La loi Macron II : préparatifs pour une nouvelle casse sociale

jeudi 28 mars 2024.
 

Macron, chef d’orchestre de la casse sociale.

Ordonnances de 2017, marginalisation des 35 heures, inversion de la hiérarchie des normes dans le Code du Travail, suppression des CHSCT (Comité d’entreprise et le Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail), entre autres. Le bilan du chef de l’État est dramatique.

Comme si le mal n’avait pas déjà été assez fait, l’acte II se prépare par une nouvelle loi. Son ambition : la vie plus belle aux entreprises. Son fil rouge ? La « simplification ». Un mot-valise qui veut tout et rien dire. Une formulation qui, dans la bouche des néolibéraux signifie : moins de droits pour les travailleurs, moins de protection pour les salariés, le tout au profit des patrons et des profits. La mobilisation sociale doit s’organiser pour lui faire barrage. Notre article.

L’acte 1 de la casse sociale organisée par Macron

Dans la guerre livrée par Emmanuel Macron aux travailleurs, le premier coup fut sa loi de 2015, alors qu’il était ministre du « socialiste » François Hollande. Elle incluait, entre autres, une attaque sur le repos dominical et de considérables facilitations des procédures de licenciements collectifs. Ensuite, nous eûmes la loi de 2016, dite « loi El Khomri », et les ordonnances Macron de 2017.

Cette triple offensive frappa les travailleurs au cœur. Ils subirent l’augmentation significative de la durée maximale du travail, leurs patrons pouvant désormais imposer 12h de travail par jour dans certains cas. On vit venir des aménagements de la période de calcul des heures de travail, qui marginalisaient encore davantage les 35h. À un niveau plus technique, mais plus fondamental, l’inversion de la hiérarchie des normes entre l’accord d’entreprise et l’accord de branche, fit primer, dans la plupart des cas, le premier sur le second.

Ce alors que, en droit du travail, il est constant que la norme générale serve davantage l’intérêt du travailleur, puisqu’il a le secours d’une force plus grande que lui face à celle de son employeur. Mais, dès lors que l’on accorde la primauté à l’accord d’entreprise, on introduit un face à face entre l’employeur et l’employé, ne pouvant que tourner à l’avantage du patron. C’est évidemment exactement en ce sens que cela fut fait. La réforme visait, par exemple, à ce que l’on puisse, au niveau de l’entreprise, attaquer les primes conventionnelles ou réduire les exigences en matière de prévention des risques.

Mais, dans la loi Travail, on cibla aussi ceux ayant pour mission de défendre les salariés. Il existait, auparavant, les délégués du personnel, le Comité d’entreprise et le Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ces trois instances avaient leur rôle, leurs prérogatives, celles du CHSCT étant particulièrement sensibles. Doté d’une personnalité juridique, il se devait de veiller au respect de la sécurité et de la santé des travailleurs par l’employeur, et avait des pouvoirs d’enquête étendus. Les trois instances furent fusionnées, dans le secteur privé, au sein des Comités sociaux et économiques (CSE), aux prérogatives moins étendues, particulièrement en matière de santé et de sécurité.

Tout cela dans les trois premières années de la Macronie. Il y eut ensuite tant de coups portés à l’état social que leur synthèse prendrait plus d’un article. On trouvera dans Alternatives économiques un excellent dossier, « Macron, le bilan », qui récapitulait de manière plutôt exhaustive (et plutôt horrifiante) l’état des choses en 2022.

Ce qui compte, c’est que Jupiter n’entend pas s’arrêter de faire pleuvoir sa foudre sur les travailleurs. En témoigne le rapport rendu au gouvernement le 15 février 2024 par un groupe de députés macronistes, qui a été nommé, avec un cynisme incroyable, « Rendre des heures aux Français, 14 mesures pour simplifier la vie des entreprises »

Dans ce rapport on trouve un ensemble de préconisations venant nourrir la réflexion autour d’une grande loi de « simplification », qu’on surnomme déjà « loi Macron II », et qui affiche l’ambition de faire la vie plus belle aux entreprises. Chacune des propositions faites, ou presque, est incroyablement réactionnaire. Ce qui n’a pas empêché, bien au contraire, Bruno Le Maire de saluer avec chaleur ce travail et de féliciter ses auteurs, allant jusqu’à qualifier le rendu « d’exceptionnel ».

Un rapport exceptionnellement favorable aux patrons

En premier lieu, la réduction des délais pour faire valoir ses droits est envisagée. Le délai de contestation d’un licenciement abusif, actuellement d’un an, serait réduit de moitié et porté à six mois. L’atteinte aux droits est potentiellement considérable. De l’opinion de l’auteur de ces lignes, comme de celle de nombreux autres juristes et avocats travaillistes, il faut plusieurs mois à la victime d’un licenciement abusif avant d’être en capacité de le contester.

D’abord encaisser le choc, parfois le traumatisme, commencer à réunir des éléments, se renseigner sur ses droits, se rapprocher d’avocats ou faire des dossiers d’aide juridictionnelle, etc. En portant le délai à six mois, ce sont d’innombrables salariés qui subiront un déni de justice légal.

L’augmentation des seuils, aussi, s’annonce redoutable. Actuellement, il existe deux types de Comités sociaux et économiques. Ceux des entreprises de 11 à 49 salariés, et ceux des entreprises de plus de 50 salariés. Seuls les CSE des secondes ont de véritables prérogatives contraignantes pouvant permettre de résister à l’employeur dans certaines situations. Notamment des pouvoirs d’enquête, de recours à l’expert, de droits d’alerte plus étendus ou de consultation obligatoire sur divers sujets.

