital, explique Alice, anesthésiste, drapeaux palestiniens maquillés sur les paupières. Les crimes de Nétanyahou se dirigent aussi contre les hôpitaux qui sont des lieux sacrés, c’était impossible de rester à regarder sans rien faire. »

Sur les pancartes, le visage de Giorgia Meloni côtoie celui de Benyamin Nétanyahou ; les slogans demandent autant une Palestine libre que la démission de la cheffe du gouvernement italien. « On espère que les politiques nous écoutent enfin », souhaite Manuela, enseignante à la retraite qui participe aux mobilisations depuis près de deux ans. « On veut que cette pression contraigne les gouvernements européens à prendre des mesures radicales contre Israël », complète Tiziano, lui aussi enseignant à la retraite, qui déplore le poids de l’Italie dans les exportations d’armes vers Israël.

Face à cette mobilisation massive, le gouvernement ironise. « Ils veulent juste un week-end prolongé », avait commenté Giorgia Meloni à l’annonce de la grève générale. « Quel week-end prolongé ? », lui répondent les syndicalistes qui se succèdent au micro. « Comme si, parmi nous, personne ne travaillait le samedi et le dimanche ! On fait des heures supplémentaires pour cette lutte, on renonce à nos salaires aujourd’hui pour reprendre notre dignité, essayer de changer ce pays et abolir ce régime de guerre. »

Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres, a tenté d’interdire cette grève qu’il juge « illégitime » en arguant d’un préavis trop court. En vain. Au total, vendredi, dans toute l’Italie, plusieurs centaines de milliers de personnes se sont mobilisées dans plus d’une centaine de villes.

Nous répéterons haut et fort que les travailleurs et travailleuses ne travaillent pas pour la guerre.

Domenico Conte, du syndicat USB Depuis dix jours, le mouvement prend une ampleur sans précédent. Lors du premier appel à la grève, lundi 22 septembre, alors que les Nations unies se réunissaient pour un sommet consacré à la solution à deux États, près d’un demi-million de personnes s’étaient mobilisées, selon les décomptes des syndicats. Plusieurs gares, ports, routes, autoroutes, universités avaient été bloqués. Le scénario s’est répété dès l’annonce de l’interception de la flottille pour Gaza, mercredi soir, d’abord avec des manifestations spontanées puis de manière plus structurée au fil des heures.

Trois jours après la manifestation du 22 septembre, le syndicat USB a lancé l’opération « 100 places pour Gaza ». « Ce sont des campements sur les places d’une centaine de villes pour construire une mobilisation et une agitation permanentes dont le point d’orgue est la grève générale, explique Domenico Conte, de l’USB. »

Sur la Piazza Maggiore de Bologne, sous les portiques, au milieu des terrasses des cafés et des vitrines des coquettes boutiques, une vingtaine de tentes se sont plantées sur les pavés. Cela fait dix jours que des dizaines de militant·es s’y relaient, jour et nuit. « C’est très important d’être ici, de parler avec les citoyens et de construire la grève ensemble, car nombreux sont les travailleurs à ne plus savoir ce que veut dire faire grève », explique Riccardo Rinaldi, l’un des « campeurs ».

Samedi 4 octobre, une manifestation nationale est organisée à Rome et marquera la quatrième journée consécutive de mobilisations en soutien à Gaza.

À Barcelone : « Nous ne serons pas la génération silencieuse »

La mobilisation pour la Palestine a également été de haute intensité jeudi et vendredi en Espagne, en réaction à l’interception de la flottille Global Sumud par l’armée israélienne. Davantage circonscrite sur le territoire, elle a aussi pour différence de ne pas être dénigrée par un exécutif actif sur la cause palestinienne, du moins au regard des autres États membres de l’Union européenne. On y retrouve en revanche des méthodes d’action similaires.

À Barcelone, jeudi soir, des milliers de personnes ont empli les rues pour protester contre l’arrestation des membres de l’équipage. Vendredi, la place de l’Université ne désemplissait pas. La foule a répondu à l’appel de plusieurs organisations d’étudiant·es et du syndicat CGT Enseignement. « Nous ne serons pas la génération restée silencieuse durant le génocide du peuple palestinien », clame un des porte-parole du mouvement qui se succèdent derrière le micro pour dénoncer « un génocide planifié et soutenu par le sionisme ».

