Nucléaire : une propagande télé radio – active hors-sol.

mardi 20 février 2024.
 

Sur la filière nucléaire, nous partageons ici un article éclairantde la revue Alternatives économiques.

Les rêves d’une relance du nucléaire rattrapés par la réalité

par Yves Marignac de négaWatt.

8 min

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A Dubaï comme en France, l’industrie nucléaire rejoue avec son projet de « renouveau », un vieux rêve de grandeur qu’elle n’a jamais concrétisé à l’échelle mondiale. Face à l’urgence climatique, il n’y a plus de temps à perdre, ni de ressources à dilapider.

Il y a tout juste soixante-dix ans, le 8 décembre 1953, le président des Etats-Unis, Dwight Eisenhower, prononçait devant les Nations unies le discours Atoms for Peace, véritable lancement du projet de développement du nucléaire civil dans le monde.

Il y promettait le « grand bienfait pour l’humanité entière » d’une énergie « universelle, efficace et économique ». Un an plus tard, Lewis Strauss, président de la Commission atomique américaine que l’on voit manœuvrer dans le superbe film Oppenheimer, promettait une énergie « trop peu chère pour être mesurée ».

Le rêve ne s’est pas concrétisé. Le nucléaire n’a jamais, dans son histoire, fourni plus de 3 % de l’énergie finale consommée dans le monde. Pire, sa contribution décline.

La dernière édition du World Nuclear Industry Status Report (WNISR), publication de référence en la matière, a indiqué il y a quelques jours que la production nucléaire a chuté de 4 % dans le monde l’an dernier, et qu’elle ne représente plus que 9,2 % de la production d’électricité, à son niveau le plus bas depuis les années 1980, et la moitié du pic de 17,5 % qui remonte à 1996. Pourtant, la filière nucléaire n’a cessé, par la voix de ses dirigeants ou des gouvernements, de multiplier les promesses de grandeur. Il y a cinquante ans, après les chocs pétroliers, la France lançait son grand programme nucléaire en projetant qu’il y aurait 4 000 réacteurs dans le monde en l’an 2000, dont environ 400 de type surgénérateur – le type qu’elle a construit puis abandonné avec Phénix et Superphénix.

Le pic de 438 réacteurs dans le monde a été atteint en 2002, et le nombre de surgénérateurs en service n’a jamais excédé six. Une erreur de prévision respectivement d’un facteur 9 et 67 !

Plus près de nous, il y a vingt ans, en pleine stagnation, la filière promettait sa « renaissance », au motif qu’elle serait la seule source d’énergie décarbonée massivement disponible dans le monde. C’est l’époque où la France projette une forte expansion de ses exportations.

En 2010 encore, l’ex-PDG d’EDF François Roussely écrit dans un rapport à Nicolas Sarkozy, que « 175 à 520 GW » de nouveau nucléaire doivent être construits dans le monde d’ici 2030 et que la France peut légitimement prétendre à 25 % de ce marché.

La réalité sera au final plutôt de l’ordre de 140 GWe – dont moins de 7 % par notre industrie nucléaire –, insuffisants pour compenser les fermetures de réacteurs vieillissants.

Risques spécifiques

L’écart vertigineux entre ces rêves et la réalité n’est pas le fruit du hasard. Le développement nucléaire mondial s’est heurté depuis l’origine, sous des formes et à des degrés divers, à trois grands obstacles.

Le premier est son caractère éminemment peu partageable et partagé, en raison de sa haute technicité, mais surtout de la dualité militaire-civile des matières et des technologies qu’il emploie, comme le montrent les tensions sur l’enrichissement en Iran. Seuls 32 pays, sur 193 membres des Nations unies, exploitent actuellement des réacteurs.

Plus largement, les risques spécifiques à cette industrie – l’impact territorial d’un accident majeur, et le transfert intergénérationnel de la charge des déchets – constituent aussi un facteur limitant évident.

Enfin, la filière n’a, malgré ses promesses, jamais trouvé son modèle économique. Aucun réacteur dans le monde n’a pu être construit ou exploité sans un important soutien financier public, sous une forme ou sous une autre. Pire, la courbe d’apprentissage de cette filière est négative, au point que les nouveaux réacteurs en construction ou en projet coûtent jusqu’à trois fois plus chers que leurs prédécesseurs.

Malgré ces constats, on nous promet une fois de plus un « renouveau » du nucléaire. Dès l’ouverture de la COP28, à Dubaï, plus de vingt pays se sont engagés sur un triplement de la capacité nucléaire mondiale d’ici 2050. La France, qui mène depuis deux ans une diplomatie nucléaire intense au niveau européen, est une fois de plus à la pointe de ce mouvement.

On peut discuter de la pertinence et de la crédibilité de cette initiative. L’objectif est aussi modeste en termes d’impact – il fournirait peut-être 5 % de la décarbonation nécessaire – qu’ambitieux dans le rythme de construction qu’il suppose, en rupture totale avec la tendance et les capacités industrielles et financières – il faudrait doubler dès demain le rythme de démarrage de nouveaux réacteurs. Mais on s’interroge surtout sur la manière dont la filière peut répéter ce type de promesse sans tirer aucune leçon de son histoire. C’est au fond toujours le même cycle : imprégnés de leur rêve de grandeur, les promoteurs du nucléaire déclarent la nécessité de son développement. Puis ils s’en convainquent au point de se persuader que cette nécessité fera loi, et permettra de renverser les obstacles qui s’y opposent.

