Nos identités

mercredi 1er novembre 2023.
 

https://blogs.mediapart.fr/ana-dumi...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20231026-175815%20&M_BT=1489664863989

Dans ce billet, je vais aborder une vaste thématique, celle de l’identité. Un commentateur m’a parlé précédemment et ce sans aucune malice de la langue roumaine alors que je dissertais sur l’orthographe française. J’ai donc trouvé intéressant de m’arrêter sur la question de savoir qu’est-ce qu’être français ou roumain ou allemand  ? Un nom suffit-il à attester d’une identité, d’une nationalité, d’une citoyenneté ? Pourquoi se sentir obligé même gentiment de faire appel à une identité supposée ? Sans tomber dans le travers de taxer tout le monde de raciste, ce qui n’était absolument pas le cas ici, je me suis donc interrogée sur la notion d’identité, en commençant d’abord par la mienne pour ensuite aborder le sujet de manière plus vaste et général. Dans le fond, l’identité est au cœur des débats depuis bien des années maintenant. J’avais abordé sous un certain angle la question dans mon film Même pas peur ! (je vous mets le lien ici). Cette fois-ci je vais me prêter à cet exercice périlleux sous une forme écrite. Les identités sont un point commun dans l’ensemble de mon travail qu’il soit photographique, filmique ou écrit.

Donc, on va causer identité et appartenance. C’est parti pour un voyage dans l’immersion d’un monde fait de case et d’étiquettes.

Le premier contact que vous avez avec une personne, parfois la seule information, c’est le prénom et le nom. C’est donc tout naturellement qu’on me parle de Roumanie parce que mon nom est Dumitrescu. Un nom bien roumain. Les Dumitrescu y en a autant que les Martin en France. Fut un temps, il y avait même un joueur de foot et on me demandait si c’était de la famille. J’ai même une Ana Dumitrescu qui est haltérophile, une autre photographe et une autre qui m’a poursuivie car elle croyait que je lui avait piqué son nom alors même que le monde est rempli d’Ana Dumitrescu. C’est commun à en pleurer. J’arrive toujours à être étonnée d’apparaître dans les premières recherches de Google (à côté de l’haltérophile homonyme). Donc déjà mon identité, celle plus précisément de ma CNI, je dois la partager avec quelques milliers d’autres personnes sur cette planète. Mais j’aurais pu m’appeler autrement. Genre Anne Dumesnil. Dumesnil c’est le nom que l’on a proposé à mon père lorsqu’il a été naturalisé. Histoire de ne pas trop perturber le candidat au statut de français, ils se sont dit que c’était bien de garder les trois premières lettres. "Dum". Mon père a hésité mais il aimait son père donc il fait le choix filial de rester tel quel.

Illustration 2Agrandir l’image : Illustration 2 Passeport de mon grand-père © Ana Dumitrescu Il n’était pas plus attaché que ça au nom en lui-même vu qu’il me racontait que ce nom a été changé au XIXe siècle. À l’origine, c’était Vames qui veut dire Douanier. J’aurais donc aussi pu m’appeler Vames, Douanier ou Dumesnil. Au final c’est Dumitrescu et moi-même j’aurai pu changer ce nom autant par alliance que par alias ou tout autre moyen légal mais en fait non. Je ne l’ai pas choisi mais je ne voyais pas pourquoi j’aurais changé. Est-ce que ma vie aurait pu être différente avec un autre nom ? Franchement, je n’en sais rien et franchement ça ne m’intéresse pas de savoir vu que je suis satisfaite de la personne que je suis devenue. Certainement que le nom m’a aidé à me forger un certain caractère dès la cour de l’école où Dumitrescu rimait avec trou du cul. Les gosses c’est pas toujours gentil. Même aujourd’hui, j’ai toujours quelqu’un qui bute dessus. Avec un peu de concentration ça se prononce très bien. Une des fautes récurrentes dans mon nom, ce sont les gens qui écrivent "DIMITRIESCU". Ils y voient un côté russe pour je ne sais quelle raison. "DIMITRI" c’est certainement plus facile et plus commun vu de France.

Nombre de roumains ont honte de ce fameux "CU" final dont leur nom est affublé c’est la raison pour laquelle vous allez voir le U se transformer en O comme dans Eugène IONESCO ou la princesse BIBESCO. Notons que le U se prononce OU en roumain si vous vous demandez quel est la bonne prononciation.

Je fais ici un rajout après rédaction.

Illustration 3Agrandir l’image : Illustration 3 Cartes de visite de mon grand-père © Ana Dumitrescu Pour illustrer ce texte j’ai puisé dans mes archives familiales et, chose assez drôle, j’ai trouvé deux cartes de visites de mon grand-père : l’une en roumain et l’autre où il a totalement francisé son nom en Jean DIMITRESCO. On trouve donc le "CO" final mais aussi le fameux "DIMI". Tous les U ont été changé. Vous voyez, je vous disais bien qu’à l’époque on ne faisait pas aussi grand cas des noms comme aujourd’hui. Finalement si je devais définir son identité, je dirais médecin. Il a vécu par et pour la médecine. Il parlait plusieurs langues et tous ses papiers étaient aussi bien en roumain qu’en français. Les frontières n’étaient pas aussi poreuses et il voyageait beaucoup (cf les photos tous le long du billet). Pour la petite histoire, il a connu l’Allemagne Nazie et savait l’horreur qui attendait le monde. Il a fait travailler des personnes de confession juive dans l’hôpital où il a été directeur pour les protéger. Je viens d’une famille qui n’a jamais différencié les individus d’aucune manière qui soit. L’universalisme en héritage. Et le féminisme en héritage aussi par mes grands-mères.

