Les entraves à la liberté d’expression en Russie : une approche multilatérale

lundi 21 août 2023.
 

Ce n’est certainement pas en se laissant assourdir par le brouhaha médiatique ambiant d’un journalisme en décomposition est idéologiquement aveuglé que l’on peut aborder valablement la question de la liberté d’expression en Russie mais en mobilisant la sérénité de la raison.

Nous abordons ici la question récurrente de la liberté d’expression en Russie qui est évidemment liée à celle des Droits de l’Homme .

Comme d’habitude, nous développons une approche multilatérale . La première partie est une approche plutôt institutionnelle et historique. La seconde partie analyse les différentes causes économiques, politiques et géostratégiques des multiples entraves à la liberté d’expression dans la Russie post – soviétique.

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1 – La liberté d’expression et ses entraves en Russie du XIXe siècle au XXIe siècle.

La liberté de la presse et des médias en Russie

Par Maria Zakharova, Nicolas Pauthe

Dans Droit et société 2016/2 (N° 93), pages 437 à 452

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information sur Maria Zakharova : biographie sur Wikipédia.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Maria...

Source : cairn info

https://www.cairn.info/revue-droit-...

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La presse libre peut sans doute être bonne ou mauvaise, mais assurément, sans la liberté, elle ne saura jamais être autre chose que mauvaise Albert Camus

1 Dans son célèbre discours sur la liberté de la presse, prononcé à la Société des amis de la Constitution, en mai 1791, Robespierre déclarait :

2 Après la faculté de penser, celle de communiquer ses pensées à ses semblables est l’attribut le plus frappant qui distingue l’homme de la brute. Elle est tout à la fois le signe de la vocation immortelle de l’homme à l’état social, le lien, l’âme, l’instrument de la société, le moyen unique de le perfectionner, d’atteindre le degré de puissance, de lumière et de bonheur dont il est susceptible. […] C’est par la libre et mutuelle communication de ses pensées que l’homme perfectionne ses facultés, s’éclaire sur ses droits, et s’élève au degré de vertu, de grandeur, de félicité, auquel la nature lui permet d’atteindre. 3 La liberté de la presse, et, plus généralement, celle des médias  [1]

[1] Pour une présentation générale et détaillée du cas français,…, est une manifestation de la liberté d’expression  [2]

[2] Ce n’est, par exemple, qu’en 1881 qu’une loi lui a été entièrement dédiée, en France. À la fois parce qu’elle s’est installée durablement dans les sociétés modernes et parce que l’évolution des moyens de communication a, de toute évidence, conduit à récemment la repenser, la liberté de la presse et des médias est toujours un point sensible du débat juridique actuel, à des degrés divers, selon les pays.

4 Reporters sans frontières vient de publier, le 20 février 2016, son classement annuel des pays selon leur respect de la liberté de la presse. La Russie figure au 148e rang mondial sur 180 en 2016. Le constat que dresse l’ONG y est sévère : « L’atmosphère devient étouffante pour ceux qui remettent en cause la nouvelle vulgate patriotique et néoconservatrice, ou cherchent tout simplement à défendre un journalisme de qualité  [3]

[3] Ce classement est disponible en ligne :…. » Le climat est, en effet, assez délétère pour le journalisme. On ne compte plus les licenciements pour motifs politiques, et les meurtres de journalistes, dont ceux, médiatisés, de Paul Khlebnikov, en 2004, d’Anna Politkovskaïa, en 2006, des six collaborateurs du journal indépendant Novaïa Gazeta entre 2000 et 2014, ou encore d’Anastasia Babourova, en 2009. Cette impression se noie dans un contexte international des plus tendus, où la Russie semble vouloir imposer son autorité face aux pays occidentaux, comme le montrent la crise ukrainienne, ou ses prises de position dans des dossiers comme celui de l’Iran ou de la Syrie.

5 Pourtant, la Russie avait fait des progrès notables depuis les années 1990 jusque dans le milieu des années 2000 en matière de liberté d’expression  [4]

[4] Anne Nivat, Quand les médias russes ont pris la parole. De la… (I). Une véritable liberté de la presse semblait être consacrée par la Loi fédérale de 2006. L’évolution actuelle montre, plus que jamais, l’acuité avec laquelle il faut s’interroger sur le devenir de la liberté de la presse et des médias en Russie aujourd’hui (II). Nul doute que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) apparaît encore comme un garde-fou efficace pour limiter l’impact des changements normatifs russes en la matière, mais cette situation est-elle pérenne (III) ?

