La casse du droit du travail : dénoncer l’inacceptable est un devoir ! (texte d’irrecevabilité défendu à l’Assemblée nationale par Alain Vidalies, Parti Socialiste)

jeudi 6 décembre 2007.
 

Texte de l’exception d’irrecevabilité déposée par le groupe Socialiste, Radical et Citoyen et défendue par Alain Vidaliès au sujet du projet de ratification de l’ordonnance du 12 mars 2007 sur la pseudo "recodification" du Code du travail.

Conformément à l’article 38 de la Constitution, l’article 84 de la loi du 9 décembre 2004 portant simplification du droit avait habilité le Gouvernement à adapter la partie législative du code du travail, dans un délai fixé par l’article 92 à dix-huit mois.

Ce délai n’ayant pas été respecté, l’article 57 de la loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié a prévu une nouvelle habilitation à « procéder par ordonnance à l’adaptation des dispositions législatives du code du travail à droit constant afin d’y inclure les dispositions de nature législative qui n’ont pas été codifiées, d’améliorer le plan du code et de remédier le cas échéant aux erreurs ou insuffisances de codification ».

L’ordonnance du 12 mars 2007, que ce projet de loi tend à ratifier, a été adoptée sur ce fondement, mais au terme d’une procédure irrégulière. Ainsi le Gouvernement n’a pas réuni la commission nationale de la négociation collective qui, aux termes de l’article L. 136-2 du code du travail, doit émettre un avis sur les projets de loi, d’ordonnances et de décrets relatifs aux règles générales touchant aux relations individuelles et collectives du travail.

Ce dernier n’a pas non plus respecté l’article L. 322-2 du même code qui impose de consulter le comité supérieur de l’emploi.

Ces irrégularités de forme, auxquelles s’ajoute le non-respect du principe de codification à droit constant, sont à l’origine d’un recours devant le Conseil d’État. Manifestement, la ratification qui nous est demandée tend purement et simplement à valider, de façon rétroactive, cette ordonnance afin que, dépourvue de caractère réglementaire, elle échappe à la censure du juge administratif. Quelle ne fut d’ailleurs pas notre surprise de lire sous la plume de la rapporteure cette extraordinaire formule, qui ne manquera pas d’intéresser le Conseil constitutionnel : l’intérêt d’une loi de ratification est notamment de rendre sans objet les recours engagés devant la juridiction administrative en donnant une valeur législative à l’ordonnance. Quel aveu ! Il s’agit de court-circuiter le Conseil d’État !

On ne saurait s’opposer à une codification pourvu qu’elle réponde à certaines exigences, en particulier le respect du droit constant et des principes constitutionnels de sécurité juridique et de lisibilité du droit.

Or, dans un avant-propos au code Dalloz de cette nouvelle partie législative, publiée avant même que nos débats ne commencent, M. Christophe Rade, professeur à l’université de Bordeaux et membre du comité d’experts installé par le Gouvernement, observe que si, « dans l’immense majorité des cas, la réécriture de certaines dispositions jugées obsolètes, la scission des articles les plus volumineux et le regroupement des dispositions jusque-là éparses ne devraient pas modifier leur interprétation », toutefois « plusieurs mois, voire plusieurs années, seront nécessaires pour que ce nouveau code révèle tous ses secrets ». L’interprétation du droit sera modifiée dans certains cas... Nous sortons donc du droit constant !

Ce serait une aberration s’il fallait attendre plusieurs mois, voire plusieurs années pour percer à jour les secrets d’une codification, normalement destinée à améliorer l’accessibilité et la lisibilité du droit. Ignorant le droit constant, ce texte prépare insidieusement des changements d’interprétation.

