La psychiatrie au bord de la rupture « Sans moyens, la maladie se transforme en furie »

dimanche 1er janvier 2023.
 

Psychiatrie. Une attaque au couteau et au marteau a fait le soir du samedi 2 décembre à Paris deux blessés et un mort. L’assaillant, ex-détenu suivi pour des troubles psychiatriques, avait arrêté son traitement médicamenteux en mars 2022.

Dans une manœuvre politique coutumière, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a imputé la responsabilité de cette attaque aux psychiatres de l’assaillant, parlant de « ratage psychiatrique » et déclarant : « Les médecins, à plusieurs reprises, ont considéré qu’il allait mieux et qu’il pouvait vivre, si j’ose dire, librement ». L’opprobre jeté par Darmanin sur les professionnels de santé n’a pas manqué de faire réagir. Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université Paris Cité, a déclaré « parler d’un raté de la psychiatrie, c’est une attaque assez grossière contre notre profession, déjà maltraitée ».

En effet, si « ratage » il y a eu, c’est celui du gouvernement qui laisse dépérir l’institution psychiatrique à bout de souffle dans notre pays. C’est ce même gouvernement qui ne donne pour seul horizon que des coupes budgétaires et qui reste inaudible face aux grèves des psychiatres dont la dernière en date était il y a à peine quatre mois.

La France est le pays qui prescrit le plus de psychotropes dans le monde. 30% des postes en psychiatrie ne sont pas pourvus dans les hôpitaux publics. 60% des lits dans les services psychiatriques ont fermé entre 1976 et 2016. On estime à un quart le nombre d’établissements ayant fermé jusqu’à 30 % de leurs capacités d’accueil après la pandémie du Covid-19.

Dans cette crise que subit la psychiatrie, le soin des psychiatrisés est majoritairement réalisé dans l’urgence et en flux tendu, laissant peu de temps et de ressources au personnel pour s’occuper des cas dangereux comme celui de l’assaillant du 2 décembre. S’il est une leçon à tirer du drame de Bir Hakeim, c’est celle de la nécessité de pallier le délabrement du système psychiatrique pour éviter que ce type de tragédie se reproduise. Notre article.

La sectorisation : un modèle de soins ambitieux et une application défaillante

Pour mieux comprendre la crise structurelle que subit la psychiatrie depuis des années, il faut saisir son organisation particulière basée sur la sectorisation. Ce dispositif consiste à soigner les personnes en ambulatoire au plus près de leurs domiciles dans des structures dédiées (centres médico-psychologiques ou centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel par exemple). Issue de la circulaire du 15 mars 1960, cette organisation de la psychiatrie dite sectorielle était perçue comme une petite révolution humaniste dans la prise en charge des patients.

Contrairement au modèle asilaire qui fonctionnait selon une logique d’enfermement et d’exclusion des psychiatrisés, la sectorisation avait pour but d’ouvrir la psychiatrie sur l’extérieur, d’assurer la continuité des soins et de faciliter l’inclusion sociale des psychiatrisés.

Cependant, l’accès effectif aux soins en ambulatoire est mis à mal depuis des années. Entre éloignement géographique des Centres médico-psychologiques (CMP) et délais d’attente excessivement longs (pouvant aller jusqu’à un an pour un premier rendez-vous), les promesses de soins de la psychiatrie sectorielle peinent à être tenues. L’alternative de l’offre libérale, quant à elle, peut être inaccessible financièrement marginalisant les populations les plus précaires.

Ainsi, les personnes souffrant de troubles psychiatriques se trouvent livrées à elles-mêmes, privées de suivi et de soins. Selon une étude de l’Unafam, 47% des malades ont dû attendre deux ans pour qu’un diagnostic soit posé. La durée de pathologie non traitée est estimée à deux ans dans le cas de la schizophrénie et de huit à dix ans pour les troubles bipolaires. Face à l’absence de diagnostic et de soins appropriés, de nombreuses personnes atterrissent aux urgences en situation de crise.

