25 et 26 mai 1918, la Légion tchèque se soulève et sépare la Sibérie de l’URSS

mercredi 13 mars 2024.
 

A) Les légions tchèques

En 1914-1918, les territoires parlant la langue tchèque font partie de l’Autriche-Hongrie, dirigée depuis 1867 par François-Joseph Ier, empereur d’Autriche et roi de Hongrie. Cet Etat compte 52 800 000 habitants dont environ 10 millions parlant allemand, 10 millions parlant hongrois et 60% ne parlant ni allemand, ni hongrois (par exemple 5,4 millions parlant tchèque, 3ème groupe ethnique de l’empire). Les aspirations nationales se développent fortement dans l’Autriche-Hongrie des années précédant la Première guerre mondiale mais aussi durant celle-ci.

Durant la guerre, des Tchèques et Slovaques (aux langues et à l’histoire très proches) militent auprès des Alliés (France, Grande Bretagne, Russie, Serbie, Italie, Etats-Unis...) pour qu’ils soutiennent la création d’un Etat tchéco-slovaque détaché de l’Autriche Hongrie alliée de l’Allemagne.

Des émigrants, des prisonniers tchèques et slovaques permettent de constituer sur les fronts de Russie, de France puis d’Italie, des légions de volontaires. Elles vont jouer un rôle tout à fait significatif lors de plusieurs batailles.

B) La Légion tchèque en Russie

Elle a combattu pendant la guerre au sein de l’armée tsariste contre l’armée de l’Empire austro-hongrois auquel sont soumis les territoires tchèques et slovaques.

De 1915 à 1917, ses effectifs croissent sans cesse grâce à l’apport de prisonniers mais aussi d’unités régulières entières formées de tchèques de l’armée austro-hongroise la rejoignant. Ainsi, le « Régiment de Fusilliers tchécoslovaques » devient la « Brigade des Fusilliers tchécoslovaques » (Československá střelecká brigáda) forte de 7 300 personnes puis la Première division de fusilliers hussites enfin le « Corps tchécoslovaque de Russie » qui va compter jusqu’à 65 000 hommes.

Lorsque la Révolution russe éclate et signe la paix, se pose la question du devenir de ces troupes sans Etat et séparées du Front français que certains veulent rejoindre par les armées allemandes et austro-hongroises.

Le 15 mars 1918, le gouvernement bolchevik leur accorde un laissez-passer pour rejoindre Vladivostok sur la Côte du Pacifique et de là partir pour l’Europe occidentale.

C) Les tribulations de la Légion tchèque

Une partie des Tchèques suit le parcours du transsibérien de la Volga au Pacifique et s’embarque. Cependant, l’état-major français chargé du rapatriement ne s’en occupe pas, beaucoup plus intéressé par le renfort de troupes américaines sur le front de Champagne et Lorraine.

Ainsi, des dizaines de milliers de soldats tchèques et Slovaques, bien organisés et bien armés se trouvent piégés en Sibérie.

Les émissaires britanniques, eux, poussent les dirigeants et soldats de la Légion tchèque à refuser le laissez-passer vers Vladivostok et à marcher vers Arkhangelsk, port que les Etats Unis et la Grande-Bretagne veulent utiliser comme base de départ d’une armée blanche apte à combattre les bolcheviks et reprendre la Russie. Lorsque les bolcheviks proposent cet embarquement par Arkhangelsk, les Britanniques prétendent manquer de bateaux et refusent ; ils n’ont pas abandonné le projet Arkhangelsk (où une escadre franco-britannique va débarquer des troupes) mais les Tchèques leur sont plus utiles en Sibérie où le war office vient d’installer Koltchak.

Les heurts sont de plus en plus fréquents entre d’une part les Tchèques obligés de réquisitionner pour vivre et d’autre part les populations et bolcheviks.

Le traité de Brest-Litovsk, signé entre d’une part l’URSS, d’autre part Allemagne et Autriche Hongrie prévoit que les Bolcheviks doivent rapatrier les prisonniers de guerre allemands, autrichiens et hongrois de Sibérie vers leurs pays respectifs.

Le 25 mai 1918, des soldats de la Légion tchèque et slovaque interceptent un train de Hongrois à Tcheliabinsk dans le Sud de l’Oural, tuent un soldat suite à une altercation, prennent la gare puis la ville (d’une grande importance industrielle à l’époque en raison de sa production métallurgique ferroviaire).

Trotski donne ordre le 29 mai 1918 de désarmer la Légion. Cependant, les unités de l’armée rouge sont bien trop faibles dans le secteur de l’Oural concerné et le long du transsibérien pour avoir le dessus sur les forces tchèques et slovaques militairement aguerries.