J’ai découvert récemment, c’est-à-dire en 2019, lors d’un festival roumain où j’étais invitée avec mon film Licu, une histoire roumaine (le lien ici) le pourquoi du comment Vames est devenu Dumitrescu. Le "-ESCU" c’est une forme de particule achetée par la bourgeoisie de l’époque. Un réalisateur roumain, Serban Georgescu, en a fait un film documentaire que s’appelle Jurnalul familiei -escu (le Journal de la famille -escu).

Illustration 4 Journal de la famille -escu A priori, les Roumains ont fait beaucoup d’enfants (sauf dans ma famille composée d’enfants uniques) et donc tout le monde ou presque est devenu un "-ESCU". Dumitrescu, Popescu, Ionescu et autres variations. Ce film documentaire qui malheureusement n’existe pas en version française parle de manière plus large de l’identité nationale. Parce qu’en fait c’est quoi être roumain au-delà du nom  ? Si vous me posez la question, je n’en sais foutrement rien comme je ne sais pas ce que c’est d’être français, allemand ou américain. Comment définit-on l’identité d’un pays et de sa population ?

Chaque pays possède à la fois une Histoire avec un H majuscule et une histoire avec un h minuscule. Je vais donc vous raconter une histoire, celle du récit national. Qu’il soit roumain, français ou allemand peu importe. Le but du roman national c’est de conter une jolie histoire à sa population pour créer ce qu’on appelle l’identité nationale. Le terme de roman (ou récit) national est popularisé par Pierre Nora, un historien connu pour ses travaux sur le sentiment national. Je ne vais pas m’attarder dessus, d’une part car je ne connais pas ses travaux, d’autre part car j’ai lu certains propos qui me gênent entre autre sur le génocide arménien. N’ayant pas assez de connaissances sur le sujet Pierre Nora, je vais donc me limiter à le citer comme celui qui a rendu populaire l’expression.

Le roman national, vous l’aurez compris, c’est l’histoire avec un h minuscule, celle qu’on invente pour embellir le récit. Nous verrons ici que la France comme la Roumanie et comme certainement d’autres pays ont leur petit récit glorieux du passé. Ça commence d’abord avec les origines.

Illustration 5Agrandir l’image : Illustration 5 Paquet de cigarettes Gauloises En France on vante nos amis les Gaulois, en Roumanie on s’extasie devant nos amis les Dacii. En France on a fait des clopes, les fameuses gauloises sans-filtres, en Roumanie on a fait une bagnole pas chère qui a finalement fini chez Renault, la fameuse Dacia. Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer mais c’est assez comique.

Illustration 6Agrandir l’image : Illustration 6 Logos voitures Dacia Mais qu’en est-il vraiment des Dacii et des Gaulois ?

Illustration 7Agrandir l’image : Illustration 7 Valeureux guerrier gaulois Ben, on se rend compte que c’était pas les couteaux les plus affutés du tiroir, ni les uns ni les autres. Concrètement on a affaire à des peuples, pas les plus évolués de leur époque, qui ont vite été conquis par les voisins romains et grecs (pour la partie roumaine) ainsi que les peuples germaniques pour la France. Les Grecs, ils avaient déjà des trottoirs alors que les autres, ils étaient dans des cahuttes. M’enfin. Mais donc à défaut d’avoir des ingénieurs pont et chaussée, nos amis gaulois et Dacii étaient forcément des valeureux guerriers. C’est là où commence le roman. Valeureux. Et nous voilà donc fiers de cette histoire où Roumains comme Français nous sortons vainqueurs malgré la défaite des aïeux.

Illustration 8Agrandir l’image : Illustration 8 Valeureux guerrier daci La Roumanie (Romania en roumain) qui se gargarise des Dacii tire son nom directement de Rome... Bizarrement, la France elle tire son nom des Francs, peuple germanique. En gros on porte la défaite dans le nom mais on construit un récit glorieux autour de deux peuples vite écrasés par leur voisin. Dissonance cognitive et dissonance identitaire. Je suis quand même étonnée qu’aucun nationaliste n’ait proposé de rebaptiser la Roumanie en Dacie et la France en Gaule. Ne parlons pas trop vite, ça peut toujours arriver...

Le roman national c’est donc comme la mythologie, c’est joli mais c’est pas forcément très factuel. Sauf que le roman national ne s’arrête pas aux Dacii ni aux Gaulois, mais continue de s’écrire en permanence, enjolivant les actes de bravoures et les mérites auto-attribués de chaque pays. En France comme en Roumanie et ailleurs aussi, le roman national entretient le mythe du machin-chouette de souche (que j’appelle affectueusement le souchien). Le souchien c’est celui qui n’a pas bougé depuis au moins deux mille ans de son bled et qui s’enorgueillit presque d’être consanguin. A priori ça forge une identité. Y en a même qui ont intitulé leur torchon « Français de souche ». Comme pour les Gaulois, la dissonance cognitive frappe le récit national français. La définition du mot souche c’est un bout de tronc d’un arbre coupé. C’est un peu mort une souche. Il n’est quand même pas fort glorieux d’être défini ainsi. Ma foi, je veux bien comprendre le terme de racine mais celui de souche... Les Roumains eux ne sont pas souchiens. Eux ils sont Roumains roumains et toutes les autres populations qui vivent en Roumanie depuis des siècles et des siècles du genre les Magyars, les Roms ou les Turcs, malgré un passeport où c’est marqué roumain dessus, ne seront jamais Roumains. Tu as donc le vrai Roumain et le faux Roumain.

