Extrême droite en Europe 1 : la maladie gagne du terrain (par René Monzat)

dimanche 9 décembre 2007.
 

Nous commençons aujourd’hui à mettre en ligne sur ce site une série de quinze articles sur la montée de l’extrême droite en Europe. Le printemps 2002 a représenté un tournant, une étape importante dans l’audience de masse de l’extrême droite ; aussi, nous reprenons l’article ci-dessous de cette époque.

En quelques mois, l’extrême droite ou le « national-populisme » ont gangrené par une émergence inédite et simultanée toute la vie politique européenne. Il ne peut s’agir d’une simple coïncidence.

La montée en puissance des courants d’extrême droite et populistes se poursuit en Europe, comme en témoigne la double secousse française et néerlandaise. À quelques semaines d’intervalles, Jean-Marie Le Pen, présent au second tour de l’élection présidentielle, élimine le candidat socialiste et de ce fait toute la gauche de ce scrutin, tandis que le mouvement bâti à la va-vite par Pim Fortuyn réussit une percée malgré l’assassinat de son leader quelques jours avant les élections législatives. Les deux cas illustrent, dans le cadre de cette poussée européenne, les situations les plus différentes possibles. Ainsi, le Front national a conquis, sans jamais la perdre depuis, une audience de masse il y a près de vingt ans. Le mouvement de Pym Fortuyn s’est constitué à partir de presque rien en à peine quelques semaines. Le FN représente une continuité idéologique et doctrinale, mais aussi militante et physique avec les extrêmes droites des décennies précédentes qu’on serait bien en peine de retrouver dans la liste Pim Fortuyn.

Vécus dans chaque pays comme un choc, les deux événements ne constituent pas des premières en Europe. Ainsi, lors des élections présidentielles roumaines le candidat d’extrême droite Corneliu Vadim Tudor, très exact équivalent de Jean-Marie Le Pen, s’est hissé jusqu’au second tour de l’élection présidentielle avec 27 % des voix. D’autre part, de brusques percées d’organisations populistes sans filiations idéologiques affichées ont eu lieu au Danemark (Dansk Volkeparti et Fremskridtspartiet), en Norvège (Fremskrittspartiet), en Allemagne du Nord où le Partei Rechtsstaatlicher Offensive du juge Schill à Hambourg a obtenu près de 20 % des voix lors de sa première candidature.

• Pas de coïncidences

En dix ans, la proportion de l’électorat des pays de l’Union européenne votant pour l’extrême droite et le populistes est passée de 3,8 % à 10 %. Une telle tendance affectant simultanément autant de pays ne saurait résulter de simples coïncidences. D’autant que malgré la diversité de leurs origines, ces mouvements développent des thématiques souvent parallèles.

La cristallisation brusque des électorats autour de partis sans passé, comme aux Pays-Bas, constitue un indice de plus du fait que ces groupes, initialement tout au moins, sont plus le reflet, l’expression de phénomènes de crise de leurs sociétés respectives que des acteurs aptes à modifier la réalité dans laquelle ils agissent. Leur poussée s’alimente donc, partiellement au moins, à des phénomènes continentaux.

Les deux dernières décennies ont connu une conjonction de phénomènes d’ordres idéologiques, sociaux et politiques qui ont affecté toute l’Europe, de l’Ouest en premier lieu. L’effondrement de « mythes mobilisateurs » qui incarnaient l’espoir que la situation des citoyens pouvait s’améliorer a bouleversé le paysage idéologique. Quatre d’entre eux se sont simultanément effondrés en l’espace d’une décennie. En premier lieu, celui du communisme menant à un avenir radieux, entraîné dans l’effondrement du bloc de l’Est. Ensuite, celui de la social-démocratie qui serait capable de changer sinon la vie, du moins les conditions d’existence. La différence entre une gestion sociale-démocrate et une gestion de droite est de moins en moins nettement perçue. Puis, le mythe de l’État-providence tissant des filets de sécurité aptes à protéger les individus et couches sociales fragilisés a sombré, chassé à la fois de la réalité et des formes légitimes du souhaitable. Enfin, l’idée que les citoyens pouvaient au moyen de leur participation aux élections peser sur le choix des politiques suivies n’a désormais plus rien d’évident. Car les élus sont corrompus, ou corruptibles. Car les forces politiques qui se succèdent au pouvoir, socialistes et conservateurs, incarnent deux variantes mal identifiables d’un même projet de « modernisation » libérale.

