LA GREVE EST JUSTE

mardi 20 novembre 2007.
 

Il se passe une sorte de petit miracle autour de la grève des transports. Le voici : un nombre non négligeable de sondés affirme son soutien au grévistes. Ce n’est pas une majorité, bien sûr. Mais si on tient compte du matraquage sur le sujet il est à proprement parler incroyable que des gens continuent à ne pas céder à la pente dans laquelle on les pousse avec une constance absolue et omniprésente. J’y vois le signe d’une meilleure résistance des valeurs de gauche que ne l’affirme la thèse de la droitisation de la société. Peut-être aussi que la société commence à savoir secréter des anti corps contre les épidémies médiatiques. Il n’empêche que pour l’instant, dans la bataille d’opinion, le point est du côté de Sarkozy. Il ne peut en être autrement quand aux batteries médiatiques traditionnelles, pilonnant soir et matin le front social, s’ajoutent certains tireurs dans le dos du PS et des syndicats.

UN FAIT CULTUREL

La domination du programme de droite sur le système médiatique est désormais pratiquement sans faille. Je pense que c’est un fait culturel davantage que politique au sens ordinaire de ce mot. En pratique la plupart des gens dans les salles de rédaction sont convaincus de ce qu’ils disent et font. La grève et les grévistes leur paraissent réellement absurdes. Les gens qui résistent intellectuellement s’auto censurent. Et tous sont placés dans des conditions matérielles de travail telles qu’aucun n’à le temps ni les moyens d’entrer réellement dans le fond technique d’un dossier. Je l’observe chaque fois que je participe à un débat. Tant de sujets défilent les uns après les autres sous la présidence de Sarkozy !

Nous-mêmes, les parlementaires et les militants politiques, nous arrivons avec peine à suivre. Nous sommes tous spécialisés dans plusieurs domaines et nous intervenons le plus souvent dans nos domaines de compétence. Mais les professionnels des médias doivent être sur tous les sujets en même temps, tous les jours. En nombre toujours plus réduit, avec des amplitudes de travail considérables et une précarité d’emploi qui confine au chantage permanent... Pour moi, l’appauvrissement du débat et de la pensée sur les sujets de l’actualité est d’abord le résultat des conditions matérielles d’exercice du métier de journaliste aujourd’hui. Personne donc n’a besoin de tenir la main ni de « faire pression sur les médias ». Ils agissent spontanément, en toute bonne foi, d’après la ligne de plus grande pente. Le résultat est consternant.

LE TRANSFERT

Sarkozy premier servi ! Personne ne le rend responsable du désordre. Celui-ci est imputé aux seuls grévistes. C’est pourtant lui qui a provoqué le conflit et qui en maintient la cause. Le caractère purement idéologique du conflit ne fait l’objet d’aucun débat. Pourtant tout le monde sait que la fin des régimes spéciaux ne changera rien aux comptes des régimes de retraites. Personne ne lui demande pourquoi dans la même période il a reconnu et conforté certains régimes spéciaux comme celui des marins pêcheurs. D’une façon générale aucune question embarrassante n’est soulevée. Tout est ramené à la mise en scène permanente de la « galère des usagers ». L’impudence est sans limite.

Sur une grande station de radio qui me faisait l’incroyable faveur de me permettre d’exprimer un soutien aux grévistes face à deux journalistes convaincus qu’il s’agit d’un attentat au bon sens et à un représentant de l’UMP (trois contre un, je considère que c’est équilibré par les temps qui courent), j’ai vécu une scène obscène de la bonne conscience du parti pris ordinaire. Après une question déjà pleine du bon sens impartial que l’on devine, la parole est donnée par surprise à la journaliste « spécialiste de l’économie » qui s’adresse à moi pour poser la question « économique » qui tue : « vous êtes aussi élu du département de l’Essonne, que dites-vous aux gens qui ne peuvent pas aller travailler et qui sont dans la galère de transport ». Je suppose que cette personne pensait m’intimider. Mais peut-être s’agissait-il seulement de remettre en route le moulin à propos de « la galère des usagers » qui s’interrompait chaque fois que j’ouvrais la bouche pour parler du fond du dossier. J’ai donc répondu en restant sur « le terrain économique » qui justifiait la présence de cette nageuse de combat : « je les invite à être solidaires des grévistes qu’il faut entourer d’amitié et de solidarité au moment ou on veut leur voler leur pauvres avantages de carrière ». Ca l’a scotchée. Tous ces gens sont habitués à avoir en face d’eux des poltrons qui cherchent à leur plaire et leur lèchent les mains dés qu’ils sortent le fouet. Cette anecdote me permet de souligner la méthode qui s’applique dans la mise en scène médiatique de cette actualité.