Illustration 9Agrandir l’image : Illustration 9 Carte d’identité roumaine d’une personne rom déportée pendant la guerre. © Ana Dumitrescu Parce que le vrai il vient des Dacii. Et pas le faux. Vous suivez ? Donc être roumain c’est aussi compliqué qu’être souchien. Il faut au moins demander un AOC pour être sûr de savoir à qui on a affaire là-dedans. Je pense que là vous commencez à sentir l’odeur nauséabonde non seulement du récit national mais également de l’identité nationale. L’un comme l’autre sont des pures créations fictives qui exaltent l’âme des identitaires de tous les pays. Pour soutenir ces créations, en Europe de l’Est en général, en Roumanie en particulier , on adore le folklore. Le folklore c’est la version « artistique » du valeureux combattant Daci. Ils sont super fiers d’entretenir un pseudo folklore vivant alors que ça devrait être refourgué depuis belle lurette au musée.

Illustration 10Agrandir l’image : Illustration 10 Folklore roumain © Ana Dumitrescu Non seulement cela entretient un passéisme putride et artificiel mais en plus on fait croire que la vie de la Nation dépend de trois pas de danse et de trois tralala en costume. C’est un peu comme si on ressortait en masse la bigoudène des placards et qu’à chaque fois que vous alliez en Bretagne on vous obligeait à assister à une danse bretonne. Je ne suis pas une nostalgique de ces choses là que je trouve beaucoup mieux au musée qu’ailleurs. Déjà ce que j’écris ici est un crime national car l’identité nationale roumaine se base sur le folklore. La preuve en image avec cet horrible reportage ARTE qui vante les mérites d’une Roumanie toute droite sortie des contes de Grimm. Moi ça me fait grave flipper.

Je ne dois donc pas avoir l’âme roumaine car je ne sens pas le sang des Dacii battre en moi et je n’ai aucune émotion à la vue du folklore. Pouet pouet Tralala. Ça marche aussi du côté français, les Gaulois m’indiffèrent au même titre que le parc d’attraction de de Villiers. D’ailleurs, pour le film sur lequel je travaille depuis un an, mon personnage femme, une femme racisée par ailleurs, qui a subi un traumatisme est habillée d’une tunique traditionnelle (certainement made in China comme toutes les tuniques du genre). Je suis justement dans une ambiance de conte et je crois que j’y ai mis plus au moins consciemment le rejet de ces foutaises, liées surtout à la domination patriarcale dont elles sont le fruit. Tralala pouet pouet.

Illustration 11Agrandir l’image : Illustration 11 Fille en tenue folklorique © Ana Dumitrescu L’autre grand paramètre qui serait censé définir un pays et son identité, c’est sa religion. Manque de bol, je suis athée. Donc pour le coup les racines chrétiennes de la France m’indiffèrent autant que les racines chrétiennes de la Roumanie. Ma grand-mère m’apprenait quand elle venait en France que je devais cracher trois fois derrière un pope car ça portait malheur d’en croiser un. Je n’en ai pas croisé beaucoup en France mais en allant en Roumanie j’ai perdu toute ma salive. J’ai donc découvert sur le tard le bigotisme du pays où je n’ai pas grandi. Ce qui m’inquiète avec le roman national et les identitaires de tout poils, c’est le retour du religieux partout. En Roumanie, tu peux aller dans une institution d’état et te farcir quinze mille icônes ainsi que des chants religieux. Quand tu témoignes d’un fait, on te demande ta religion pour te faire jurer au choix sur l’écriture sainte de ta confession. Ils sont bien emmerdés quand tu es athée. Idem pour les hôpitaux où l’on te demande ta religion avant une opération. C’est là où l’on comprend que la laïcité c’est quand même un bien précieux.

Illustration 12Agrandir l’image : Illustration 12 Lourdes, 2008 © Ana Dumitrescu Dans la liste stupide des choses inclues dans l’identité nationale, il y a la bouffe. Genre tu es français donc tu aimes le camembert et si tu es roumain tu bouffes de la polenta à tous les repas. J’avoue aimer le camembert mais j’aime aussi un bon cheddar maturé et je déteste la polenta. J’aime surtout la cuisine internationale et je m’oriente de plus en plus vers un pays qui se nomme la Veganie. Pour l’instant je suis surtout majoritairement en Vegetarie.

Illustration 13Agrandir l’image : Illustration 13 Couscous à Rennes © Ana Dumitrescu Je dois certainement appartenir au Wokistan dont j’attend la naturalisation d’ici peu. Vous aurez donc compris que je ne fais pas grand cas de l’identité nationale. D’ailleurs en quoi je devrais être fière d’être française ou d’origine roumaine ? En quoi devrais-je être fière de quelque chose que j’ai obtenu par ma naissance ou mes origines, au même titre que mes yeux bleus et mon teint pâle. Je peux en être contente, satisfaite mais aucunement fière car je n’ai aucun mérite à cela. Je suis effectivement contente d’être française du fait que je peux vivre (presque) pleinement mon athéisme, mon féminisme et que je peux (presque) m’exprimer librement. Je n’aurais pas aimé naitre en Iran, ça c’est sûr, mais on ne choisit pas. Je peux entendre qu’on soit fier de devenir Français si on a fui la Corée du Nord. Ce n’est pas mon cas. Je n’ai rien fui donc je ne vois pas en quoi je devrais vivre un sentiment exalté de fierté. J’ai juste eu du bol. J’aime une certaine partie de la France comme j’aime une certaine partie de la Roumanie mais je ne m’identifie pas à un ensemble.