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I. L’évolution de la liberté de la presse dans l’histoire russe

I.1. La liberté de la presse avant 1917 en Russie

6 Dans l’Empire russe, la législation relative à la presse s’est développée initialement à son détriment, comme un droit de censure. Un certain nombre de textes ont, au xixe et début du xxe siècle, fait office de législation sur la presse, parmi lesquels méritent d’être cités : les chartes sur la censure (1804, 1826 et 1828), les règlements provisoires relatifs à la censure (1862, 1865 et 1882), le règlement provisoire relatif aux publications périodiques (1905), ou encore la disposition transitoire sur la censure militaire (1914).

7 Les auteurs de la première charte sur la censure, adoptée le 9 juin 1804, restaient très attachés à toute parole écrite ou imprimée. Ils affirmaient que leur « statut n’entravait nullement la liberté de penser et d’écrire, en ne faisant que prendre des mesures, conformes aux convenances, contre les abus que cette liberté pouvait générer »  [5] [5] Voir Yasen Nikolaïevitch Zasurski et Elena Leonidovna…. La charte préconisait aux censeurs de veiller, lors du contrôle des livres, « à ce qu’il n’y ait rien dans ces derniers de contraire à la loi de Dieu, au gouvernement, à la moralité et à l’honneur personnel de tout citoyen »  [6] [6] Le 15 juin 1826, peu de temps après la tentative de coup d’État du 14 décembre 1825, à l’orée du règne de Nicolas Ier, une nouvelle charte de la censure fut instituée, extrêmement sévère, visant à limiter et à contenir considérablement l’essor de la liberté d’expression. Celle de 1828 eut pour seul objectif d’interdire les œuvres « qui nuisaient, en entier ou en partie, à la foi, au trône, aux bonnes mœurs et à l’honneur personnel des citoyens ». Cet assouplissement de la censure s’est poursuivi jusqu’en 1830, année où la France connut une révolution dont les échos eurent pour effet, en Russie, de durcir davantage la censure.

8 S’agissant des premiers règlements provisoires relatifs à la censure et datés du 6 avril 1865, ils ont presque entièrement été copiés sur les lois relatives à la presse de la France de l’époque de Louis XVIII  [7] [7] Ibid.. L’Administration, gangrénée par une suspicion excessive, ne tarda pas à se manifester à travers toute une série d’amende­ments apportés aux règlements provisoires. Ainsi, dans la loi du 17 octobre 1866, il fut interdit aux rédactions et aux employés de la presse périodique, sanctionnés, après un triple avertissement, de suspension de leur activité, de publier et même de diffuser quoi que ce fût pendant toute la durée de ladite suspension. L’année suivante, le 13 juin, le Conseil d’État rendit obligatoire l’approbation du gouverneur pour toute publication des arrêtés, des procès-verbaux et des rapports émanant des organismes de l’autogestion locale, que ce fussent les assemblées de la noblesse, les municipalités ou les élus provinciaux. Entre 1862 et 1904, la presse russe a fait l’objet de 608 sanctions, 26 maisons d’édition de périodiques ont même été fermées. Au fond, on peut considérer que la seule mesure « en faveur » de la liberté de la presse a été la loi du 4 juin 1901 relative aux délais d’application des sanctions de mise en garde. Au titre de cette loi, une première mise en garde, en l’absence d’autres avertissements, restait en vigueur pendant une année. Au cours de cette période, si une deuxième mise en garde intervenait, elles restaient alors en vigueur pendant deux années, à l’issue desquelles, en l’absence d’une troisième mise en garde, l’éditeur était libéré de toutes les sommations qui lui avaient été adressées.

