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2) Au Maroc, la jeunesse lance une mobilisation majeure
Samedi 27 et dimanche 28 septembre, la police a dispersé d’importantes manifestations dans plusieurs villes du Maroc, et procédé à de nombreuses arrestations. Les protestations étaient pourtant pacifiques, au nom du droit à la santé et à l’éducation.
Voilà plusieurs jours qu’elles et ils se préparaient à marcher pour l’amélioration des services de santé, de l’éducation, ou encore contre la corruption. Le mouvement GENZ212 s’était donné rendez-vous samedi 27 et dimanche 28 septembre dans plusieurs villes marocaines.
Mais les manifestant·es n’auront pas eu le luxe de scander leurs slogans librement : les forces de l’ordre, massivement déployées, ont dispersé les rassemblements dans la confusion.
Samedi, à Casablanca, la foule, essentiellement composée de jeunes, n’a pas pu accéder au parc de la Ligue arabe, condamné par un long cordon policier. Ils ont dû errer de part et d’autre du boulevard Hassan-II, criant pourtant leur pacifisme. Des familles venues se promener sur la place Mohammed-V ont pu contempler, stupéfaites, des jeunes se faire emmener dans les fourgonnettes de police.
Le lendemain, les manifestant·es casablancais·es ont opté pour la place Sraghna. Encore une fois, les forces de l’ordre les ont chassé·es, s’engouffrant dans les ruelles étroites du quartier populaire de Derb Sultan. Pendant un long moment, des petits groupes se sont dispersés puis reformés, dans un inlassable chassé-croisé avec la police.
Les vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont révélé une répression sévère dans tout le royaume : des interpellations violentes, des personnes emmenées par la police au beau milieu d’une déclaration donnée aux journalistes, ou encore de vifs échanges entre manifestant·es et autorités.
Quelques semaines plus tôt, à l’hôpital Hassan-II d’Agadir, un scandale a éclaté : huit femmes ont perdu la vie à la suite d’accouchements par césarienne en l’espace d’une semaine. De quoi faire monter une sourde colère, d’abord locale, puis nationale, à l’égard de l’insuffisance des services publics les plus élémentaires. Alors même que le Maroc investit massivement dans des mégachantiers pour l’organisation de la Coupe du monde de football en 2030.
Le GENZ212, un ovni militant
Du mouvement GENZ212, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est que ses membres se font les représentant·es de la génération née entre 1996 et 2010 : au Maroc, ce sont plus de 8 millions de personnes. L’émergence du mouvement a été rapide et sa capacité à fédérer puissante, usant d’une communication ultraconnectée, de mèmes, d’images générées par l’intelligence artificielle et de vidéos virales.
En somme, dans le paysage militant marocain, GENZ212 est un ovni. Jointe par Mediapart, Souad Brahma, présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), commente : « Ce week-end peut être considéré comme un moment historique : il a montré la capacité d’une génération à s’organiser en dehors des cadres traditionnels et à faire entendre sa voix à l’échelle nationale. »
Se disant « patriote », le mouvement GENZ212 ne remet pas en cause la monarchie. « Nous considérons que le système royal est le garant de la stabilité, de l’unité et de la continuité du Maroc », lit-on dans un post Facebook daté du 21 septembre. Le mouvement est aussi apartisan... même s’il risque d’attirer la récupération politique.
À l’adresse de Nabila Mounib, députée du Parti socialiste unifié (PSU) venue manifester à Casablanca dimanche, le mouvement a adressé un message clair : « Merci d’avoir participé […]. Cependant, nous, les jeunes, ne sommes affiliés à aucun parti ni mouvement politique. »
De son côté, la Fédération de la gauche démocratique (FGD) a aussi exprimé sa solidarité avec le mouvement, en suspendant sa participation aux concertations avec le ministère de l’intérieur en vue de la réforme du Code électoral, arguant que tout scrutin perd son sens lorsque les libertés fondamentales sont bafouées. Les islamistes du Parti de la justice et du développement ont quant à eux reconnu des « frustrations et des revendications sociales légitimes », y lisant un « échec » du gouvernement en place.
Répression absurde
Pour GENZ212, il s’agissait de revendiquer le droit à une vie digne, avec un enseignement gratuit et de qualité, un meilleur accès à la santé, des médicaments abordables… Et aussi l’éradication de la corruption et la protection de la liberté d’expression, à un an des prochaines législatives.
L’accès au travail est aussi une préoccupation majeure pour les jeunes, particulièrement touché·es par le chômage. Au Maroc, 25 % des 15-24 ans ne sont ni employé·es, ni à l’école, ni en formation. Dans un post Facebook, la socioéconomiste Samira Mizbar rappelle que les jeunes sont « peu encartés ou organisés dans des structures formelles » et que « l’histoire politique du pays est pour eux du passé simple ».