Plusieurs facultés sont bloquées depuis jeudi soir par des étudiant·es décidé·es à « stopper la normalité » tant que l’armée israélienne massacre les Palestinien·nes. Les accès de différents bâtiments de l’université autonome de Barcelone (UAB) et de l’université polytechnique de Catalogne (UPC) ont été barricadés. « Ils ont arrêté la flottille. Arrêtons l’université », lit-on sur une banderole accrochée aux grilles de l’édifice historique de l’université de Barcelone, complètement fermée. Une quarantaine d’étudiant·es y ont passé la nuit de jeudi à vendredi.

Au pied de l’imposant bâtiment du centre-ville, Joan Rius, représentant de la mobilisation, explique qu’il s’agit d’une action conjointe décidée en prévision de l’abordage du convoi humanitaire maritime par les forces navales israéliennes. Au-delà de la libération des activistes, les jeunes Barcelonais·es exigent « la rupture de toute relation politique, commerciale et culturelle avec Israël ».

Les forces de l’ordre n’ont pas tenté de déloger les bloqueurs. Sur la place aussi, elles se tiennent à distance. Quelques heures plus tôt, le conseil municipal s’est réuni en assemblée extraordinaire pour une déclaration conjointe des différents partis – à l’exception de la droite (PP) et de l’extrême droite (Vox). Les élu·es ont officiellement condamné l’arraisonnement de la flottille par l’armée israélienne et demandé la libération immédiate des détenu·es ainsi qu’un cessez-le-feu.

Une cinquantaine de tentes occupent le quai du port, où accostent normalement les milliers de touristes déversés par les navires de croisières.

Dans la manifestation, au milieu de la foule, Nour, 18 ans, et sa mère sont venues pour « mettre la pression aux dirigeants » et réclamer « un embargo immédiat sur l’envoi d’armes à Israël ». Un décret dans ce sens, réclamé de longue date par la gauche radicale et porté par le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez, doit être débattu au Parlement la semaine prochaine. Le chef de l’exécutif espagnol est l’une des voix européennes les plus dures contre les exactions ordonnées par Benyamin Nétanyahou et parmi les premiers à qualifier Israël d’« État génocidaire ».

Un positionnement politique qui reflète la très forte mobilisation des Espagnol·es pour la cause palestinienne. « En Catalogne, il y a une forte histoire de lutte pour la Palestine, assure Xavi Vela. On a toujours été très conscient de leur combat et le génocide n’a fait que renforcer notre sentiment de solidarité. »

Après l’intervention au micro de plusieurs représentants syndicaux, le cortège s’est dirigé vers le port pour rejoindre le « campement Palestine » qui y est installé depuis jeudi soir. Une cinquantaine de tentes occupent le quai où accostent normalement les milliers de touristes déversé·es par les navires de croisière. Un lieu hautement symbolique : « C’est le port d’où est partie la flottille mais aussi celui par lequel passent les navires chargés d’armes pour Israël », explique Gerard Mena Leal, un des activistes sur place.

Une cuisine, un long buffet et un point d’information ont été aménagés sous plusieurs barnums. Au bout du quai, la grande tour Jaume-I, qui porte les câbles du téléphérique, a été rebaptisée « Tour Palestine » par une grande banderole, à son pied. Le campement se veut le point d’ancrage permanent de la mobilisation. « À partir de maintenant, toutes les manifestations finiront ici », assure Gerard Mena Leal.

Les activistes prévoient de rester au moins jusqu’au 15 octobre, date d’une grève générale nationale convoquée par Commissions ouvrières (CCOO) et l’Union générale des travailleurs (UGT), syndicats majoritaires. Avant cela, plusieurs défilés devraient remplir les rues des grandes villes espagnoles, samedi 4 octobre. À Barcelone, les organisateurs prévoient déjà « la plus grande manifestation pour la Palestine de l’histoire de la Catalogne ».

Cécile Debarge et Marti Blancho


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