9 Ainsi, l’Empire russe n’a jamais adopté de véritable loi sur la presse, bien que des projets de cette nature aient vu le jour à maintes reprises. Le plus connu fut sans doute celui déposé le 4 juillet 1906, lors de la première législature de la Douma d’État par le Parti constitutionnel démocratique. On peut juger du caractère de ce document à la lecture des dispositions de l’article 1 : « La presse est libre. La censure est supprimée. Sans condition et pour toujours. La liberté de la presse n’est soumise qu’aux restrictions fixées par la présente loi. » Il va de soi que ce document démocratique est resté à l’état de projet, même si ses idées fondamentales ont été reprises par la première, et dernière, loi soviétique sur la presse, en date du 12 juin 1990. * Repos repos I.2. La liberté de la presse durant la période soviétique

10Les Bolcheviks ont, eux aussi, commencé par des interdictions. Le décret du Conseil des commissaires du peuple sur la presse du 27 octobre (9 novembre) 1917 revêtait le caractère d’une répression politique ouverte. C’est, en effet, en vertu de cette décision que 92 journaux furent fermés à la fin de cette année-là. Ce décret contenait, il est vrai, quelques promesses alléchantes : « Quand l’ordre nouveau sera consolidé, toutes les actions administratives visant la presse cesseront ; une liberté totale sera instituée en sa faveur et dans les limites de la responsabilité pénale, conformément à la loi la plus vaste et la plus progressiste à cet égard. » Il est difficile de dire ce qui était le plus important dans cette déclaration d’intention : l’exaltation révolutionnaire, la démagogie propagandiste ou les représentations confuses que le pouvoir soviétique se faisait à propos des étapes ultérieures de son État. L’action normative promise par le décret ne verra pas le jour avant 1990, ce qui a permis aux beaux esprits de déduire directement du texte la thèse de la « fragilité du nouveau régime ». La loi s’est comme diluée dans les différentes normes juridiques, les décisions du parti et du gouvernement, dans les règlementations et les notes de service, même si les autorités soviétiques ont tenté par deux fois d’élaborer une loi sur la presse.

11 Un projet de loi sur la presse, relativement démocratique pour l’époque, fut conçu au milieu des années 1960. À l’automne 1968, à la séance du Bureau politique du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, chargé d’examiner ce projet, la réplique du principal idéologue de l’époque, Mikhaïl Andreïevitch Souslov, devint décisive : « Comme chacun sait, quelques mois seulement séparent la suppression de la censure en Tchécoslovaquie et l’entrée des chars soviétiques. Je voudrais savoir qui enverra ses chars chez nous ? » Ainsi, la panique que le socialisme réformé tchèque a pu inspirer à l’establishment du parti et de l’État a mis un terme au premier projet de loi soviétique sur la presse dont nous avons connaissance.

12 Au printemps 1976, un nouveau projet fut élaboré, suscité en premier lieu par l’entrée en vigueur, le 23 mars 1976, du Pacte international des droits civils et politiques dont l’article 19.2 garantissait à toute personne « la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». Ce projet était introduit par un assez vaste préambule, constitué de six paragraphes. Le vocabulaire utilisé était déjà révélateur de l’efficacité idéologique escomptée : l’adjectif « communiste » y apparaissait à cinq reprises et « soviétique » huit fois. Ces épithètes étaient utilisées à six reprises dans l’article Ier, lequel définissait les principaux objectifs de la presse, alors que le préambule illustrait parfaitement l’asservissement des moyens de communication sous le régime soviétique. L’idéologie totalitaire se lit, d’ailleurs, facilement dans les formules suivantes :

13 La presse soviétique, sous la direction du parti communiste de l’Union soviétique, participe activement à résoudre d’importants problèmes de la vie du peuple, à transformer les relations sociales socialistes en relations communistes, à éduquer l’homme nouveau. La fidélité aux idéaux communistes, à l’esprit du parti, à l’esprit révolutionnaire offensif, aux masses populaires et à la véracité, ainsi que le respect du lien étroit avec des millions de travailleurs constituent les traits distinctifs de la presse soviétique et expriment sa véritable démocratie. 14 Le projet était rédigé intégralement dans ce style inspiré de celui des lois tchécoslovaque (1966) et roumaine (1974), relatives à la presse, qui furent les documents typiques pour l’époque d’Antonín Novotný et Nicolae Ceauşescu, lorsque la mise en place des normes juridiques obéissait à une idéologie. Ce projet n’a pas été concrétisé dans une loi. Apparemment, cela tenait au fait que les dirigeants soviétiques étaient prêts à appliquer les pactes internationaux des droits de l’homme sans pour autant aller plus loin. S’agissant des moyens de communication de masse, ils n’ont voulu faire aucune concession, voyant d’un mauvais œil les propositions législatives même les plus inoffensives. * I.3. Une reconnaissance législative récente de la liberté de la presse en Russie

15 La première version d’un projet de loi sur la presse a été élaborée dans les années 1986-1987. Certains passages du projet de 1987 étaient même plus conservateurs que n’avait pu l’être celui de 1976. En particulier, le refus d’enregistrer un nouveau périodique pouvait faire l’objet d’un recours, non pas devant un tribunal, mais auprès du gouvernement de l’Union ou de la République soviétique (article 11).