Pour ses toutes premières actions, GENZ212 se sera retrouvé face à une absurde répression. En témoignent ces images choquantes d’un jeune homme, jeté dans une fourgonnette de police avec sa petite fille dans un porte-bébé. Pour Samira Mizbar, cela ne va pas dissuader les jeunes de continuer, mais au contraire, motiver ces « utopistes » : « Pas la peine de convoquer au commissariat, de leur crier dessus ou les frapper. Ils répondront par une présence plus forte. » Le mouvement a d’ores et déjà annoncé d’autres mobilisations dans les jours qui viennent.
Parmi les nombreuses personnes arrêtées, plusieurs figures de la jeunesse engagée, mais aussi quelques personnages plus traditionnels, comme l’ancien de l’AMDH Abdelhamid Amine, emmené par la police en plein milieu d’une déclaration à la presse – il sera finalement relâché.
« Au lieu d’avancer, ou d’au moins préserver les acquis du peuple en matière de droits et de libertés, le Maroc régresse et démontre qu’on est encore dans les années de plomb », fustige l’activiste Souad Brahma. Sous couvert de « rassemblements non autorisés » ou de « trouble à l’ordre public », ces arrestations sont en réalité « arbitraires », analyse-t-elle.
L’article 28 de la Constitution, qui a évolué en 2011 à l’issue d’un autre grand mouvement social, celui du 20 février, garantit la liberté de rassemblement. Mais en pratique, c’est bien plus compliqué, car les manifestations mobiles nécessitent des autorisations souvent difficiles à obtenir.
L’hôpital public, catalyseur de la colère
À la suite du scandale de l’hôpital d’Agadir, surnommé « l’hôpital de la mort », plusieurs mobilisations avaient déjà été empêchées ces dernières semaines. À Agadir, Tiznit, Tata ou encore Béni Mellal, des décrets ont même interdit tout rassemblement devant les hôpitaux.
En parallèle de la répression, le gouvernement a voulu se montrer réactif. Le ministre de la santé a reconnu des dysfonctionnements, limogé plusieurs personnalités de l’administration régionale, et lancé des commissions d’inspection dans plusieurs hôpitaux. Toutefois, la stratégie adoptée pour gérer la crise – effets d’annonce d’une part, répression de l’autre – a surtout démontré la volonté du gouvernement d’empêcher une nouvelle poussée de fièvre contestataire.
La précédente était celle du Hirak, un mouvement de justice sociale sévèrement réprimé qui avait émergé fin 2016 dans la région enclavée du Rif. Son leader, Nasser Zefzafi, purge toujours sa peine de prison. Dimanche, sur la place Sraghna de Casablanca, des voix se sont élevées pour appeler à sa libération.
Pour les jeunes de 2025, l’horizon de la Coupe du monde 2030 ajoute du sel sur les plaies. La préparation de l’événement, coorganisé par le Maroc, l’Espagne et le Portugal, met en avant un paradoxe qui leur est insupportable.
Le Maroc est un pays où de nombreuses personnes sinistrées depuis le séisme du Haouz vivent toujours sous les tentes, et où les hôpitaux manquent cruellement de moyens, mais qui investit des sommes faramineuses dans des infrastructures paraissant secondaires : le plus grand stade du monde, en construction à Benslimane, coûtera à lui seul près de 5 milliards de dirhams (470 millions d’euros). Leur message à cet égard est limpide : « La santé en premier, nous ne voulons pas de la Coupe du monde ! »
Camélia Echchihab
1) Au Maroc, GenZ 212 se soulève contre les inégalités et la corruption
Poings levés, slogans criés à pleins poumons et vidéos virales sur les réseaux sociaux : les images des rassemblements qui agitent le Maroc depuis samedi témoignent d’une mobilisation sans précédent de la jeunesse. De Rabat à Marrakech, la génération Z – les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010 – s’est rassemblée pour le quatrième jour consécutif pour exprimer sa colère.
Jusque-là pacifiques, ces manifestations ont pris une tournure violente mardi soir, avec des heurts avec les forces de l’ordre. Selon le ministère marocain de l’Intérieur, 263 membres des forces de sécurité et 23 civils ont été blessés tandis que 409 personnes ont été placées en garde à vue.
Leurs critiques visent directement le Premier ministre Aziz Akhannouch et ce qu’ils qualifient de "priorités mal placées" du gouvernement. "Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ?" lancent-ils dans la rue, en référence à l’organisation prochaine de la Coupe d’Afrique des Nations et du Mondial 2030.
