Qui veut encore des forêts ?

samedi 6 avril 2024.
 

Arbres, forêts : plus on les saccage, plus on en parle (l’ONU décrète une journée mondiale, ce 21 mars). On va jusqu’à en faire des autobiographies. Pour l’instant, après le coup de pub de Peter Wohlleben sur la « vie secrète des arbres », il faut encore comprendre, savoir. Pour faire stopper le massacre par des politiques efficaces. (Gilles Fumey)

Commençons par le constat : l’Institut des ressources mondiales a chiffré à 4 millions d’hectares de forêts primaires[1] la disparition des forêts en 2022, soit 10% de plus qu’en 2021 (pour ceux qui ne mesurent pas bien : un terrain de football d’arbres tropicaux toutes les 5 secondes). Où ? Au Brésil, en République démocratique du Congo (RDC), en Bolivie, au Pérou et en Colombie, au Laos, etc. Pétroliers et gaziers s’en donnent à cœur joie, après les multinationales de la viande, du cacao, de l’or dans les anciennes colonies de l’Europe qui restent, souvent, des pays pauvres. Les incendies d’origine naturelle ou non, eux, détruisent la forêt surtout dans l’hémisphère nord.

Comment s’y prendre ? Pour se documenter, atlas et enquêtes (en fin d’article) foisonnent. Au-delà des questions sur les menaces, la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité, les ressources, les apports à la santé publique déjà bien connus, il faut faire des choix. Faut-il encourager « le retour des forêts sauvages » ou « reconstruire une forêt primaire en Europe » ? Les plantations d’arbres ont montré leurs limites, mais la réintroduction d’espèces animales et la libre évolution de la nature sont des pistes utilisées par des collectifs d’écologistes. Pourquoi ? Pour trouver de nouveaux modes de gouvernance de la nature : ainsi, une meilleure répartition des responsabilités (pollueurs=payeurs ?), une décentralisation des pratiques de gestion de l’environnement, deux démarches qui peuvent être considérées comme des formes de démocratisation de la gouvernance.

Francis Hallé, célèbre botaniste du Muséum, a mobilisé des institutions, des citoyens, des collectivités, des entreprises pour imaginer de nouveaux modes de relation à l’environnement. Sur le modèle de la dernière forêt primaire d’Europe, en Pologne, à Białowieża à cheval sur le Belarus (photo), le vaste massif de forêt ancienne comprend à la fois des conifères et des feuillus sur près de 142 000 ha. Labellisée par l’Unesco, la forêt hébergeant aussi la plus grande population de bisons d’Europe, l’espèce animale emblématique du lieu.

Les humains doivent-ils avoir accès à une forêt en libre évolution ? La solution serait d’organiser les visites pour limiter les impacts, comme on le fait pour les aires protégées des parcs naturels qui ont des zones « cœur », « tampon », « transition ». Pour les forêts primaires, l’objectif est de mobiliser les citoyens, les chercheurs pour trouver les outils juridiques de sécurisation des forêts en vue d’une transmission aux générations futures.

On peut, comme Vincent Moriniaux[2], se demander si les forêts d’aujourd’hui pourraient être considérées comme des communs – au même titre que l’eau ou l’air, pourrions-nous ajouter. Difficile d’ignorer l’histoire des forêts dont la gestion avait été préemptée par les féodaux du Moyen Age, terme dans lequel on range les seigneurs comme les abbés des grands monastères d’alors. Comment sortir les forêts de la propriété foncière ? On a la complexité de la réponse à la question en relisant ce qu’un ministre brésilien avait répondu à une question sur l’internationalisation de l’Amazonie.

De son côté, l’écrivain italien Daniele Zovi tente une « autobiographie » du plateau d’Asagio, où il n’y a eu ni château, ni maison de maître, ni cathédrale « pour la bonne et simple raison que la terre appartient au peuple et que ses fruits appartiennent à tout le monde, comme dans l’usage ancien » (Mario Rigoni Stern). Ici, la liberté de cet espace est liée à l’alliance avec la Sérénissisme république de Venise, qui a duré quatre siècles, jusqu’à la chute de la capitale des doges. Citant Baudelaire qui écrit « La nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles »[3], Zovi narre le retour du loup qu’il juge nécessaire à la survie de la forêt. « Écouter le hurlement du loup, comme c’est déjà le cas pour le chant des oiseaux ou le brame du cerf, nous rappelle que nous appartenons à la Terre et nous rapproche du mystère qui l’entoure ».


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