16 Au milieu du mois de juillet 1988, un projet spontané, écrit par des citoyens de base s’est posé en alternative au projet officiel. Bien que ce document démocratique soit resté à l’état de projet, ses idées fondamentales ont été adoptées dans la première et dernière loi soviétique sur la presse, du 12 juin 1990. La conception de ce projet individuel reposait sur les éléments suivants : le refus sans condition de la censure, la reconnaissance des droits des citoyens de créer leurs médias, la garantie de l’indépendance professionnelle et économique des rédactions, la réglementation détaillée de l’exercice du droit d’utiliser et de diffuser l’information et du statut du journaliste, la protection des sources d’informations confidentielles. Les auteurs de ce projet citoyen firent irruption dans la salle du Congrès des députés du peuple de l’URSS et franchirent les cordons de sécurité pour distribuer, dans les couloirs du Palais du Kremlin, près d’un millier d’exemplaires de brochures imprimées à leurs frais. Les députés qui exerçaient le métier de journaliste, soit près d’une cinquantaine, transmirent le projet au secrétariat du Congrès, qui devint alors un document d’initiative législative officielle. Le 12 juin 1990, après la deuxième lecture, la majorité des amendements anti-démocratiques furent rejetés. Avec des pertes relativement minimes pour la liberté de la presse, la Loi soviétique sur la presse et les autres moyens de communication de masse fut adoptée. Il convient de considérer son adoption comme le point de départ de la genèse de la législation russe contemporaine relative aux médias. Elle est restée en vigueur en Russie près d’un an et demi. Le 27 décembre 1991, elle fut remplacée par la Loi de la Fédération de Russie sur les moyens de communication de masse (ci-après « Loi sur les médias »). **

II. La consécration juridique de la liberté de la presse en Russie

II.1. Un arsenal normatif favorable à la liberté de la presse ces dernières années

17 Viatcheslav V. Maklakov a mis en exergue les trois points de vue à partir desquels peut être appréhendée la liberté de la presse et des médias  [8] [8] Viatcheslav Victorovitch Maklakov, Konstitutsionnoïe…. Elle peut l’être, d’abord, du point de vue de l’activité et de la création d’entreprises, d’imprimeries ou de distributeurs de presse. Elle présuppose alors une libre fondation de ces structures, sans accord préalable des pouvoirs publics liés aux institutions concernées. Le point de vue des journalistes regroupe, ensuite, celui de tous ceux qui souhaitent publier. Elle représente le droit d’écrire, de diffuser ses opinions. Du point de vue de la population, cette liberté offre, enfin, la possibilité de lire, de « consommer » de l’information, de prendre connaissance des idées qui sont exprimées. Dans ce cas précis, la liberté de la presse fait partie intégrante d’un droit plus général : le droit à l’information.

18 La Fédération de Russie a ratifié un certain nombre d’actes internationaux consacrant la liberté de la presse. Parmi les plus importants peut être citée la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de 1950, dont l’article 10 évoque la liberté d’expression. Quant à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, il proclame également la liberté d’expression, qui comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout moyen de son choix. Il reprend, en cela, les termes de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de 1948, qui proclame « le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de rechercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». La Russie s’est donc engagée, à de nombreuses reprises, sur la scène internationale, à faire respecter, sur son territoire, la liberté de la presse. Cela vaut, bien sûr, pour les journalistes russes, mais également pour les journalistes travaillant pour des agences de presse étrangères. Cette liberté constitue une marque de la confiance que les différents acteurs se manifestent les uns envers les autres. Elle est, surtout, une condition de la démocratie, et sa reconnaissance, comme sa protection, sont des révélateurs de la pérennité avec laquelle peuvent être installées les valeurs démocratiques permettant d’organiser la société.