Illustration 14Agrandir l’image : Illustration 14 Manif des retraites sous Sarko © Ana Dumitrescu Aujourd’hui des politiques brutales, un fond d’air vicié ainsi que la montée de l’extrême-droite ne me font pas m’identifier à ça. Au contraire je les combats. Idem pour la Roumanie où l’Église étouffe dans l’inculture et la bêtise un pays entier. Et si ce n’est pas l’Église c’est un capitalisme sauvage et déshumanisé qui fait que le seul intérêt de la population est de faire du business encore et encore. Dans les deux pays, il devient difficile d’avoir une discussion tant soit peu intellectuelle. En Roumanie encore plus qu’en France où subsiste encore un certain intérêt pour les arts, la littérature ou le cinéma. Mais ne nous leurrons pas, la majorité des Français s’abrutissent de plus en plus et de plus en plus vite. Bientôt, les deux pays brigueront la première place de l’inculture et tous les deux en seront très fiers. Des start-up nations. Idiocracy.

Le point commun de toutes ces fictions nationales c’est de créer des étiquettes. Typiquement quand on me renvoie à la Roumanie ou vice versa à la France, c’est me cataloguer dans un préjugé, positif ou négatif. J’avais discuté avec une Roumaine sur un projet (qui au passage m’a été éhontément piqué et non rémunéré) qui me disait que mon travail était excellent donc que ça se voyait que j’étais française. Meuf, je vais t’expliquer, mon travail était excellent parce que j’ai bossé dur et ni mes gènes roumains ni le Roman de Renart du CE2 n’ont à voir avec quelque chose là-dedans. Je suis juste une consciencieuse qui fait bien les choses (mais qui se fait déposséder).

Illustration 15Agrandir l’image : Illustration 15 Enfant, Ana avait déjà le seum © Ana Dumitrescu Fuck them all (Ana a le seum et ça se sent). Tu n’es jamais considéré pour toi-même mais par ton environnement. Le problème de tout ça c’est que ça catalogue. Ça te fout dans des images d’Épinal bidons. Et si tu ne rentres dans aucun case, tu es exclu.e de la société. C’est le cas de l’étranger. L’étranger c’est celui qui ne fait pas partie du récit national. Et ça en fait du monde, croyez-moi ! Déjà moi, je suis une double étrangère ce qui est franchement très classe. J’ai réussi l’exploit de n’appartenir à aucun pays. Que ce soit en France ou en Roumanie, je suis l’étrangère. Je me félicite de cet exploit. Mais moi, je suis un cas heureux qui le vit bien car j’appartiens à un pays imaginaire et international, celui du cinéma et de la littérature. Ce n’est pas forcément aussi facile pour tous. Si tu t’appelles Mohamed tu seras toujours l’arabe de service même si tu es français depuis trois générations et que tu ne causes pas un mot d’arabe. Bien entendu, le pays de tes lointaines origines ne te reconnais pas non plus. Tu n’es donc inscrit dans aucun roman national et tu dois te chercher une identité. Ainsi vient la religion ou autre substitution naissant de l’exclusion. C’est l’impossibilité d’être français aux yeux de tous. Et on va voir que tout cela est loin d’être nouveau.

C’est là où je vais vous parler de Proust.

Illustration 16Agrandir l’image : Illustration 16 Jeanne Weil, mère de Marcel Proust Quoi de plus français que Proust me direz-vous ? Ce qui vous semble une évidence nationale ne l’est pas du tout dans les faits. Son père s’appelait Adrien Proust, il était médecin et avait une chaire d’hygiène à la faculté de médecine de Paris. Sa mère s’appelait Jeanne Weil et elle était la fille de Baruch Weil de nationalité juive allemande. Pourquoi j’écris de nationalité juive allemande et non pas allemande ? Tout simplement parce que la France a été le premier pays au monde à accorder la pleine nationalité aux Juifs. « … elle a attiré beaucoup de candidats à l’émigration, lesquels se sont ajoutés à la masse des migrants économiques allemands qui ont formé au début du XIXe siècle, la première vague d’immigration de type moderne, vers la France. » (Bibliomonde).

Jusque-là les Juifs étaient des citoyens de seconde zone, ne s’encadrant pas dans le récit national. Ils étaient envoyés à leur identité juive même s’ils vivaient depuis des siècles au même endroit.

En se renseignant un peu, on se rend compte que la situations des Juifs européens étaient très compliquée avant 1800 et continua à l’être jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Ils n’étaient pas considérés comme des citoyens de plein droit et subissaient des règles discriminatoires. En France, « la question juive est discutée à plusieurs reprises de 1789 à 1791 par l’Assemblée constituante. La pleine citoyenneté est d’abord accordée aux Juifs du Sud-Ouest et à ceux d’Avignon et du Comtat-Venaissin et le 28 septembre 1791 à tous les Juifs du royaume. Les dernières lois discriminatoires sont abolies seulement sous la monarchie de juillet (1830-1848). » (Wikipedia)

Baruch Weil, grand-père de Marcel Proust obtient la nationalité française en 1827. Mais tout ceci ne se fit pas facilement avec un débat aussi enflammé à l’époque qu’il l’est aujourd’hui avec l’Islam. En 1807, Napoléon posait un tas de questions pour savoir si oui ou non un Juif pouvait-être citoyen français. En voici quelques-unes ici :

« QUESTIONS À FAIRE À L’ASSEMBLÉE DES JUIFS

1/ Est-il licite aux Juifs d’épouser plusieurs femmes  ?

