Haro sur les dépenses publiques ?

lundi 1er avril 2024.
 

La France est « accro à la dépense publique » , c’est le ministre de l’Économie qui le dit. Et pour nous « désintoxiquer », le sevrage prescrit promet d’être pire que le mal.

En juin 2022, avant le second tour des élections législatives, Jean-Luc Mélenchon, alors chef de file des candidats uniques de gauche et de l’écologie, dénonçait le véritable programme économique d’un futur gouvernement Macron. Pour se conformer au pacte de stabilité européen, il prévoyait bel et bien un programme de 80 milliards d’économies sur les dépenses publiques d’ici à 2027. C’était l’ossature de la politique économique du futur gouvernement.

Depuis, le gouvernement a agi avec les réformes structurantes anti-sociales et anti-salariales des retraites, du RSA et des allocations chômage. Mais, en même temps, il a été empêché par les effets économiques de la guerre en Ukraine et il a dépensé pas toujours à bon escient dans le « bouclier tarifaire ».

Mais c’était une parenthèse. La dette publique a gonflé autour de 110% du PIB, le déficit public dépasse les 5%. Le pacte de stabilité et les 3% de déficit maximum ont fait leur grand retour. Et c’est donc à nouveau haro sur la dette et la dépense publique d’où nous viendrait tout le mal.

Dans Les Échos du 5 mars, le ministre des Finances allemand Christian Lindner défend une stricte application du nouveau pacte de stabilité : « Pour investir, la priorité n’est pas de rajouter de l’argent public ». Bruno Le Maire se répand partout pour fustiger une France « accro » à la dépense publique et faire passer 10 milliards d’économie par décret sur le budget 2024 – et 20 milliards à venir pour 2025. Et le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici présente l’addition : 50 milliards d’économie sur trois ans d’ici 2027. On est au-delà des 80 milliards en cinq ans.

L’argumentaire, repris en boucle sur les plateaux, a été énoncé par Bruno Le Maire le 6 mars devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale : « Depuis 50 ans, la France n’a pas présenté de budget à l’équilibre. Le dernier budget à l’équilibre remonte à 1974. En regardant, donc, la réalité de nos finances publiques en face, nous pouvons en tirer une conclusion simple : la France est accro à la dépense publique. Elle ne la maîtrise pas, elle la subit. Elle puise dans ses réserves vitales – les entreprises, le travail, la croissance – pour financer son addiction. Avec une part des dépenses publiques dans le PIB s’élevant à 57%, sommes-nous plus heureux collectivement qu’avec 40% en 1974 ? Non. Pour beaucoup, la dépense publique est la solution à tous nos problèmes ; la dépense publique risque maintenant de devenir notre problème à tous. »

Cela mérite quelques commentaires.

57% du PIB ? Les mauvais comptes font les ennemis des services publics et de l’État social Non, on ne dépense pas « chaque année plus de la moitié (57%) de ce que nous produisons pour la dépense publique ». Comme s’il ne restait que 43% de ce que nous produisons pour la dépense privée. Comme si la dépense publique était improductive. Comme si l’impôt et la cotisation sociale pompaient les revenus des entreprises et des ménages à la manière des Shadoks .

D’une part, parce que, dans la dépense publique, il y a tous les achats de fournitures et de service, ainsi que l’usure des équipements pour fournir les services publics et sociaux. À ce compte-là, on dépense chaque année plus de deux fois ce que nous produisons pour la dépense privée.

D’autre part, les administrations publiques (État, collectivités territoriales, Sécurité sociale) ne font pas que pomper. Elles produisent des services publics (éducation, justice, police, hôpitaux…) qui font partie du PIB : 1/3 de la production des entreprises privées. Avec cette différence que les services publics ne sont pas payants. Il n’y a pas de profits. On les comptabilise au coût des facteurs et non au prix de vente comme le privé.

Ce qu’on appelle les dépenses publiques se répartissent en cinq grandes catégories :

les dépenses pour l’administration et le fonctionnement des services publics fournis par l’État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale (éducation, santé, justice, police, culture, armée…) ; les dépenses de protection sociale (retraites, familles, chômage, minima sociaux…) qui sont essentiellement des dépenses de redistribution ; les investissements ; les intérêts de la dette puisque l’État à la différence des ménages et des entreprises ne comptabilise pas le remboursement des emprunts. Elle se réendette à échéance, « fait tourner sa dette » et c’est à cela qu’on le reconnait ; les aides, les subventions et les déductions (fiscales ou sociales) spécifiques. Les dépenses de fonctionnement des administrations représentent environ 1/3 des dépenses publiques, les prestations sociales environ la moitié (dont 40% pour les retraites), les subventions et les aides en représente environ 15%, deux fois plus que les investissements publics et cinq fois plus que les charges d’intérêt. Au total, la France n’est pas plus dépensière que les autres pays européens pour produire les services publics. Au contraire, dans de nombreux domaines (justice, police, éducation, santé), la pression exercée notamment sur les dépenses salariales ont conduit à une dégradation des services publics. Les dépenses sociales sont plus élevées. Notamment pour les retraites où la part des capitalisations et des retraites privées est beaucoup plus faible. Mais les dépenses sociales augmentent assez peu. Par contre les dépenses fiscales, les subventions et les aides aux ménages (bouclier tarifaire, rénovation thermique) et aux entreprises sont fortes et en croissance très forte. Les charges de la dette sont en croissance à cause de la hausse des taux d’intérêt de la BCE mais la France est toujours plus que solvable…1

Comme l’explique l’économiste Maxime Combes, « rien ne va dans les propos de Bruno Le Maire ».

Non à la « décroissance » … des dépenses publiques Les dépenses sociales sont utiles, indispensables même. C’est ce qui permet que les inégalités de revenus et de situations sociales soient d’avantage réduites qu’en moyenne en Europe. Mais il est clair que c’est la cible principale de la politique de l’équipe Macron.

S’agissant des services publics, les besoins ont augmenté dans tous les domaines de la santé, de l’éducation, de la formation, de la recherche, de la justice, de la sécurité. À quoi il faut ajouter, comme le souligne l’économiste Olivier Passet, que croire que la technologie et le numérique permettraient de faire plus et mieux à coût constant est une illusion : « Tous ces services s’alourdissent de coûts fixes en équipements sophistiqués, en compétences informatiques, en data science, etc. Sans diminuer les attentes en matière de densité humaine […] Pour l’État, accompagner le progrès, c’est dépenser plus, sauf à sous-dimensionner les nouveaux besoins humains, ce qui conduit à une confusion des tâches et une pénibilité accrue des métiers ».

Et c’est bien ce qui s’est passé : les dépenses notamment celles pour les personnels subissent une pression depuis plusieurs décennies. Du coup la dégradation est profonde mais pas pour tous les usagers. Les inégalités sociales et territoriales se sont accrues. Il y a à la fois insuffisance de dépenses notamment en personnels et en équipements, management pourri et politique de préservation des situations inégalitaires.

Bernard Marx


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