Les régimes très spéciaux des vrais privilégiés

jeudi 22 novembre 2007.
 

Qui n’a entendu parler des régimes de retraite chapeau, ne serait-ce qu’à l’occasion du départ des dirigeants de telle grande entreprise mise à mal par l’incurie de ces derniers ?

Mais qu’est-ce au juste qu’un régime chapeau ? Du point de vue technique, un régime chapeau (plus précisément un régime de retraite à prestations définies) tend à garantir à son bénéficiaire, le jour où il prendra sa retraite, une rente qui viendra compléter les pensions qu’il percevra comme tout salarié (la pension du régime général, la pension complémentaire du régime ARRCO et, s’il a le statut de cadre, la pension complémentaire du régime AGIRC) de manière à ce que l’ensemble représente un pourcentage (le plus souvent 75 % de la rémunération brute, soit près de 100 % de la rémunération nette) de la rémunération qu’il percevait auparavant pendant sa période d’activité. On s’explique aisément l’intérêt d’un tel régime pour les cadres dirigeants. En effet, ni le régime général (dont les pensions sont plafonnées à 50 % du salaire annuel moyen des vingt-cinq meilleures années dans la limite du plafond de cotisations), ni les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC (dont les cotisations sont prélevées sur les salaires dans la limite de plafonds) ne garantissent un taux de remplacement atteignant de tels montants. S’agissant de dirigeants dont les rémunérations dépassent - et de loin ! - les plafonds retenus par les régimes de retraite ouverts à tous, c’est en pratique du régime chapeau qu’ils tirent le plus clair de leur retraite, un chapeau dont les dimensions tiennent plus du haut de forme que du canotier !

Pour financer de tels dispositifs, il est un moyen très simple : la souscription par l’entreprise d’un contrat d’assurance de groupe réservé à une poignée de bénéficiaires auprès d’une société d’assurance, qui s’engage à verser le jour venu, normalement sous forme de rente, la prestation différentielle, moyennant le versement des primes par l’entreprise. Simple, le moyen est coûteux : eu égard au montant garanti, au petit nombre de bénéficiaires, aux aléas de la démographie, et de l’économie, le montant des primes demandés par les assureurs atteint des sommets. Du point de vue fiscal, l’opération est pain bénit : l’entreprise déduit le montant des primes qu’elle verse de ses charges et réduit ainsi d’autant le montant de ses bénéfices imposables ; quant au dirigeant, mieux vaut pour lui que l’entreprise paie directement des primes pour une retraite à venir plutôt que de lui allouer une augmentation directe de salaire qui viendrait alourdir l’impôt sur le revenu.

Qu’en est-il pour la Sécurité sociale ? C’est là que réside l’un des intérêts rarement avoués des régimes de retraite chapeau. Dès lors que la souscription du contrat d’assurance garantit, à terme, un avantage (et quel avantage !) au cadre dirigeant, le montant des primes versées par l’entreprise devrait, normalement, rentrer dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale (laquelle est désormais entièrement déplafonnée à la seule exception de l’assurance vieillesse), de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). En réalité, il n’en est rien, les grandes entreprises et les sociétés d’assurance s’étant ingéniées à échapper aux prélèvements avec la complicité de gouvernants bien peu soucieux de l’intérêt général. Il a fallu deux étapes :

Avant 2003, les primes versées par l’entreprise n’étaient exonérées de cotisations que pour autant qu’elles excédaient un plafond. Une loi de 1979 avait entendu en effet, pour l’ensemble des salariés, exonérer de cotisations de sécurité sociale les contributions versées par l’employeur pour le financement de régimes complémentaires de retraite et de prévoyance, tout en limitant le montant des sommes exonérées à un maximum fixé à 85 % du montant du plafond des cotisations (soit environ 2000 € par mois, ce qui laisse tout de même quelques marges...). Les primes versées pour le financement des régimes de retraite chapeau excédant souvent ce plafond, elles étaient réintégrées, pour le surplus (souvent très élevé), dans l’assiette des cotisations. La loi du 21 août 2003 sur les retraites (autrement dit la loi Fillon) est allée nettement plus loin. Désormais les primes versées par l’employeur pour le financement d’un régime de retraite à prestations définies sont entièrement exonérées de cotisations de sécurité sociale, de CSG et de CRDS ; elles sont simplement assujetties au paiement d’une contribution de 6 %. Comme si cela ne suffisait pas, la loi a prévu que ces dispositions s’appliqueraient immédiatement, y compris aux litiges en cours entre les URSSAF et les entreprises, ce qui est une excellente façon de dire qu’elles sont plus favorables aux entreprises que la précédente formule. Est-il utile d’épiloguer ? Grâce à la loi du 21 août 2003, les primes versées à l’assureur échappent à un ensemble de cotisations et de contributions dont la somme s’élève à près de 45 % (cotisations employeur et salarié, CSG et CRDS), moyennant une modeste contribution de 6 % ! Singulière conception de l’équité dont ce bon M. Fillon (qui parle d’autant mieux des vertus du travail qu’il n’a jamais exercé aucune activité professionnelle !) ne cesse de nous entretenir ! Ce n’est même plus : « Travailler plus pour gagner plus », comme le répète à l’envi M. Sarkozy (qui vient de doubler sa rémunération quelques mois après avoir refusé tout coup de pouce sur le SMIC) ; c’est carrément : « Travailler autant (quand ce n’est pas : Mettez votre entreprise en faillite !, n’est-ce pas MM. Forgeard, Lagardère et autres), gagner plus et contribuer (beaucoup) moins ! »

On aimerait connaître le coût pour la Sécurité sociale d’une pareille largesse au profit d’une poignée de nantis. Faut-il rappeler que la Cour des comptes a chiffré récemment à trois milliards d’euros le manque à gagner pour la sécurité sociale des dispositions qui exonèrent pour une large part de cotisations les stock options et autres formes de rémunération développées par le capitalisme financier ? Un chiffre que l’on rapprochera sans peine des 800 millions escomptés de l’institution de nouvelles franchises en assurance maladie en 2008. Si M. Sarkozy tient tant à améliorer la prise en charge des victimes de la maladie d’Alzheimer, qu’il sache que les sources de financement existent, qu’il suffit simplement d’assujettir à cotisation selon la norme commune les rémunérations démentielles des dirigeants de quelques sociétés, sans qu’il y ait lieu de réduire encore l’étendue de la couverture des soins. D’ailleurs, à constater les pertes de mémoire dont paraissent souffrir les protagonistes de l’affaire Airbus/EADS, la mise à contribution des rémunérations, retraites-chapeau et autres débordements des dirigeants des grandes entreprises, paraît incontestablement mieux appropriée que la réduction des droits de l’ensemble des assurés !

Aristote collectif de citoyens


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