2/ Le divorce est-il permis par la religion juive  ? Le divorce est-il valable sans qu’il soit prononcé par les tribunaux et en vertu de lois contradictoires à celles du code français  ?

3/ Une Juive peut-elle se marier avec un chrétien, et une chrétienne avec un Juif  ? ou la loi veut-elle que les Juifs ne se marient qu’entre eux  ?

4/ Aux yeux des Juifs, les Français sont-ils leurs frères, ou sont-ils des étrangers  ?

5/ Dans l’un et l’autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion  ?

6/ Les Juifs nés en France et traités par la loi comme citoyens français regardent-ils la France comme leur patrie  ? Ont-ils l’obligation de la défendre  ? Sont-ils obligés d’obéir aux lois et de suivre toutes les dispositions du Code civil ?

7/ Qui nomme les rabbins  ?

8/ Quelle juridiction de police exercent les rabbins parmi les Juifs  ? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux  ?

9/ Ces formes d’élection, cette juridiction de police et judiciaire sont-elles voulues par leurs lois, ou seulement consacrées par l’usage  ?

10/ Est-il des professions que la loi des Juifs leur défende  ?

11/ La loi des Juifs leur défend-elle de faire l’usure à leurs frères  ?

12/ Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l’usure aux étrangers  ? »

Lettre de Napoléon à son ministre de l’Intérieur Champagny du 22 juillet 1806, Correspondance générale de Napoléon Ier, vol. 6, éditions Fayard : lettre n° 12 557 (Source)

Notons bien qu’à l’époque, puis ensuite tel que le témoigne l’affaire Dreyfus, être français pour une personne de confession juive ne coulait pas de source. Donc si on posait alors la question de c’est quoi être français ? Une des réponses était de ne pas être Juif.

On constate que selon les pures règles nationalistes nauséabondes, Proust n’est pas à proprement parler 100% français. Pourtant, on gommes les origines dès lors que les personnalités servent l’image de la France. De Proust à Marie Curie, de Coluche à Henri Verneuil, tous sont français tout court. Mohamed, ouvrier en bâtiment, sera lui éternellement « d’origine ». D’ailleurs, je vous recommande au passage l’excellent diptyque d’Henri Verneuil, Mayrig et 588 rue Paradis où il règle ses comptes avec la France et une enfance teintée d’humiliation et de rabaissement. Dans Mayrig, il y a cette scène terrible où sa mère et sa tante passent la nuit à faire des baklavas qu’il ramène le lendemain à l’anniversaire d’un « camarade » de classe. Par erreur, il rentre dans la cuisine où il voit les domestiques s’empiffrer des baklavas dont la bourgeoisie n’a pas jugé bon d’y goûter. Quelques années après, ce même camarade de classe qui l’a méprisé est venu, alors qu’il était déjà connu, lui demander un service en souvenir de leur bonne amitié.... 588 rue Paradis a été son dernier film, un immense doigt d’honneur, tout en finesse et en délicatesse cinématographique. C’est ça d’être citoyen du Cinémastan, nous sommes ingrats.

Illustration 17 Photo issu de la promotion du film Mayrig Pour revenir à Napoléon, c’est là qu’est apparu le concept d’assimilation. Assimiler les étrangers pour les rendre français car on part du principe qu’une Nation est une et indivisible et que chaque citoyen doit se conformer à cette unitarisme, unitarisme lui-même héritage non pas de la Révolution mais de la religion.

Ce qui nous amène à nous interroger sur l’unité comme base de l’identité nationale. Or, une Nation est un territoire où la circulation, les échanges, les migrations rendent impossible cette unité totale. Nous sommes différents. Par essence. Par nature. Par Histoire. Et ce sont justement ces différences qui structurent un pays et qui le font avancer et progresser. Chaque vague migratoire a enrichi le pays d’accueil tant au point de vue culturel, que musical ou culinaire. On tend à vouloir effacer ou minimiser ces apports. Être uni ce n’est pas être uniforme. En ça, l’assimilation est différente de l’intégration. Un jour, lors d’un débat de Même pas peur !, quelqu’un dans la salle a imagé cela avec la compote et la salade de fruits en disant que l’assimilation c’est une compote où tout est mixée et l’intégration c’est une jolie salade de fruit où chaque fruit se mélange aux autres mais reste entier. Je trouve que c’est une bien jolie comparaison et elle est restée gravée dans mon esprit (par contre on oublie la chanson de Bourvil SVP).

Illustration 18Agrandir l’image : Illustration 18 Salade de fruits Balayons maintenant un peu ces identités nationales pour nous attacher à l’UE.

Illustration 19Agrandir l’image : Illustration 19 Stefan Zweig Car depuis la création de ce qui fut un temps la CEE, on nous parle de plus en plus d’identité européenne. Alors là, je ne vois pas trop de quoi ça cause. Déjà, pour être français, roumain ou allemand, on est censé cocher un tas de cases qui varient d’un pays à un autre. Si tu es athée tu ne peux pas être roumain mais si tu t’appelles Dumitrescu tu ne peux pas être vraiment française. OK. Alors je suis censée au moins être européenne avec une identité mais laquelle  ? On va s’intéresser à ceux qui se sont posés ces questions avant nous et en particulier à Stefan Zweig. L’écrivain disait que son père et sa mère « étaient Juifs par le hasard de leur naissance ».