À l’exception des experts qui ont participé à la rédaction du projet de loi, la doctrine fait preuve d’une rare sévérité. Dans un article publié en avril 2007, Emmanuel Dockès, professeur à l’université de Lyon, note ainsi que ce texte procède à une véritable décodification du droit, mélangeant plus ou moins au hasard des lois relatives au droit du travail, et les assortissant, ici et là, de quelques ornements complexes et parfois absurdes, qui relèvent de l’humour involontaire ou de l’esthétique de Jérôme Bosch. « Le plan du nouveau code, conclut-il, a ainsi délaissé les rivages ennuyeux de la rationalité pour se situer entre l’inventaire à la Prévert et l’encyclopédie chinoise de Borges ». C’est extraordinaire !

Quant à Bernard Teyssié, professeur à l’université Panthéon-Assas, il note que la réécriture de certaines dispositions, notamment celle de l’article L. 122-14-4, pièce majeure du droit du licenciement, désormais découpé en plusieurs morceaux et éparpillé dans des chapitres ou sections distincts, témoigne d’une indifférence manifeste aux prescriptions législatives en vigueur et à l’impératif de sécurité juridique. Le défaut est manifeste, écrit-il, « lorsque la quasi-totalité des articles d’un code d’une pareille importance dans la vie de la cité sont offerts au jeu d’interprétations nouvelles au gré de leur réécriture, dislocation ou déplacement. Mais il y a mieux : de nouvelles dispositions sont induites de solutions jurisprudentielles. Contestable en soi, cette transmutation en normes de caractère législatif s’exerce de surcroît de manière fort arbitraire, au gré des préférences personnelles des rédacteurs. » Voilà une appréciation qui m’oblige à un ample débat !

Toutes ces critiques sévères émanent de spécialistes reconnus et révèlent que, sous couvert de recodification, nous sommes confrontés à une opération de démantèlement du code du travail, et, en tout cas, à une démarche qui ne correspond en rien aux objectifs d’une codification à droit constant. Pourquoi avoir déplacé des centaines d’articles vers le code rural (pour les salariés agricoles), le code minier (pour les mineurs), le code des transports (pour les entreprises de transport), le code de l’énergie (pour les salariés des IEG), le code des ports maritimes (pour les dockers), le code de l’éducation (pour certains enseignants du privé) ? Aucune habilitation ne peut légitimer une telle démarche. Comment parler d’accessibilité du droit lorsqu’on passe de règles communes, rassemblées dans un seul code, à des règles éparpillées dans neuf codes différents ? Outre que ce choix marque un retour en arrière dans l’histoire du droit du travail, chacun comprend que l’objectif est de diviser les salariés et d’atomiser les règles du droit social. La lisibilité n’est certainement pas au rendez-vous lorsque la volonté de n’énoncer qu’une règle par article aboutit à démembrer la règle établie !

Ainsi l’article L. 122-14-4, relatif aux indemnités dues en cas de non-respect de la procédure de licenciement, a été éclaté en six articles qui ne se suivent même pas ! En guise de simplification, l’ancien code à neuf livres est devenu un code avec huit parties. Il y avait 271 subdivisions : on en aura 1 890. Il y avait 1 891 articles de loi, il y en aura 3 652 !

L’une des difficultés majeures provient de la déclassification de très nombreux articles, transférés dans la partie réglementaire. Le Conseil constitutionnel a certes reconnu la possibilité d’une telle déclassification à l’occasion d’une procédure de recodification, mais il subsiste un problème juridique sur la règle retenue en l’espèce et un problème politique sur le contenu de la future partie réglementaire.

Je veux rappeler ici que la codification à droit constant n’est pas une règle opposable au Gouvernement pour la partie réglementaire. Autrement dit, après avoir déclassifié des dispositions législatives de l’actuel code du travail, le Gouvernement pourra ensuite faire ce qu’il voudra, soit directement lors de la codification de la partie réglementaire, soit ultérieurement, dans l’exercice de son pouvoir propre. Or notre Assemblée n’a été ni saisie, ni même informée du contenu de cette future partie réglementaire. Vous comprendrez notre crainte, pour ne pas dire nos soupçons !