Ce même 29 mai, les Tchèques s’emparent de Penza puis le 30 de Syzran...

D) L’importance du soulèvement de la Légion tchèque durant l’année 1918

Celle-ci s’empare d’un territoire très vaste dans l’Oural et la Sibérie, prenant par exemple les villes de Troïk (où elles perpètrent un massacre) puis de Samara le 8 juin (où se met en place un gouvernement antibolchevique). Surtout, les principales gares de la voie de chemin de fer entre la Volga et Vladivostok tombent entre ses mains.

Le 10 août, la Légion tchèque prend la grande ville de Kazan où elle met la main sur les réserves de devises de la Banque Impériale Russe soit 651 millions de roubles-or. Poussés par les Alliés occidentaux (Grande-Bretagne, France, Etats-Unis...), les Tchèques servent alors de force d’élite pour déstabiliser le gouvernement soviétique, donnant de la crédibilité à la constitution de grandes armées blanches pour vaincre l’armée rouge.

Le général Dénikine, chef des armées blanches du Sud, a bien analysé ce rôle décisif de la Légion tchèque dans la dislocation du pouvoir soviétique en 1918 :

" Au delà de la Volga, dans l’Oural et en Sibérie, la lutte contre le pouvoir soviétique se déploya largement à une échelle correspondant aux immenses espaces de l’Est. C’est le soulèvement des Tchécoslovaques qui donna la principale impulsion. Le rôle que joua au début le corps de troupes tchécoslovaque de 30000 à 40000 hommes sur le plan militaire et stratégique illustre concrètement la totale impuissance dans laquelle se trouvait le gouvernement soviétique au printemps et à l’été 1918"

E) La Légion tchécoslovaque au sein de l’armée blanche de Koltchak

Le comportement de ces soldats Tchèques et Slovaques vis à vis des populations est considéré comme épouvantable par tous les historiens, y compris antibolcheviques. Ils font partir 250 trains de marchandises pillées vers Vladivostok.

En septembre 1918, l’armée rouge contre-attaque bénéficiant du ras-le-bol des populations. La Légion se replie vers l’Est et s’intègre dans l’armée blanche de Koltchak "chef suprême" de Sibérie.

24 décembre 1918 L’armée blanche sibérienne de Koltchak prend Perm et marche vers Moscou

L’armée tchécoslovaque représente une unité d’élite au sein des armées blanches. Début 1919, elle compte 60.000 hommes, organisés en 3 divisions de 4 régiments, 1 régiment de remplacement, 2 régiments de cavalerie, 3 régiments d’artillerie de campagne et 3 bataillons d’artillerie lourde, une batterie d’artillerie ferroviaire, une petite aviation, des troupes techniques et d’appui (Gerburg Thunig-Nittner).

F) La fin de la Légion

Lorsque la défaite des armées blanches (dont Britanniques, Américains, Français, Canadiens, Japonais...) fut consommée, les légionnaires s’échappèrent vers le Pacifique grâce à du marchandage avec les Japonais.

Voici deux témoignages sur ce dernier épisode :

* " Sur le dernier tronçon du Transsibérien, le long du fleuve Amour, les troupes japonaises font face aux Rouges et permettent aux Tchèques de passer. Beaucoup de Tchèques utilisent l’or et l’argent de Kazan pour faire des transactions importantes. Ils achètent, à des prix très nettement inférieurs à ceux du marché, du cuivre (quelque 740.000 tonnes), du coton (5600 tonnes), du caoutchouc (5000 tonnes) et du salpètre (2500 tonnes). Plus de vastes quantités de cuir, de peaux et de machines. A Vladivostok, la Légion réquisitionne vingt-huit wagons transportant des pneus de camion, pour une valeur de 38 millions de roubles. En plus, les légionnaires, pillent la résidence du consul du Danemark, dont les objets d’art précieux se sont retrouvés en 1922 dans le Musée National de Prague." Source http://euro-synergies.hautetfort.co...

* Gerburg Thunig-Nittner écrit dans son ouvrage de référence sur la Légion Tchèque, paru en 1970 : “On n’expliquera jamais complètement comment les légionnaires, à titre individuel, ont acquis cette immense fortune, qu’ils ont rapporté dans leur pays. On ne pourra jamais prouver, non plus, quelles sont les parties de cette fortune qu’ils ont acquises en toute régularité et quelles sont celles qu’ils se sont appropriées de manière illégale. Mais qu’en ce domaine, ce soit seule la loi du plus fort qui ait primé, voilà qui est hors de doute”.

Comment Trotsky à la tête de l’Armée Rouge a battu la légion tchécoslovaque (par Karel Kostal)

25 octobre 1922 La prise de Vladivostok marque la fin de la Transbaïkalie blanche et de la guerre civile russe


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