C’est avant la Première guerre mondiale que l’écrivain voyage beaucoup en Europe mais aussi en Inde et aux États-Unis. Il s’ouvre au monde et à ses différences. Ses idéaux sont l’universalité. Mais parfois les meilleurs succombent pour un bref moment à l’obscurantisme dû à un contexte émotionnel fort, en l’occurrence l’événement déclencheur ici fut l’assassinat en 1914 de François-Ferdinand qui plonge l’Europe dans la guerre. « Zweig revient à Vienne et cède durant une brève période à un élan patriotique. Il rédige des articles dans lesquels il prend parti pour l’esprit allemand, avant de retrouver bientôt la voie de ses idéaux de fraternité et d’universalité. » Je vous mets en lien cet article du Figaro malheureusement réservé aux abonnés qui revient sur cette période, heureusement de courte durée, d’élan nationaliste de Stefan Zweig.

Illustration 20Agrandir l’image : Illustration 20 Passeport de mon grand-père © Ana Dumitrescu C’est vers 1930, après avoir travaillé dans les archives militaires durant la Première guerre mondiale, que Zweig développe l’idée d’une Europe en dehors des cadres politiques. Pour lui, le ciment européen passe par la culture, par les écrivains, par la connaissance. L’universalisme et l’humanisme deviennent donc une identité bien plus forte que celle des Nations. Zweig s’appuie sur les réflexions sur l’Europe de Nietzsche. Je vais vous mettre en lien vers un court texte qui résume très bien la position et les influences de Sweig. Voici un extrait :

« Alors que s’effondre l’Autriche-Hongrie, la question de la nationalité et de l’appartenance à un État se pose à lui jusque dans sa propre chair.

Lui-même refuse de penser à l’Europe en termes de conglomérat d’États : il s’agit bien plus d’une concorde, d’une République fondée sur la fraternité des hommes, par-delà les frontières, car « être libre signifie ne pas avoir de frontières autour de soi ». Dans cette perspective nouvelle de renoncement à l’idée de patrie, l’Autriche ne représente plus rien pour lui, comme il l’explique à Rolland : « Il me répudie [répugne] de dire "nous" et de penser à l’Autriche. Quand je dis "nous", c’est l’humanité que je désigne avec mon cœur ». Pour notre auteur, l’homme doit primer sur la politique et l’idéologie. »

On voit donc que Zweig concevait une Europe humaine et non pas politique ou économique, ce qu’elle est tristement devenue. C’est là où la notion d’humanisme et d’universalisme devient une véritable identité. Nous ne sommes plus d’une frontière ni d’un pays, mais nous sommes ensemble avec un langage commun qui passe par le progrès, l’art et la culture, par l’intelligence en somme. La fraternité devient identité en soi. C’est justement tout ce sur quoi que nous avons échoué jusqu’ici. Nous n’avons tiré aucun apprentissage de l’Histoire. Nous perpétuons les erreurs du passé sans jamais apporter une réflexion universelle qui nous sortirait de notre condition d’animalité territoriale et pseudo identitaire.

Plus on avance, plus on constate que la notion même d’identité n’est qu’une notion strictement fictionnelle afin de regrouper les individus dans des cases, cases fortement utilisés politiquement. Finalement cette fameuse identité, qu’elle soit nationale, culturelle, religieuse ou de tout autre nature, n’est qu’un prétexte à enfermer l’individu et ce malgré lui. Si l’individu commence à s’interroger sur qui est-il, cela remet en question un système complet. Le monde s’effondrerait. Et tant mieux car c’est de cet effondrement que pourrait faire naitre un monde meilleur. Alors continuons à nous interroger ensemble pour fragiliser ce système. Comme écrit plus haut, l’identité sert à la politique nationaliste. On l’a bien vu avec Hitler mais on l’a aussi vu avant et après.

Illustration 21Agrandir l’image : Illustration 21 Ouvrier chinois, Bucarest, 2009 © Ana Dumitrescu On revient en permanence lorsqu’on parle d’identité à la notion de l’Étranger. Actuellement cette volonté de s’identifier et de s’inscrire dans un récit national n’est pas le seul apanage de la France ou de la Roumanie. C’est également le cas de pays tels que la Suède où il y a une forte montée de l’extrême-droite. Je vous mets en lien un excellent article de 2019 qui parle du débat sur l’identité nationale en Suède : En Suède, le débat sur l’immigration révèle des lignes de fractures sur l’identité nationale (Le Monde).

C’est là que je vais vous parler d’un excellent film où vous pouvez retrouver diverses notions que j’ai abordées ici dont le fameux folklore. ATTENTION SPOILER.

Illustration 22Agrandir l’image : Illustration 22 Midsommar, affiche Ce film c’est Midsommar, réalisé en 2019 par Ari Aster. Il est catalogué à tort comme un film d’horreur car pour seul horreur c’est justement le portrait de l’identité nationale qui en ressort. Comme tout bon film, il y a une première lecture, toujours un peu simpliste et à la portée de tous et surtout une deuxième lecture, beaucoup plus fine et plus pointue de ce que l’on est porté à voir. C’est donc de cette dernière que je vais vous parler. L’histoire se résume à quelques étudiants américains dont un afro-américain et des Britanniques racisés

