Les socialistes et le marché 4 Intervention de Guillaume Bachelay (fabiusien) le 15 décembre 2007

mardi 18 décembre 2007.
 

Chers Camarades,

Quand elle a su que nous allions parler du marché, la droite a pris un air gourmand. Elle a entonné sa vieille chanson : "Vous, les socialistes, vous avez un problème avec le marché, vous faites un blocage avec l’entreprise". La vérité, cette affirmation n’est mortelle pour la gauche que si nous la reprenons à notre compte. Alors évitons ce piège grossier et débattons. La reconstruction, c’est la réflexion.

Dans notre Commission, pas d’« archéos », point de « modernes », mais des socialistes qui partagent deux grandes analyses.

D’abord, les entreprises ne sont pas nos ennemies. Au gouvernement, nous les avons aidées, développées, accompagnées. Demain, il ne faudra pas leur mégoter notre soutien, et d’abord aux PME, si nous voulons restaurer la compétitivité de l’économie française. Mais pas n’importe quelle compétitivité ! Pas celle du moins disant salarial et social, comme le proposent les libéraux. La compétitivité que nous voulons, c’est par le haut, celle qui croit à la qualité des services publics et des infrastructures, à la recherche et la formation, à l’investissement et au long terme. Voilà ce qu’en langage socialiste, compétitivité veut dire.

Deuxième point d’accord, certitude et inquiétude à la fois : le capitalisme financier n’est pas soutenable. Pour s’en rendre compte, encore faut-il sortir de la confusion des mots et distinguer l’économie de marché et le capitalisme. L’économie de marché, c’est l’échange, l’initiative, l’émulation. Régulée, c’est une chance pour la démocratie - avec laquelle elle est historiquement liée. Le marché n’a rien de naturel. C’est une pâte à modeler : il n’est que ce que l’on en fait. Il peut être un outil de libération comme il peut être un moyen d’asservir et d’appauvrir.

C’est précisément le processus à l’œuvre actuellement. Le capitalisme financier, c’est la concentration des moyens de production entre les mains d’une nouvelle aristocratie. Elle aime la rente, pense que les autres catégories sociales sont des « variables d’ajustement » et affirme que les inégalités sont fécondes. Aujourd’hui encore, la quasi-totalité de la capitalisation boursière de la planète est possédée par 300 millions de privilégiés, soit 5% de la population mondiale. Cette réalité fait écho à une phrase célèbre : « Au fond du capitalisme, il y a la négation de l’homme car selon la logique capitaliste, il est possible qu’un jour un seul homme soit le propriétaire absolu de tous les moyens de production de la planète ». Ces mots, chers camarades, sont ceux de Jean Jaurès en 1895. Pas le Jaurès chapardé et frelaté le temps d’une campagne présidentielle par le candidat de l’UMP. Le Jaurès que je cite et qui nous parle, c’est celui qui, depuis plus d’un siècle, est la lumière des socialistes, des progressistes, des humanistes. Ce matin, Jaurès est de retour à sa juste place, c’est-à-dire parmi nous.

Distinguer le marché et le capitalisme, ce n’est pas de la sémantique, c’est de la politique. Etre réaliste, c’est reconnaître que le capitalisme financier est entré dans la zone rouge. Bulles spéculatives, crise des subprimes, parachutes dorés façon Forgeard, ce capitalisme-là s’abîme et nous tous avec. Quand des prix Nobel d’économie (pas franchement connus pour être des crypto-gauchistes) tirent la sonnette d’alarme, pourquoi les socialistes devraient-ils en rabattre ? Quand la deuxième fortune de la planète, l’Américain Warren Buffett fustige l’ineptie des baisses d’impôts de Bush pour les plus riches, au nom de quoi devrions-nous mettre un mouchoir sur notre combat pour la justice sociale ?

Réagir et agir, c’est la préconisation de notre Commission. L’onde de choc du nouveau capitalisme a jeté la gauche européenne dans une crise grave. Notre modèle était fondé sur des compromis sociaux et sur le pouvoir de la puissance publique. L’un comme l’autre sont remis en cause. Résultat, les libéraux-conservateurs sont à l’offensive ! Ce n’est pas un hasard si en Allemagne, le SPD a tiré les leçons de sa coalition avec la droite et vient d’acter l’urgence d’un nouvel Etat acteur et protecteur.

Chers camarades, les libéraux ne jurent que par le dogme du laisser-faire, nous croyons au dosage. On ne régule pas de la même façon le marché des biens d’équipement et le marché du travail ! La part respective de l’intervention publique et celle du marché peuvent varier selon les secteurs, les besoins, les circonstances.

C’est cet équilibre qui nous permet de ne pas confondre marché et marchandisation. Le vivant, l’environnement, la culture, l’éducation, la santé, l’éthique, ne sont pas des biens comme les autres. Nous refusons une société où, par exemple, le marché impose des chaînes de télé pour les bébés ! Et chaque fois que dans notre campagne municipale et départementale, nous dirons que "l’eau, le logement, l’école ne sont pas à vendre", nous serons entendus.

Les leviers pour agir existent - il en sera question ce matin. A l’échelle internationale comme à l’échelon national. Mais notre action doit aussi se porter au niveau européen. Nous sommes tous socialistes et européens. En tant que socialistes, notre devoir de relancer et de réorienter l’Europe. Régulation, production, innovation, création bien sûr, et aussi, quand il le faut, protections. 100 % d’accord pour relever le défi de la compétition internationale, mais à armes égales. Les Américains comme les Chinois l’ont bien compris, qui utilisent leur commerce, leur monnaie, leur fiscalité au service de leurs intérêts et non d’une croyance naïve dans les vertus du le libre-échange. A nous, les socialistes, de protéger la civilisation européenne - le travail plutôt que le capital, le risque plutôt que la rente, l’humanisme plutôt que l’économisme -, car personne d’autre ne le fera.

Chers Camarades, un mot pour finir. Notre Parti peut se relever et la gauche avec lui. A condition d’être fiers de ce que nous sommes et d’être sûrs de ce que nous voulons. A condition de ne baisser ni les yeux ni les bras devant la droite. A condition, au fond, de nous réapproprier un mot que l’on nous a habilement volé, un mot inséparable de notre engagement : le beau mot de rupture. Pour paraphraser et actualiser le mot d’ordre d’un socialiste célèbre - qui donnait de l’espoir et des victoires -, celui qui est pour la rupture, non pas avec l’économie de marché qui peut être positive, celui qui est pour la rupture avec le capitalisme financier, celui-là ne s’est pas trompé en adhérant un jour au Parti Socialiste et en venant à la Villette ce matin.


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