« En 1999, l’hôpital public suivait 1 million de personnes. On est aujourd’hui entre 2,3 et 2,4 millions de malades, avec moins de psychiatres », déclare Jean-Pierre Salvarelli, vice-président du syndicat des psychiatres des hôpitaux. Or, les capacités d’accueil de l’hôpital public sont de plus en plus limitées, que ce soit en termes de lits disponibles ou de personnel, et la tendance s’accélère sous Macron. Selon une enquête menée par la Fédération hospitalière de France auprès de 110 établissements de santé, près d’un quart des établissements ont été contraints de fermer au moins 10% de lits fin 2022 contre 5% avant 2020.

La continuité des soins et de la prévention en ambulatoire après hospitalisation n’est pas non plus assurée pour 40 % des malades, entraînant de nouvelles hospitalisations dans l’urgence à l’apparition d’une nouvelle crise. Ainsi, la promesse de la psychiatrie sectorielle de traiter les personnes en dehors de l’hôpital est totalement mise en échec par une application défaillante et entraîne une sur-occupation d’un système hospitalier déjà à bout de souffle.

Les patients en psychiatrie : entre abandon et stigmatisation

Les malades psychiques et leurs aidants sont les premières victimes de cet abandon de la psychiatrie. Comme le révèle le rapport Rapport d’information sur l’organisation de la santé mentale, le fonctionnement en flux tendu de l’hôpital et le manque d’investissements financiers génèrent des conditions d’accueil déplorables pour les malades (chambres vétustes, isolement abusif et personnel mal formé par exemple). En plus de conditions de vie détériorées et de difficultés d’accès aux soins, les malades psychiques sont plus exposés aux maladies cardio-vasculaires et aux cancers du poumon par rapport à la population générale.

Ils présentent également un sur-risque de faire un infarctus du myocarde ou un accident vasculo-cérébral avant leurs 40 ans. Leur taux de mortalité est ainsi de deux à cinq fois supérieur à celui de la population générale et le taux de mortalité prématurée est quadruplé. En somme, c’est 16 ans d’espérance de vie en moins pour les hommes et 13 pour les femmes par rapport à l’ensemble de population.

L’inclusion des malades dans la société est également mise à mal par une forte stigmatisation des troubles psychiques. Plus de la moitié de la population serait gênée de vivre avec une personne malade, un tiers refuserait de travailler avec elle ou même partager un repas. Les préjugés concernant les troubles psychiques irriguent la société. Aucune politique de sensibilisation et d’information efficace n’a été proposée par le gouvernement alors que la majorité de la population s’accorde sur sa nécessité.

Cette représentation biaisée de la psychiatrie est d’autant plus dommageable qu’elle touche également les étudiants en médecine, participant à une crise de vocation de la psychiatrie qui ne cesse de s’empirer. C’est 17 % des postes d’internes en psychiatrie qui sont restés vacants et 11 % en 2020, des chiffres records qui aggravent encore une situation difficilement tenable.

La crise de l’institution psychiatrique est un problème de santé publique, de sécurité et surtout d’humanité majeur auquel la France doit faire face. En guise de réponse, le gouvernement n’a cessé de procéder à des fermetures structurelles et laisser le dispositif sectoriel se détériorer. Au-delà du cynisme de cette politique, elle est également contre-productive d’un point de vue strictement comptable.

Les hospitalisations en urgence dues à la difficulté de prise en charge en ambulatoire coûtent 450 euros par jour, soit « plusieurs fois le coût complet, intervenants sociaux inclus, d’une prise en charge ambulatoire ou à temps partiel ». Le drame du 2 décembre aurait dû ouvrir la discussion nécessaire sur l’état de la psychiatrie et la politique à mettre en place. Au lieu de quoi le gouvernement a préféré se recroqueviller sur les thématiques racistes de l’extrême-droite, comme à son habitude.

Par Imane El Hamzaoui


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