C’est exactement ce que l’on observe en France depuis le fameux discours de Belfort dans lequel Emmanuel Macron a annoncé, en février 2022, sa décision de relancer le nucléaire. Il l’a justifiée en affirmant qu’aucun expert ne croit au 100 % renouvelables, alors même que RTE et l’Ademe avaient fourni au gouvernement des rapports montrant le contraire.

Exactement comme John Kerry, l’envoyé spécial américain, déclarait il y a quelques jours à Dubaï que « nous savons par la science, la réalité des faits et des preuves qu’on ne peut pas atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 sans nucléaire ».

Ce déni légitime à son tour de décréter un « Plan Marshall » pour redresser de toute urgence la filière, quitte à siphonner, même si c’est irréaliste, 10 % des jeunes ingénieurs formés chaque année dans notre pays, ou d’envisager sérieusement de s’appuyer sur l’épargne du Livret A pour financer cette relance.

Plus cher et plus lent

Mais ces engagements ont-ils encore un sens ? A Dubaï, plus de 120 pays se sont engagés à tripler la capacité renouvelable dans le monde d’ici 2030. C’est six fois plus de pays, quatre fois plus vite que pour le nucléaire. C’est aussi, au vu des dynamiques actuelles, bien que très ambitieux, beaucoup plus crédible : les investissements dans les renouvelables, en hausse de 35 % en un an, ont été au moins 14 fois plus élevés que dans les projets nucléaires engagés dans le monde en 2022, et leur taux de croissance, déjà spectaculaire, tend à augmenter.

Luc Rémont, le patron d’EDF, seul constructeur capable de fournir un nucléaire européen souverain, a quant à lui fixé fin novembre l’objectif : construire d’ici dix ans 1,5 réacteur par an en Europe. Rapporté aux besoins d’électrification bas carbone et de sortie des fossiles dans le reste de l’énergie, cela ne représente au plus que 3 % du volume global de décarbonation nécessaire en Europe d’ici 2040.

Ce n’est pas seulement que 97 % de la réponse à l’urgence climatique se joue ailleurs, dans le déploiement des renouvelables et plus encore dans l’action sur la demande, combinant efficacité et sobriété. C’est surtout que, parmi ces quatre leviers, le nouveau nucléaire est aujourd’hui le plus cher, et le plus lent. Nous avons besoin de résultats rapides : en Europe, l’objectif de 55 % de baisse des émissions d’ici 2030 est un minimum pour tenir un budget carbone conforme à l’accord de Paris, adopté en 2015 à la COP21. Aucun des nouveaux réacteurs promis aujourd’hui ne verra le jour avant cette échéance.

Un nouveau monde énergétique émerge, dans lequel le nucléaire du XXe siècle n’a pas sa place. Un profond attachement culturel empêche certains de le voir, quand d’autres soutiennent cette option pour des motifs qui ont peu à voir avec l’engagement climatique.

Selon le WNISR, sur 22 réacteurs en cours de construction par un fournisseur non domestique dans le monde, 19 le sont par la Russie. Et sur l’ensemble des 58 réacteurs en construction, 93 % le sont soit dans des Etats dotés d’armes nucléaires, soit dans d’autres pays par des entreprises qu’ils contrôlent.

Quant au soutien croissant dont bénéficie le nucléaire de la part des Etats, il vient surtout, notamment en Europe, de pays ancrés dans l’illibéralisme (Hongrie) ou de pays nouvellement gagnés par le populisme (Pays-Bas, Suède), où l’on voit que les projets nucléaires, avec leurs délais, sont un alibi pour retarder une véritable action sur le front climatique.

Dans ce contexte, les promesses nucléaires ne peuvent que constituer une distraction de ressources humaines, techniques et financières nécessaires pour répondre à l’urgence. Plutôt que de s’émerveiller devant le renouveau de la relance de la renaissance, chacun devrait mesurer le gouffre qui sépare ces promesses de la réalité, et se concentrer sur les véritables priorités.

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Autres articles sur alternatives économiques :

Nucléaire : une filière sans grand avenir. (2021) https://www.alternatives-economique...

** Nucléaire en France : à l’heure des choix. (2019) https://www.alternatives-economique...

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Annexe

En Évolution de la production d’énergie nucléaire en France (Source : EDF) En TWh :

Année Production

2000 354,4

2010 385,3

2020 335,4

2022 279

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En pourcentage de la production électrique totale :

Année Pourcentage

2000 78,6% 2010 78,1%

2020 67,1%

2022 62,6%

Observations :

La production d’énergie nucléaire a atteint son pic en 2005 avec 452 TWh. Depuis 2005, la production est en baisse constante. Cette baisse est due à plusieurs facteurs : L’allongement de la durée de vie des réacteurs nucléaires. Des arrêts pour maintenance et contrôles de sécurité. La construction de nouveaux réacteurs a été ralentie. La part du nucléaire dans la production électrique totale a également diminué. Cette diminution est due à l’augmentation de la production d’électricité renouvelable. En 2023 :

La production d’énergie nucléaire a augmenté par rapport à 2022. Cette augmentation est due à la reprise de service de plusieurs réacteurs après des arrêts pour maintenance.

En 2023, la production d’énergie nucléaire en France s’est élevée à 320,4 TWh.

Ceci représente environ 63% de la production d’électricité totale du pays.

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Hervé Debonrivage


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