Dans le domaine social, la tendance séculaire vers plus de protection des individus, d’assurance ou de sécurité concernant l’avenir s’est inversée, elle va désormais vers plus de compétition, de précarité, d’incertitude ou insécurité personnelle et collective. Le résultat ne se fait pas attendre. D’abord avec le basculement de couches moyennes vers l’extrême droite (sur des thématiques parfois opposées, mais où toujours l’État prend trop d’impôt et fournit aux entreprises moyennes et artisanales un appui insuffisant). Mais aussi celui de couches ouvrières ou de chômeurs, qui se sentent menacés par la mondialisation, l’Europe, les étrangers et qui ne savent plus ce que les social-démocraties leur apportent. Ces couches populaires sont séduites par un discours souvent antilibéral que les extrêmes droites ou populistes peuvent mettre au cœur de leur discours politique comme l’a fait le FN de 1992 à 1998, ou bien réservent aux couchent sociales populaires (comme le FPÖ autrichien, dont le cœur de discours est, lui, nettement libéral).

Enfin dans le champ du politique, non seulement le champ du possible s’est restreint, mais encore les gouvernants se sont employés à le verrouiller complètement. Ils se sont ingéniés pour ce faire à inventer des formules variées, depuis la « grande coalition » déclarée, jusqu’à la fausse alternance autrichienne, en passant par la cohabitation à la française dans laquelle président et gouvernement ont déployé des années durant leur énergie à se paralyser mutuellement.

• L’Europe semble orchestrer les évolutions négatives 9L’Union européenne vient coiffer, accentuer et donner toute leur cohérence négative à l’ensemble de ces phénomènes. Elle organise la libéralisation et joue un rôle actif dans la croissance de l’insécurité sociale. Elle agit de manière administrative, sous l’égide d’une éternelle grande coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates. Pis encore, les politiques de libéralisation ont été menées avec une énergie redoublée dans les périodes où les gouvernements sociaux-démocrates dirigeaient la majorité des pays de l’Union. Sa politique renforce donc les sentiments anti-européens, d’autant que, avec une lâcheté qui semble caractéristique des gouvernants contemporains, ils imputent volontiers les décisions impopulaires à l’Europe et s’approprient sans hésiter le mérite de toutes les mesures ou politiques mises en place par les institutions européennes et susceptibles d’augmenter leur crédit. La mise en place administrative d’une Europe libérale entretient en retour la croissance des extrêmes droites et des populismes. Ces deux facteurs affaiblissent les perspectives d’une autre Europe. Les uns affirmant que l’Europe sera libérale ou ne sera pas (c’est le sens du chantage sans cesse renouvelé notamment au moment de Maastricht), les autres ayant dès lors beau jeu de dire que cette Europe a essentiellement des conséquences négatives.

Une telle dynamique ne saurait se poursuivre éternellement, car si les extrême droites arrivent à peser sur les gouvernements dans suffisamment de pays, il n’y aura pas plus d’Europe libérale que sociale. Au contraire, l’éclatement de la Communauté au nom des intérêts nationaux (ou régionaux) amènerait à un repli radical sur autant de nationalismes étroits et une situation continentale chaotique apte à renforcer les nationalismes les plus autoritaires. Il ne suffira donc pas de donner un autre contenu à l’Europe en infléchissant à la marge les politiques communautaires. Il s’agit de construire une autre Europe, ni Europe libérale, ni Europe forteresse, s’appuyant sur des acteurs politiques et sociaux continentaux, autour de perspectives sociales et politiques européennes (ne serait-ce qu’une protection sociale européenne, des services publics européens), une Europe capable enfin de jouer un rôle positif effectif dans les relations internationales. Pareil projet est un projet en rupture, suppose de gagner de vraies épreuves de force politiques et sociales, et donc de construire les acteurs politiques capables de les mener à bien. La remise en cause du traité de Maastricht, qui scelle dans le marbre le caractère libéral de la communauté, suscitera par exemple des résistances acharnées.

Les millions d’européens qui votent pour les extrêmes droites populistes croient - à tort - défendre ainsi leurs intérêts. Échaudés par des décennies de discours suivis d’effets allant dans une tout autre direction, ils, elles ne se laisseront pas impressionner par le recours aux bons sentiments (c’est mal d’être raciste), ni non plus par des discours (la pédagogie européenne ne sert non plus à rien). Les réinsérer dans l’espace politique et social-démocratique constitue un des enjeux essentiels pour une alternative européenne de gauche.

Il nous sert de courir, car nous n’avons pas su partir à point. L’alternative de droite a une longueur d’avance. De plus, la nature de son projet de repli peut lui permettre de gagner sans avoir à se constituer en acteur politique européen. L’alternative de gauche, elle, ne bénéficie pas de cette facilité. Elle doit proposer son projet, définir les moyens de l’imposer, et de surcroît mener les batailles nécessaires, avec les instruments adaptés. •


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