Illustration 23Agrandir l’image : Illustration 23 Midsommar, photo du film avec les personnages (je précise car ceci à son importance) qui sont invités par les membres d’une communauté suédoise à fêter Midsommar en Suède. Midsommar c’est la fête traditionnelle de du solstice d’été. On y célèbre l’été et la lumière. Sauf que nos personnages vont découvrir l’obscurité. Le personnage principal est une jeune fille blonde du nom de Dani dont la sœur a tué ses parents avant de se suicider. Dani est donc orpheline. Elle n’a plus personne à part son petit ami qui semble l’aimer sans vraiment l’aimer. Tout ce petit monde est gentiment accueilli par les habitants de Harga habillés en tenue folklorique (oui oui le folklore...). À aucun moment on n’offre aux « invités » des tenues correspondantes. Ils restent donc vêtus de leur jeans comme des éléments bien distincts de la société. Tout le monde dort ensemble dans un immense dortoir symbolisant l’unité des lieux. Tous ensemble ! Tous ensemble ! C’est le lendemain que ça se gâte. Voilà donc nos « touristes » invités à assister à une célébration locale qui consiste à ce que les deux plus âgés de la communauté se suicident en se jetant d’une falaise. L’un des deux vieux ne meurt pas immédiatement donc les autres membres viennent l’achever. Tout ça c’est pour le bien de tous afin que les vieux ne soient pas une charge pour la société. Notre couple de Britanniques racisés s’offusquent en disant que c’est effroyable. Les Américains aussi mais ils admettent que ce sont les coutumes des Suédois donc, même s’ils sont dégoutés, ils ne réagissent pas. Les deux Anglais veulent foutre le camp rapidement. Nos gentils Suédois proposent de les accompagner à la gare... Il ne reste plus que les Américains dont l’afro-américain et le petit ami de Dani, obnubilés par le fait de faire leur thèse de doctorat sur les coutumes locales. Il y a aussi un autre Américain qui créé le drame en pissant sur une souche d’arbre (oui oui, la souche), la dite souche étant l’incarnation des ancêtres.

Illustration 24Agrandir l’image : Illustration 24 Midsommar, photo du film avec les personnages Les Suédois de Harga sont très très à cheval sur le respect de leurs traditions et de leurs coutumes. On comprend vite que ça ne va pas bien finir. Dans ces coutumes, il y a aussi un oracle humain qui est déficient intellectuel car issue de relations consanguines (forcément sans mélange c’est compliqué). L’afro-américain du nom de Josh va lui aussi enfreindre les coutumes et mystérieusement disparaître. Nous en sommes à quatre disparus mais il reste toujours Dani et son petit ami Christian. Pelle, l’ami suédois qui les a amené là jette son dévolu sur Dani alors qu’une fille de la communauté jette le sien sur Christian. Donc après avoir éliminé les étrangers qui ne sont pas assimilés (et racisés ou bruns de cheveux), les Suédois gardent les deux personnes, toutes deux blondes et typées suédoises, qui leur correspond. La jeune fille du nom de Maja décide de perdre sa virginité avec Christian dans une scène où toutes les femmes de la communautés se retrouvent à poils autour d’eux. Pendant ce temps-là, Dani se sent de plus en plus chez elle et trouve une nouvelle famille. Elle revêt les habits traditionnels et gagne un concours devenant la reine de Midsommar. Ça se finit qu’elle met à mort Christian qui va être déguisé en ours au côté de quelques membres de la communauté qui eux aussi continuent de se sacrifier. Dani devient officiellement membre à part entière de Harga. Elle a été assimilée par la communauté.

Illustration 25Agrandir l’image : Illustration 25 Midsommar, photo du film avec Dani On distingue aisément la critique sociale que fait Ari Aster de la société suédoise. Tout d’abord une société cannibale qui n’hésite pas à sacrifier les siens, des plus vieux aux plus jeunes, société qui réalise le prodige à amener les gens à vouloir se sacrifier eux-même au nom de leur communauté. L’appartenance c’est ça aussi. Et puis et surtout ce film est un regard acerbe sur la fausse intégration des immigrés, d’une sélection qui se fait, d’une assimilation forcée au risque de ne pas y survivre, une société qui n’admet pas la critique ni la remise en question. Ari Aster soulève avec une grande finesse le sujet de l’identité nationale suédoise, empreinte de folklore et de cruauté. Je vous recommande vivement de voir ce film et de bien prendre le temps de l’analyser, de le comprendre et de le digérer.

Illustration 26Agrandir l’image : Illustration 26 Bannière dans le film Midsommar J’ai également trouvé la capture d’écran ci-jointe (qui dit : « Arrêtez l’immigration massive vers Helsingland, votez pour un Nord libre cet automne ») dans un sujet Reddit. Elle serait issue du film malheureusement je ne peux pas le vérifier l’ayant loué en VOD et ne pouvant plus y accéder. Si tel est le cas, ceci confirme mon analyse et les intentions du réalisateur n’en sont que plus claires. Si vous le voyez essayer de faire un arrêt sur images quand les personnages arrivent à hauteur de la banderole et le confirmer en commentaire.

En tout cas Ari Aster a mis tous les ingrédients, du folklore à la souche, de ce que moi aussi j’ai pu constater de la part du roman national et de la place de l’étranger dans ce dernier.

Pour revenir sur l’identité, c’est donc, au-delà d’un sujet hautement politique, un sujet qui traite de la cruauté de l’humain envers ceux qu’il ne reconnaît pas comme siens. Cela va jusqu’à la guerre, la mort, la destruction.

