Prix du pétrole : vrais et faux responsables

lundi 26 novembre 2007.
 

De 25 dollars en 2002, le baril de pétrole est passé à près de 100 dollars. Le carburant a augmenté en France de 26% depuis 3 ans et le fioul domestique de plus de 51%, soit 5 à 10 fois plus vite que l’inflation générale. En à peine 3 ans la facture pétrolière des ménages français est passée de 26 à 33 milliards d’euros, soit une hausse moyenne annuelle de 267 euros par ménage, avec des pics de 700 euros pour un ménage ayant deux voitures et se chauffant au fioul. Et pourtant les responsabilités réelles restent cachées.

Les boucs émissaires : le fisc et les pays producteurs

Commençons par écarter l’hypothèse fausse et pourtant répandue dans les médias selon laquelle les taxes alimenteraient essentiellement la hausse des prix. Celle-ci est absorbée à 17% seulement par les finances publiques et 83% par le marché pétrolier. Tout simplement parce que le principal impôt qui pèse sur les carburants, la TIPP, n’est pas, à la différence de la TVA, calculée sur les prix mais sur les quantités consommées. La variation du prix du litre n’a donc pas d’effet magique pour les finances publiques. Autres responsables souvent pointés du doigt : les pays producteurs qui rationneraient l’offre alors que la demande est tendue. Ils sont d’autant plus suspects qu’à la différence du fisc, ils tirent fortement profit de l’envolée des prix : les recettes pétrolières encaissées par les pays de l’OPEP ont bondi de 199 milliards en 2002 à près de 700 milliards pour 2007. Mais l’accusation est injuste car ils offrent aujourd’hui des volumes de pétrole brut qui couvrent la demande mondiale.

Les vrais responsables : les majors pétrolières privées et les marchés financiers

Or l’industrie pétrolière, dominée par des compagnies occidentales, ne suit pas du tout. Faute d’investissements, elle a organisé un gigantesque rationnement des capacités de raffinage (transformation du pétrole brut en carburant). Les pays producteurs en sont d’ailleurs eux-mêmes victimes : si l’essence y coûte très peu chère, elle y est souvent rationnée à la pompe car les compagnies orientent prioritairement le raffinage vers les pays occidentaux. L’industrie pétrolière limite le raffinement dans le seul but d’accroître ses profits. La marge de raffinage a ainsi été multipliée par trois depuis 2003. Dans la facture du consommateur, le prix payé pour les activités de raffinage et distribution a augmenté en quatre ans de 110% pour l’essence et de 94% pour le gazole, sans aucun lien avec la réalité des coûts. Ainsi s’expliquent en partie les profits pharaoniques dégagés depuis quelques années par les majors pétrolières : rien qu’en 2006 39,5 milliards pour ExxonMobil (+215% depuis 2002), 25 milliards pour Shell (+172%), 22 milliards pour BP, 17 milliards pour ChevronTexaco et 12,6 milliards pour Total (+110% depuis 2002), soit le plus gros profit jamais réalisé par une entreprise française.

Ce goulet d’étranglement alimente la spéculation sur les marchés pétroliers et, via leur financiarisation, tire vers le haut tous les prix du secteur, y compris ceux du brut. Les marchés financiers contribuent aussi à la très forte volatilité des prix du pétrole : sur-réaction à tout événement présumé dangereux pour les capacités de production, prix lestés de primes de risques variant en fonction des pays producteurs. C’est ainsi qu’une déclaration du président iranien peut faire bondir le baril de 10 dollars, sans lien avec la production réelle. Cette financiarisation du marché pétrolier est d’autant plus poussée que prolifèrent les produits dérivés (de couverture des risques notamment). Elle autoalimente une surenchère spéculative largement responsable de l’envolée des prix depuis 2 ans.

L’exemple pétrolier français : planification publique ou anarchie marchande ?

Avant de participer à cette orgie mondiale de profits sur le dos du consommateur, le secteur pétrolier français a longtemps été dominé par d’autres préoccupations. Dépourvue de ressources pétrolières en métropole, la France n’avait pas d’atout particulier pour avoir une industrie pétrolière de grande envergure (la 4ème mondiale). Comme dans bien des domaines, elle va la construire sous l’impulsion de l’Etat. Dès 1745, l’Etat s’intéresse à la première manufacture pétrolière du monde à Péchelbronn en lui accordant des lettres patentes royales pour produire huiles et asphaltes. Après avoir laissé le secteur en friche pendant tout le 19e siècle, les gouvernements diagnostiquent après la 1ère guerre mondiale que le désordre marchand qui y règne est un handicap pour le pays. Un monopole d’Etat sur les importations de pétrole est instauré et toute concession gratuite ou perpétuelle interdite comme contraire à l’intérêt général. Une Compagnie française des pétroles chargée de " développer une production de pétrole sous contrôle français" est mise en chantier. La loi du 30 mars 1928, qui sera en vigueur jusqu’à la libéralisation du secteur dans les années 1980-1990, place tout le pétrole brut, ses dérivés et résidus sous l’autorité de l’État. S’ensuivent plusieurs décennies de développement industriel tiré par les investissements publics qui vont permettre à la France de se hisser au premier rang de l’innovation technologique : création à Strasbourg de la première école mondiale des métiers du pétrole, invention de la prospection électrique puis après la guerre construction des plus grands pétroliers du monde et invention des forages horizontaux. Jusque dans les années 1980, l’industrie pétrolière fera directement partie des objectifs de planification économique du pays, ce qui rendait impossible une envolée des prix à la pompe due aux raffineurs et distributeurs.

La privatisation de Total et Elf au détriment du consommateur et des investissements

Dès 1986, la droite ouvre le capital d’Elf (jusque là publique) dont elle achèvera la privatisation en 1994 sous Balladur. En 1992, les principes de la loi pétrolière de 1928 sont abandonnés et l’Etat se désengage du consortium d’économie mixte Total-CFP (dans lequel il détenait 30% et une voix prépondérante). Dès lors l’Etat s’est dramatiquement privé de tout instrument efficace de pilotage. Après sa fusion avec le belge Petrofina puis avec Elf, Total se hisse au 4ème rang mondial des compagnies pétrolières. Puis elle se lance dans une course à la rentabilité financière au détriment des investissements dans ses capacités de production et surtout de raffinage. Total déverse ainsi sur le marché mondial deux fois plus de pétrole brut qu’il n’est capable d’en raffiner. L’Institut français du pétrole explique que « cette inadéquation de l’outil de raffinage à la demande est la conséquence de nombreuses années d’investissements réduits dans de nouvelles capacités ». Entre 2002 et 2005, les investissements productifs de Total ont ainsi augmenté 5 fois moins vite que ses profits (+22% d’investissements de production contre + 106% de profits). Les salariés n’en voient pas non plus la couleur : le salaire moyen a baissé de 8% en trois ans et la part des salaires dans la valeur ajoutée chuté de quatre points. L’essentiel de ces profits faramineux n’est donc pas réinvesti à long terme mais sert à financer des acquisitions dans d’autres groupes et surtout pour moitié à augmenter la rémunération des actionnaires et racheter ses propres actions. De 2000 à 2005, Total a ainsi doublé le dividende versé par action. Pire, il a racheté pour plus de 21 milliards d’euros de ses propres actions. Cette pratique purement spéculative sert à faire grimper artificiellement le cours et à augmenter le dividende versé par action, le tout en faisant littéralement partir de l’argent en fumée, sous forme de destruction du capital de l’entreprise. Rien qu’en renonçant à ces rachats d’action stériles, Total pourrait chaque année compenser l’alourdissement de la facture pétrolière des ménages.


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