19 Ces engagements internationaux trouvent un prolongement jusque dans la Constitution de la Fédération de Russie, puisque, à son article 29, il est souligné que la liberté de pensée et de parole est garantie à chacun, que personne ne peut être contraint à exprimer ses opinions et ses convictions ou bien à y renoncer, et, surtout, que chacun bénéficie du droit de librement rechercher, recevoir et transmettre, produire et diffuser l’information par tout moyen légal. Certaines données relevant du secret d’État sont listées par la Loi fédérale. Le droit constitutionnel russe paraît, sur ce point, en adéquation avec ce qui peut se passer en Europe. Pour prendre quelques exemples, l’article 5§1 de la Loi fondamentale allemande consacre le droit pour chacun de librement exprimer et diffuser son opinion par écrit, et l’article 21 de la Constitution italienne de 1947 proclame que « tout le monde a le droit d’exprimer librement ses pensées oralement, par écrit et par tout autre moyen de diffusion ».

20 À l’instar de ces deux exemples, il n’est pas fait mention non plus dans la Constitution russe de l’expression « liberté de la presse »  [9] [9] Le terme n’était pas non plus utilisé dans la Constitution…. Ce sont d’autres actes constitutionnels qui l’utilisent, exploitant les possibilités offertes par le texte constitutionnel. Ainsi, dans la loi constitutionnelle fédérale sur l’état d’urgence, il est question de la « liberté de la presse » lorsque est évoquée la possibilité, pour les pouvoirs publics, de prendre des mesures de restriction temporaires applicables dans ce type de situations  [10] [10] . L’état d’urgence peut être déclaré : en cas de tentatives de…. L’article 12 de cette loi constitutionnelle donne la possibilité de recourir à « des restrictions de la liberté de la presse et des autres moyens de communication de masse par le biais de la mise en place d’une censure provisoire, dont les conditions et la procédure d’application sont spécifiées ». Ces dispositions permettent également « la confiscation temporaire ou la suspension de la production imprimée, des moyens de radiodiffusion, des équipements d’amplification du son, du matériel de reprographie », ainsi que « l’instauration d’une procédure particulière d’accréditation des journalistes ».

21 Néanmoins, ces dernières années, la législation russe en matière de liberté de la presse paraît équivoque. Si certaines règles adoptées vont dans un sens qui semble favorable à la liberté de la presse, d’autres, plus récentes, semblent marquer un tournant risqué. La Loi fédérale du 27 juillet 2006, intitulée « De l’information, des technologies de l’information et de la protection de l’information », précise, en son article 2, que les informations s’entendent « des renseignements (communications, données) indépendamment de la forme sous laquelle ils se présentent ». L’information peut, alors, devenir un objet de relations publiques ou civiles. Elle peut être librement utilisée par toute personne et transmise d’une personne à une autre, sous réserve des restrictions au droit d’accès à l’information établies par les lois fédérales ou bien d’autres contraintes à l’égard des méthodes de sa mise à disposition ou de sa diffusion. *

II.2. Une évolution récente inquiétante pour la liberté de la presse en Russie

22 À certains égards, et de manière plus spécifique, le législateur peut intervenir pour limiter la liberté de la presse. L’article 4 de la Loi sur les médias du 5 avril 2013 interdit, par exemple, de diffuser, par le biais de moyens de communication de masse ainsi que sur les réseaux de télécommunications informatiques, des informations relatives à un mineur victime d’actes illicites, notamment les nom de famille, prénom, patronyme, la photo et des représentations vidéos de ce mineur, de ses parents et autres représentants légaux, la date de naissance dudit mineur, des enregistrements sonores de sa voix, l’adresse de son domicile ou du lieu de résidence temporaire, le lieu d’étude ou de travail, ou toute information permettant d’établir directement ou indirectement l’identité dudit mineur. Il n’y a rien à redire sur ce point, puisque tous les droits nationaux assignent un certain nombre de limites à la liberté de la presse, notamment en vue de protéger les mineurs.