Illustration 27Agrandir l’image : Illustration 27 Affiche du film Joyeux Noël J’aimerai ici parler rapidement d’un autre film : Joyeux Noël, réalisé en 2005 par Christian Carion. C’est inspiré de faits réels et c’est l’histoire de soldats français et allemands se trouvant dans les tranchées pendant le Noël 1914. Lors de la trêve, ils se rendent compte qu’ils sont plus proches qu’éloignés, qu’on leur a vendu la haine de l’autre et l’exaltation de l’identité nationaliste pour aller se sacrifier au nom des intérêts politiques. C’est en le réalisant qu’ils ont refusé de tirer les uns sur les autres. Je ne peux que vous recommander de le voir car c’est tristement d’actualité là aussi. Les guerres et les conflits ne servent jamais la population, où que ce soit dans le monde. Et pour avoir le consentement de la population, il faut créer artificiellement une différence, faire croire que l’autre n’est pas comme nous. Tout ceci n’est que construction artificielle, héritage de la territorialité animale. D’ailleurs, je vous copie colle la définition qu’on trouve sur Wikipédia du mot "Territoire" :

« En éthologie, le territoire est l’aire sociographique qu’un animal d’une espèce particulière défend systématiquement contre les individus de sa propre espèce, ou d’une autre, qui cherchent à l’empiéter. Les animaux qui agissent de cette façon, caractéristique des grands prédateurs, sont ainsi qualifiés de territoriaux. Le territoire en question peut appartenir à un seul animal, pour les espèces solitaires comme le chat, ou à un groupe, pour les espèces communautaires comme le loup ou Homo sapiens. »

Nous noterons que les animaux se s’entretuent pas entre eux comme les humains. De surcroit, ils protègent un territoire par rapport à la réserve alimentaire qui s’y trouve. Les animaux vivent en bon entente quand ils ont suffisamment de nourriture et d’espace pour combler leurs besoins vitaux.

Je voulais aussi ajouter quelques mots sur l’identité autre que celle nationale. On nous apprend très tôt à nous identifier. Déjà dans un genre en nous disant que nous sommes des filles ou des garçons, ensuite dans des groupes, dans le sport en faisant des équipes et ainsi de suite. Le système entier est baser sur l’identification à quelque chose. C’est d’ailleurs ce qui se passe également dans les gangs, dans la mafia (tels les yakuza) ou dans les banlieues. Là l’identité qui prime c’est celle du groupe plus fort que la Nation. C’est l’équivalent miniature de l’identité nationale et c’est pour cela que c’est tellement dur à endiguer. Il faudrait déjà déconstruire l’idée même d’identité et ce à l’échelle d’un pays et arrêter l’imposition de l’identification dès le plus jeune âge. Celui qui ne se sent pas inclus dans le cadre national va chercher à s’inclure ailleurs. C’est ainsi que nait le communautarisme voir le radicalisme. C’est le fruit de l’exclusion et du rejet. C’est l’impossible appartenance. Il ne faut pas oublier que l’homme et la femme sont avant tout des animaux grégaires. Nous avons besoin d’un groupe pour exister. L’humain.e ne peut pas vivre avec le sentiment d’être seul.e au monde. Iel va donc chercher à s’identifier. À son pays, jusqu’à l’extrême ce qui nous donne les pires dérives fascistes basées sur le roman national, à un club de foot, à un gang, à une religion. Cette recherche identitaire génère l’effet de meute. C’est ce qu’on constate aussi sur les RS où les gens s’affrontent par clans. Et je vais citer un exemple qui montre qu’un autre monde est possible : Mastodon.

Illustration 28Agrandir l’image : Illustration 28 logo Mastodon Mastodon est un réseau social décentralisé basée sur des instances autonomes. Bizarrement (ou pas) il n’y a pas vraiment de conflit sur Mastodon, pourtant il y a une diversité incroyable de personnes. La différence c’est que ces personnes acceptent de respecter la différence de l’autre. Chacun s’efforce à bien remplir le Alt pour décrire une image, à cacher certaines images qui peuvent heurter (tel que le eye contact), à respecter l’autre. L’unité se crée grâce à la différence. Et c’est là qu’on tient quelque chose. On est uni car on se respecte dans notre différence. C’est ce qu’on nomme l’altérité. Bien entendu que des petits groupes se forment par affinité mais ces entités font parties d’un grand ensemble hétéroclite. Il y a un autre point qui fait que cela marche c’est que chacun se définit librement. On n’est plus dans l’identité forcée ou imposée mais dans l’identité individuelle libre et choisie. Je suis ce que j’ai décidé d’être. Et à 45 ans c’est exactement là où personnellement j’en suis. Je ne veux plus être définie par mon nom, par une origine, par mon sexe ou par mon passeport. Je veux choisir d’être ce que j’ai fait de moi. Je ne veux pas être renvoyée en permanence à une identité qu’on m’impose qu’elle soit française ou roumaine. Je suis tout et rien à la fois. Certains jours je serai autre que ce que je suis aujourd’hui et ça me va. C’est à moi de vous dire qui je suis et non pas à vous de me dire qui vous pensez que je suis. Et vice versa. Il n’y a que de cette façon que nous pourrons un jour vivre en paix : en respectant la différence, en cassant ces cases identitaires où l’on nous apprend à être, à choisir qui nous voulons être et pouvoir changer d’identité au gré de nos évolutions et de nos ressentis. Vivre ensemble, vivre en groupe ne signifie pas nous uniformiser. C’est justement tout le contraire. On doit donc accepter de laisser le choix à l’autre de s’identifier (ou pas) et de savoir respecter ce choix. Arrêtons d’envoyer vers des origines, vers des cases, vers des genres, vers une structure qui nous a été imposée politiquement, c’est à ce seul prix que nous arriverons à inverser la machine. Il est temps d’en finir avec l’identité forcée . De même, je suis totalement pour la libre circulation car nous faisons partie d’un tout qui s’appelle l’humanité. Construire un monde meilleur, c’est savoir garder l’utopie de l’universel.

Sur ce je vous remercie de m’avoir lue et on continue à se battre et à se battre encore et encore contre les préjugés, l’obscurantisme et la bêtise où nous plonge parfois ce monde.


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