LA METHODE

Car il y a une méthode. On ne parle plus du contenu de la lutte, c’est-à-dire le bien fondé ou non de la réforme des régimes spéciaux. On traite de « la galère des usagers ». Même pratique à propos des universités. On ne dit pas un mot du contenu de la réforme Pecresse. Pas un mot sur ce que signifie l’autonomie des université qu’elle a fait voter. On traite, sans fin, de la légitimité ou non du blocage de Facultés. La réforme est bonne parce que ceux qui s’y opposent sont mauvais, voila le tableau suggéré à gros traits. La mise en scène bat alors des records.

Un socialiste qui essaie de sortir de ce cadre de débat est immédiatement contré avec deux arguments qui eux non plus n’ont rien à voir avec le contenu des politiques qui sont à l’origine des conflits. Premier argument : « mais tout le monde est d’accord sur ce point », avec son codicille affolant : « la France est très en retard dans ce domaine ». En Deuxième argument : « mais vous savez bien que les socialistes sont divisés sur ce point » et son codicille : « ce que vous dites là, ce n’est pas ce que dit, par exemple, Manuel Valls ».

D’une façon générale la méthode consiste à disqualifier davantage qu’à mettre en débat. Disqualifier les acteurs du conflit à partir de clichés répétés en boucle : les cheminots sont des privilégiés archaïques, les étudiants des radicaux enragés (sur la Six on a même montré « une jeune SDF pitoyable qui a décidé d’aller soutenir le mouvement des étudiants »). Disqualifier les défenseurs de ceux qui luttent. Ils sont divisés. Ils savent bien que la bataille est perdue et ils font semblant. Disqualifier les représentants et les portes parole.

Le sort réservé à Bernard Thibault et à la direction de la CGT est emblématique. Ils agissent : ce sont des jusqu’auboutistes irresponsables. Ils ouvrent la discussion ? Cela prouve qu’ils savent bien qu’ils ont tort, qu’ils ont perdu et qu’ils essaient de se tirer d’affaire à n’importe quel prix, sur le dos de leur base. Je ne crois pas qu’un seul des héros de ce jeu de massacre se demande ou va aller le pays si toute opposition démocratique est disqualifiée de cette façon. En réalité dans les hautes sphères de la Sarkozy, il y a un calcul. Polariser la société entre les enragés (nécessairement minoritaires pour toujours) et l’UMP.

LA JUSTE ATTITUDE POUR UNE CONSCIENCE DE GAUCHE.

Dans ce contexte, il faut avoir le cœur et l’esprit clair. Il faut s’engager. Les cheminots ont raison. Leur lutte est juste. Ils ne sont pas des privilégiés. Ce sont seulement des boucs émissaires, les têtes à claque de la droite. Sarkozy veut mater les fortes têtes avant la réouverture du débat sur l’ensemble du régime des retraites qui aura lieu en 2008. Le premier devoir d’une personne de gauche est d’être solidaire. Et de tenir bon ! Comment ? D’abord financièrement, car les pertes sont lourdes déjà dans le budget des ménages. Et c’est la paye du mois de noël qui va trinquer ! Il est donc bien dommage qu’il n’y ait pas de caisse de solidarité de prévue. Mais à mon avis ça ne devrait pas tarder à se faire. Ensuite la solidarité doit s’exprimer en faisant de l’information autour de soi pour faire comprendre ce qui est en cause.

Il ne faut pas abandonner le terrain a « l’évidence » des arguments répétés en boucle contre les « privilégiés », pour « l’équité » et autres attrape gogo. Si vous manquez d’arguments allez chercher sur le site de PRS ce qui vous fait défaut, téléchargez le tract. Bref, chacun de nous est un média qui a sa zone d’influence. Ces points de résistance sont précieux. Ils contribuent à maintenir une conscience populaire éclairée, un esprit critique et des solidarités qui sont un bon préparatif pour les circonstances qui s’avancent. On ne doit pas rire de ces recettes qui peuvent paraître à première vue sans commune mesure avec les moyens qui nous sont opposés. Car c’est de cette façon depuis toujours que la gauche populaire a construit ses rapports de force. Il est inutile de gémir et de dénoncer l’absence de tel parti qui a pourtant les moyens et les réseaux qui feraient de cette situation une impasse totale pour Sarkozy s’ils étaient mis en action. Il ne faut pas attendre que le voisin fasse quelque chose, il ne sert à rien de se tenir la tête dans les mains au spectacle lamentable des tireurs dans le dos. C’est le moment d’agir. Tout effort paye, tout résistance fait école.


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