23 Tous les problèmes de conciliation de la liberté des médias avec d’autres droits et libertés ne sont pas réglés dans l’ensemble des États signataires de la Convention européenne. La France connaît, par exemple, elle-même certains problèmes en la matière, ce qui devrait donner lieu à de prochaines interventions de la Cour européenne  [11] [11] Jean-Yves Dupeux et Alain Lacabarats, Liberté de la presse et…. De manière classique, le respect de la vie privée est souvent invoqué pour limiter la liberté de la presse. Les exemples sont récurrents dans tous les pays, comme le montre la controverse qui a pu avoir lieu en France suite aux révélations par le magazine Closer de l’homosexualité d’un cadre du Front national. Les questions de morale et de religion peuvent également être traitées différemment selon les cultures. En France, le juge judiciaire a pu ne pas sanctionner la publication des caricatures de Mahomet, dans un litige qui concernait l’hebdomadaire Charlie Hebdo. Quant à la conciliation entre le secret de l’instruction des affaires judiciaires en cours et le droit à l’information, elle paraît délicate à trouver  [12] [12] La Cour européenne est également, sur ce point, protectrice de…. Plus généralement, les médias sont régulièrement la cible de critiques dans le traitement de l’actualité, comme le montrent les condamnations du Conseil supérieur de l’Audiovisuel, suite au traitement médiatique des attentats français des 7, 8 et 9 janvier 2015. Les balbutiements des droits nationaux en la matière paraissent normaux, dans la mesure où la liberté de la presse et des médias, comme les autres libertés, doit être adaptée à l’évolution des moyens de communication et autres attentes de la société à son endroit. Les condamnations des différents États sont donc, à certains égards, un signe de bonne santé démocratique, puisqu’elles traduisent leur bonne volonté de faire progresser l’État de droit en faveur des droits fondamentaux.

24 D’autres modifications législatives en matière de liberté de la presse démontrent plutôt une aspiration des autorités à isoler la Russie du marché mondial de l’information. La nouvelle version de la loi sur les médias, du 26 septembre 2014, fixe de nouvelles limites quant aux fondateurs de médias. Si, par le passé, une personne morale étrangère ou bien une personne morale russe détenant une participation de 50 % et plus dans un média ne pouvait pas fonder de chaînes de télévision ou de stations de radio, aujourd’hui le seuil a été ramené à 20 %. Par ailleurs, outre les chaînes de télévision et de radio, tombent également sous le coup des mesures restrictives susmentionnées les publications périodiques imprimées et électroniques. Les plus grosses maisons d’édition étrangères qui travaillent sur le marché russe doivent cesser d’exister ou bien modifier la structure de leur propriété. La nouvelle rédaction de la loi accorde deux ans aux fondateurs de médias étrangers pour la mise en conformité de leurs actes constitutifs. La loi entrera en vigueur en 2017. En conséquence, les médias forts d’une participation étrangère doivent, soit réduire la part de leur participation étrangère, soit cesser leurs activités en Russie avant février 2017. Plusieurs médias, dont la chaîne américaine CNN, ont d’ores et déjà annoncé ne plus vouloir être diffusés dans ces conditions.

25 Cette limitation annoncée de la participation étrangère dans les médias russes rappelle, pourtant, celle qui est en vigueur dans de nombreux États, comme les États-Unis et la France  [13] [13] Le seuil de participation étrangère aux médias est également…. Ainsi, en France, l’article 40 de la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, énonce :

26 Sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France, aucune personne de nationalité étrangère ne peut procéder à une acquisition ayant pour effet de porter, directement ou indirectement, la part du capital détenue par des étrangers à plus de 20 % du capital social ou des droits de vote dans les assemblées générales d’une société titulaire d’une autorisation relative à un service de radio ou de télévision par voie hertzienne terrestre assuré en langue française. 27 En outre, la limitation russe s’appliquera aussi aux Russes bénéficiant de la double nationalité. L’inquiétude que suscite cette nouvelle législation s’explique avant tout par le climat qui règne et par les incertitudes pesant sur la liberté de la presse dans un avenir plus ou moins proche. Les craintes qu’exprime l’expert du Centre de pensée et d’idéologie scientifiques et politiques, Alexandre Gaganov, semblent, pourtant, légitimes concernant la Russie : « Cette loi n’entraîne-t-elle pas une censure masquée, interdite par le titre 5, article 29, de la Constitution ? N’enfreint-elle pas la liberté des médias garantie par la Constitution  [14] [14] Pour plus d’informations, consulter le site . ? » Ces questions restent ouvertes. Les réponses dépendent largement de la pratique de la mise en œuvre de la loi évoquée, dans un climat qui inspire la méfiance.

