Le Livret A doit rester au coeur du Pacte social et républicain (Lettre ouverte à Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République)

samedi 24 novembre 2007.
 

Monsieur le Président,

Le 10 mai 2007, la Commission européenne, au nom des règles de concurrence fixées par les traités, a donné à la France un délai de 9 mois pour réformer en profondeur le mode de distribution du Livret A et du Livret Bleu attribué, aujourd’hui, à la Banque postale, aux Caisses d’épargne et au Crédit mutuel. Cette décision, bien au-delà de ses effets sur les équilibres économiques des établissements concernés, est susceptible d’affecter de manière grave et définitive la cohésion sociale dont vous êtes le garant devant les Français.

Depuis sa création en 1818, le Livret A (45 000 000 de titulaires) est le symbole de l’épargne populaire. Tous les gouvernements qui se sont succédé se sont attachés à préserver son mode de distribution, ainsi que son mode de centralisation des fonds confiée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Ils l’ont fait au nom de deux impératifs majeurs et incontournables : le financement du logement social ,cofinancé à 80 % par le Livret A et la lutte contre l’exclusion bancaire.

Dans son rapport 2007 sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre chiffre à 5 963 145 le nombre de personnes en situation de réelle fragilité à court ou moyen terme. L’Union sociale pour l’Habitat qui rassemble l’ensemble du mouvement HLM estime, au 31 août 2007, que plus d’un million de demandes de logement HLM sont en attente en France métropolitaine.

Aujourd’hui, environ 10 000 000 de personnes résident dans le parc HLM et acquittent, en moyenne, des loyers deux fois moins élevés que dans le secteur privé. Il est prévu que le financement du plan Borloo de relance du logement social repose à 80% sur les fonds collectés par le Livret A.

D’une manière générale les Français continuent de vivre une situation de crise en matière de logements : logements chers, loyers élevés, ségrégation, difficultés d’accès au logement, existence de sans-abri ...

D’autre part, à défaut de chiffrage officiel, on estime couramment, depuis le débat législatif en 2004 sur la mise en place de la procédure de rétablissement personnel, que l’exclusion bancaire touche environ 5 000 000 de personnes dans notre pays. Or, par excellence, le livret A représente le dernier outil de lutte contre l’exclusion bancaire. En l’absence de tout dispositif légal de service universel bancaire gratuit, les populations les plus démunies et souvent âgées (exclus, bénéficiaires de minimas sociaux, travailleurs émigrés ...) utilisent leur livret quasi-quotidiennement pour effectuer leurs opérations financières.

Produit d’épargne populaire sans équivalent au niveau international, le Livret A a fait la preuve de sa solidité depuis des décennies. En 190 d’existence, il n’a jamais spolié aucun épargnant. Il est le moins coûteux, en Europe, pour les finances publiques. Une déstabilisation du système aurait un impact négatif sur les finances publiques nationales et locales et sur l’offre de logements social.

Une hypothèse inacceptable en cas de banalisation du Livret A, et pourtant très vraisemblable, serait que la plupart des établissements financiers cherche à capter les bons clients et décourage les autres, aux dépens des réseaux déjà actifs qui conserveraient la seule clientèle sociale. L’objectif étant alors de siphonner les fonds du livret A au profit de placements plus profitables.

De plus, en cas de banalisation, le secteur bancaire ne manquerait pas de contester le système de centralisation auprès de la CDC. A cet égard, le précédent du CODEVI (6 % des fonds collectés aujourd’hui centralisés par la CDC) est très éclairant. Dès lors, le système de financement du logement social, tel que nous le connaissons aujourd’hui, aurait vécu. Il serait entièrement entre les mains des banques.

Des établissements financiers, à la santé déjà très florissante, seraient alors en capacité d’imposer leurs conditions aux organismes HLM chargés d’assurer dans de bonnes conditions le logement de la fraction la plus modeste et la plus vulnérable de la population. La Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts, présidée par M. Michel Bouvard (Député UMP de la Savoie) a, en plusieurs occasions, souligné que la question « de la distribution du livret A et la question de sa banalisation » était « du ressort des pouvoirs publics » (communiqué du 9 mai 2007).

Elle a également mis en garde en pointant que : « les nouveaux réseaux collecteurs pourraient être amenés à proposer aux détenteurs du livret A d’autres produits financiers ». « Elle juge ce risque comme très sérieux » et estime : « En définitive les fonds centralisés à la Caisse des dépôts pourraient progressivement ne plus permettre d’assurer le financement du logement social ».

Rappelons qu’outre des parlementaires de la majorité et de l’opposition, la Commission de surveillance de la CDC est notamment composée de magistrats issus du Conseil d’Etat et de la Cour des Comptes, du Gouverneur de la Banque de France et du Directeur du Trésor au Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi.

La mission sur le Livret A, confiée par le Premier ministre, au groupe de travail présidé par Michel Camdessus n’est, de toute évidence, pas de nature à écarter le risque d’implosion du système du financement du logement social. Cette mission ayant notamment « pour objectif de moderniser et améliorer les circuits de financement du logement social », donc elle peut envisager d’accompagner la banalisation voulue par Bruxelles en veillant principalement aux équilibres économiques au sein du système bancaire français.

Cette mission porte également un discrédit certain sur le recours déposé, le 23 juillet dernier, par le ministère de l’Economie et des Finances devant la Cour de justice des communautés européennes à Luxembourg dans le but de contester la décision de la Commission européenne. Comment peut-on, à la fois, valablement contester juridiquement la décision de la Commission européenne et s’y préparer ?

C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, au nom de la nécessaire sauvegarde du pacte social et républicain, nous vous appelons, de la manière la plus solennelle, à indiquer clairement à la Commission européenne que le système actuel de distribution du livret A et du livret bleu (Banque Postale, Caisses d’Epargne, Crédit Mutuel) ainsi que sa centralisation sécurisée et son emploi par la Caisse des dépôts à des fins d’intérêt général, constitue un service public inaliénable et échappe aux règles communautaires de libre concurrence édictées par les traités commerciaux européens

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

Cette initiative émane de l’intersyndicale du secteur semi-public économique et financier composé des organisations qui suivent :

CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS (CFDT, CGT, CFE/CGC, FO, UAI/UNSA)

CAISSES D’EPARGNE (CFDT, CGT, SUD) -

LA POSTE (FEDERATION SUD PTT)

IXIS (CGT) -

CAISSE NATIONALE DE PREVOYANCE (CGT) -

BANQUE PALATINE (CGT)

CREDIT FONCIER (CFDT, CFE/CGC, CGT, FO, SUD) -

NATEXIS BANQUES POPULAIRES (CGT) -

BANQUE DE FRANCE (CFDT, CGT, FO, SIC, SNABF SOLIDAIRES) -

INSTITUTS D’EMISSION DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER ET DES TERRITOIRES D’OUTRE-MER (CGT) -

AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT (CFDT, CGT) -

OSEO (CGT) -

UBIFRANCE (CGT) -


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