Or l’une des propositions phares du rapport est de n’instaurer ces CSE étendus qu’au sein des entreprises de 250 salariés. En 2021 il y avait, selon l’INSEE, 4,4 millions d’entreprises. 96,3% employaient moins de 250 salariés. Dans les faits, cette réforme ne laisserait plus d’institution représentative du personnel avec de réelles prérogatives qu’à 3,7% du secteur privé.

Face à un tel saccage, on pourrait croire que le gouvernement et les parlementaires macronistes perdent la mesure, mais tout dépend avec qui ! Puisque, dans les propositions du rapport, figure aussi la dépénalisation de toutes sortes d’obligations déclaratives, par exemple l’obligation de déclarer les bénéficiaires effectifs d’une société.

Or pourquoi y a-t-il sanctions pénales ? Parce qu’il est vital de que les autorités puissent observer avec transparence l’activité économique et ceux qui en profitent, afin de faire appliquer la loi en matière fiscale et sociale. Il est sidérant de vouloir dépénaliser la non-communication de données économiques alors même que l’impôt sur les sociétés a donné lieu à 3,078 milliards d’euros de recouvrement en 2021 selon la DGFIP.

Qu’importe, les employeurs n’auront plus de maux de tête avec la transparence, et n’en auront plus non plus quant aux durées de travail, si on suit les préconisations du rapport. En effet, il existe différents mécanismes qui permettent de déroger de manière très importante à la durée maximale de travail, ou en imposant des horaires atypiques. Dans les cas les plus graves, une autorisation de l’inspection du travail est requise, son silence valant refus.

Or, le rapport se propose tout simplement d’inverser le principe et de considérer que l’employeur ne devra qu’informer l’inspection du travail de ses projets et que le silence de l’autorité vaudra consentement. Pour quiconque a déjà lu, dans ces colonnes, l’état catastrophique de l’inspection du travail et de son manque chronique d’effectifs, l’objectif devient limpide : garder un contrôle théorique, mais le vider de sa substance.

Et enfin, s’il faut citer encore une parmi les quatorze propositions du rapport, celle-ci doit retenir toute l’attention : permettre aux entreprises de moins de 5 ans et de moins de 50 salariés de déroger aux accords de branche. Puisque la grande majorité des entreprises n’a pas cinquante salariés et que la durée de vie moyenne d’une entreprise française est de vingt ans, cela revient tout bonnement à faire disparaître les accords de branche pour des millions de salariés.

Or, les accords de branche, bien souvent, sont ceux qui fixent des dispositions salariales avantageuses, qui posent des modalités particulières de gestion du temps de travail pour tenir compte des spécificités du secteur, etc.

C’est pour contourner cette norme supérieure que Carrefour a entamé sa politique de casse sociale en imposant à de nombreux salariés le passage en « location gérance » plutôt que de rester en contrat de travail. Cela pour garder la main tout en instaurant une indépendance de façade permettant d’esquiver les obligations nées des conventions collectives et accords. Et puisque ce genre de manigances est difficilement réalisable dans une entreprise de taille moyenne, le gouvernement entend visiblement faciliter la vie des patrons de manière radicale.

Coûte que coûte, tuer la norme

C’est, au fond, le fil rouge, de toute la pensée macroniste en matière d’organisation du travail. Coûte que coûte, la norme doit périr. Non seulement en s’attaquant à la loi elle-même, comme quand on supprime la définition légale d’une « offre d’emploi raisonnable » pour laisser à l’arbitraire de l’administration le soin d’appliquer les directives politiques. Mais, aussi, comme dans les rapports entre les branches professionnelles et l’entreprise, quand on déroge sans cesse à la norme générale au profit de la norme particulière, de sorte que cette dernière devienne si microscopique, si évanescente, qu’elle n’ait plus d’existence réelle.

Cette vision d’Emmanuel Macron est celle d’individualiste forcené, convaincu que toutes les corrections apportées par les sociétés à l’état d’un capitalisme de nature, sont superflues. Pourtant, malgré ces reculs massifs en droit social, les résultats promis ne suivent pas. Où sont les salaires en hausse grâce à un environnement plus dynamique et compétitif ? Où sont les embauches massives dans des emplois stables grâce à un coût du travail diminué ? Où est la réindustrialisation ?

Ce n’est pas, pourtant, qu’il n’y ait aucune difficulté à régler pour aider les entreprises françaises. Par exemple, on pourrait imaginer lutter contre le dumping social au lieu de l’aggraver. Quand certains inconscients veulent faire entrer l’Ukraine dans l’Union européenne alors que le salaire minimum y est de 216 euros, ne réalisent-ils pas qu’aucune « simplification » ne suffira à combler l’écart ? Quand les mêmes ne se prononcent pas contre le travail détaché alors qu’il est un handicap insurmontable pour nos travailleurs, est-ce de l’incompétence ou un terrible cynisme ?

Notre pays a autrefois fait la course en tête de la lutte pour les droits économiques et sociaux. Aujourd’hui, il se met à courir dans le sens inverse, vers la précarisation globale. La loi Macron II annoncée est le nouveau moyen de leur violence, un remède empoisonné à des maux imaginaires, et, à ce titre, la lutte sociale doit se préparer sans concession pour lui faire barrage.

Par Nathan Bothereau


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