Au total, 9,5 milliards de dirhams (environ 890 millions d’euros) sont alloués à la rénovation de six stades, et 5 milliards de dirhams (environ 469 millions d’euros) à la construction du Grand Stade de Casablanca, selon des sources officielles marocaines, citées par la presse francophone du Maroc.
Des investissements colossaux, alors que les établissements de santé, eux, manquent cruellement de moyens. Huit femmes enceintes sont mortes récemment dans un hôpital public Agadir, faute de soins adaptés.
"Au moins, le stade de la FIFA disposera d’une trousse de premiers secours", est-il écrit sur cette pancarte lors d’une manifestation organisée par des jeunes dans un marché de Rabat, le 29 septembre "Au moins, le stade de la FIFA disposera d’une trousse de premiers secours", est-il écrit sur cette pancarte lors d’une manifestation organisée par des jeunes dans un marché de Rabat, le 29 septembre 2025. © Abdel Majid Bziouat, AFP "Ce drame a été l’élément déclencheur des protestations, révélant un système d’alerte et d’action complètement grippé, entre une médecine publique en crise face à un secteur privé réservé aux plus aisés", analyse Mehdi Alioua, sociologue à Sciences Po Rabat-UIR. "Ce parallèle a touché beaucoup de jeunes, d’autant qu’ils voient l’État injecter des milliards dans les stades, alors qu’eux-mêmes, même diplômés, n’ont aucune perspective de vivre dignement".
GenZ 212, le porte-voix d’une génération
Derrière cette mobilisation, un collectif : GenZ 212 – le numéro de l’indicatif téléphonique du Maroc. Né sur Discord, une plateforme de messagerie privilégiée par les gamers, il se présente comme un espace de discussion sur "des questions qui concernent tous les citoyens, comme la santé, l’éducation et la lutte contre la corruption".
"Personne ne sait vraiment qui sont ces jeunes. Ce qui est sûr, c’est que ce mouvement est né de manière spontanée sur les réseaux sociaux, porté par des personnes qui n’étaient pas forcément militantes", souligne Mehdi Alioua.
Restés anonymes, ses fondateurs affirment agir "par amour de la patrie et du roi" Mohammed VI. Leur revendication tient en une formule : "La dignité et les droits légitimes pour chaque citoyen".
Avec plus de 120 000 membres sur sa plateforme, contre 1 000 à son lancement, le collectif s’est imposé en quelques jours comme le porte-voix d’une génération exaspérée. Son logo – un "Gen Z" en lettres massives traversé d’une étoile rouge, rappel du drapeau marocain, s’affiche désormais sur de nombreuses publications sur les réseaux sociaux.
"Nous n’appartenons à aucun parti ni mouvement politique. Nous sommes une jeunesse libre. Notre voix est indépendante. Notre seule revendication est la dignité et les droits légitimes pour chaque citoyen
"Nous n’appartenons à aucun parti ni mouvement politique. Nous sommes une jeunesse libre. Notre voix est indépendante. Notre seule revendication est la dignité et les droits légitimes pour chaque citoyen", explique le collectif dans sa description sur Discord, dont le serveur comptabilise plus de 120 000 membres au 1er octobre 2025.
À l’image des récents soulèvements de jeunesse en Asie du Sud-Est, comme au Népal – ayant mené à la chute du gouvernement – et plus près, à Madagascar, – qui ont fait au moins 22 morts selon l’ONU – la contestation organisée GenZ 212 adopte une forme inédite : "Son fonctionnement horizontal et sa capacité à utiliser massivement Telegram et Discord pour s’organiser en temps réel rendent la mobilisation peu coûteuse, rapide et efficace", observe Driss Sedraoui, président de la Ligue marocaine de la citoyenneté et des droits de l’Homme.
Malgré une stratégie qui se veut apartisane, le mouvement a reçu le soutien de formations politiques d’opposition comme le Parti socialiste unifié (PSU) et la Fédération de la gauche démocratique (FGD). Le parti islamiste justice et développement (PJD), plus prudent, dit comprendre les "frustrations légitimes" des manifestants.
Cette grogne de la jeunesse intervient alors que des élections législatives sont prévues en 2026 et que le gouvernement peine à convaincre. Selon le média The New Arab, le Premier ministre Aziz Akhannouch avait promis un million d’emplois en cinq ans – soit 200 000 par an – mais les programmes d’aide à l’emploi n’ont pas suivi. Le taux de chômage reste élevé : il atteignait 13,3 % en 2024, mais surtout 36,7 % chez les jeunes de 15 à 24 ans, 19,6 % chez les diplômés et 19,4 % chez les femmes, d’après le Haut-Commissariat au Plan.
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