Le choix des articles déclassifiés n’obéit en l’espèce à aucune règle intelligible au regard des dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution. Pourquoi telle disposition a-t-elle été déclassifiée et pas telle autre ? Nul ne le sait. Aucune explication ne figure à l’appui d’une démarche qui concerne quand même près de 500 articles de l’ancien code !

Le Gouvernement a procédé à des ajouts purs et simples de normes qui excèdent les impératifs de cohérence des textes et d’harmonisation du droit. Ainsi, dans le nouvel article L. 1251-1, le Gouvernement a défini la notion de travail temporaire et les contrats auxquels il donne lieu. Il s’agit de créations ex nihilo empiétant sur la compétence exclusive du législateur.

Le Gouvernement a également supprimé des dispositions en vigueur au moment de la publication de l’ordonnance. Ainsi, les articles L. 140-6 et L. 141-15 de l’ancien code, qui confiaient aux inspecteurs du travail le contrôle de l’égalité salariale entre hommes et femmes et le contrôle des infractions aux dispositions régissant le SMIC, ont été abrogés. Au reste, le Gouvernement a dû reconnaître certaines erreurs, notamment pour ce qui concerne les dispositions assez surprenantes qui avaient, pour les journalistes étrangers en mission en France, écarté la présomption de salariat, par une sorte d’application anticipée de Bolkestein II !

Malgré les quelques rectifications auxquelles il a été procédé, nous considérons que le principe du droit constant est largement bafoué. Ainsi, les peines de récidives ont disparu de très nombreux articles. De même, certaines sanctions pénales ont été supprimées, comme celles de l’ancien article L. 153-1, qui prévoyait d’une façon générale les mêmes sanctions pour la violation d’accords collectifs étendus dérogatoires à la loi que pour la violation des dispositions législatives ou réglementaires en cause.

La compétence du conseil des prud’hommes est modifiée au profit du juge judiciaire pour la résolution des litiges sur les heures de délégation des représentants du personnel ou sur l’application du forfait jour. Ce n’est pas neutre ! Le gouvernement se donne les moyens de priver demain le conseil des prud’hommes, par un simple décret d’application, de compétences essentielles, aujourd’hui reconnues par la loi.

Autre problème non négligeable, les décisions du conseil des prud’hommes pour la requalification des contrats à durée déterminée et des contrats de travail temporaire ne sont plus exécutoires de droit à titre provisoire.

Les compétences de l’inspecteur du travail sur la médecine du travail, les contrats d’apprentissage, les infractions sur les entreprises de travail temporaire ont également disparu. L’inspection du travail, dont l’indépendance est garantie par la convention de l’OIT, est parfois remplacée dans ses attributions par une autorité administrative qui ne présente évidemment pas les mêmes garanties.

Dans les principes généraux de prévention, les obligations des travailleurs sont traitées à égalité de normes avec les obligations des employeurs, au risque de compromettre une jurisprudence largement établie.

Pour longue qu’elle soit, cette liste n’est pas exhaustive. Elle révèle sans contestation possible que le principe du droit constant n’a pas été respecté. Lorsque le Gouvernement est habilité à opérer une codification à droit constant sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, il doit respecter les exigences constitutionnelles, telles qu’elles résultent, notamment, de la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999, précisant à propos de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi : « L’égalité devant la loi énoncée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la garantie des droits requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; une telle connaissance est en outre nécessaire à l’exercice des droits et libertés garantis tant par l’article 4 de la déclaration que par son article 5. »

Je rappelle que la jurisprudence constitutionnelle considère également que ces exigences seraient méconnues si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de l’aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée.

En définitive, cette procédure de recodification est un rendez-vous manqué. Le texte, déjà largement critiqué et parfois incompréhensible, sera difficile à utiliser pour tous les acteurs de la vie sociale. Il ouvre la porte à des interprétations nouvelles et modifie parfois carrément le fond du droit. Aucun des impératifs fixés par le Conseil constitutionnel n’est respecté.


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