28 Les signaux envoyés par les pouvoirs publics russes ne vont pas dans un sens favorable à la liberté d’expression, et le climat de tension qui couve actuellement dans les relations internationales n’apaise pas, lui non plus, les craintes suscitées. La Cour européenne est elle-même la cible de critiques. On a pu lui reprocher, du côté de Moscou, un rôle trop politisé. D’un point de vue juridique, son action semble des plus précieuses pour obliger les États à respecter leurs engagements, et à ne pas céder à la tentation de restreindre la liberté d’une presse qui n’est pas toujours acquise à la cause des pouvoirs publics. Les arrêts rendus par la Cour, s’ils ne sont obligatoires qu’à l’égard des États parties au litige, semblent bénéficier de d’une certaine autorité de la chose interprétée, qui conduit de plus en plus les États à mettre leur droit national en conformité avec sa jurisprudence, alors même qu’ils ne sont pas condamnés directement par le juge de Strasbourg. Le droit russe se trouve, comme les autres, influencé par l’ensemble de la jurisprudence européenne. Cela étant, la Cour européenne a également une action directe à l’égard de la liberté de la presse en Russie, puisque cette dernière est concernée par un certain nombre d’affaires sur lesquelles la Cour a eu à se pencher ces dernières années, qui soulignent, à elles seules, l’importance que joue la juridiction strasbourgeoise dans ce domaine  [15] [15] Voir la section III.2 de cet article..

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III. La préservation de la liberté de la presse et des médias russes par la Cour européenne des droits de l’homme

III.1. La liberté de la presse dans la jurisprudence russe

29 À l’instar des juridictions constitutionnelles européennes  [16] [16] Pour une approche comparative des jurisprudences…, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie a consolidé, à plusieurs reprises, la liberté de la presse, en exerçant un contrôle concret sur les dispositions législatives concernées  [17] [17] Olga Khohkhryakova, Maria Filatova et Sarah Hatry, « Le…. Dans une décision du 30 octobre 2003  [18] [18] Voir décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de…, elle a attiré l’attention sur le fait que certaines dispositions de l’article 48§2 de la Loi fédérale sur les garanties fondamentales des droits électoraux et des droits des citoyens de la Fédération de Russie à participer à un référendum ne contredisaient pas la Constitution, dans la mesure où, mises en relation avec d’autres dispositions du même texte législatif, elles ne permettaient pas une interprétation large de l’expression « agitation préélectorale ». Elles présupposent que seul l’accomplissement délibéré, par les représentants des moyens de communication de masse desdites organisations, des actions prévues à l’article 48 alinéa 2 de la Loi fédérale précitée, directement destinées à engendrer une telle agitation, peut être considéré comme une agitation électorale illégale, à la différence de l’information des électeurs, y compris de l’activité professionnelle analogue à de l’agitation, sous son aspect extérieur visé à l’article 45§5  [19] [19] De l’avis des auteurs de la saisine, ces dispositions….

30 La Cour constitutionnelle a alors expliqué ce qu’elle entendait par « liberté de parole et de la presse ». Tout d’abord, elle a considéré que « les limitations des droits constitutionnels, y compris […] de la liberté d’information de masse, doivent être indispensables et proportionnées aux fins constitutionnellement reconnues de ces limitations ». Le législateur est autorisé par le pouvoir constituant à limiter les droits constitutionnels, il ne doit cependant pas porter atteinte à leur essence. En pareille hypothèse, la Cour précise que le législateur doit adopter des mesures nécessaires, adaptées et proportionnées, comme l’exigent ses homologues européennes  [20] [20] Le Conseil constitutionnel français a les mêmes exigences, voir…. Les dispositions doivent également être suffisamment précises et ne pas permettre une interprétation trop large des limitations établies.

31 Ensuite, toujours dans sa décision rendue le 30 octobre 2003, la Cour a précisé que, partant du fait que l’utilisation d’une information de masse libre, au sens où l’entendent les textes constitutionnels et conventionnels qui la garantissent : 32 Des obligations et des responsabilités particulières incombent aux organismes qui gèrent les moyens de communication de masse, et les représentants de ces organismes d’autoréglementation, qui agissent d’une manière indépendante en fonction des normes élaborées par la communauté journalistique, c’est-à-dire selon les règles déontologiques de leur profession, doivent occuper des positions éthiques et modérées et éclairer les campagnes électorales de façon juste, équilibrée et impartiale. 33 Enfin, elle avait déjà pu affirmer, dans une décision du 27 septembre 1995 : 34 Lors des contrôles effectués dans les tribunaux de compétence générale des affaires de protection de l’honneur et de la dignité, on se doit de déterminer et d’évaluer non seulement l’authenticité, mais également le caractère des renseignements diffusés, à partir de quoi le tribunal doit décider si les renseignements diffusés portent préjudice aux valeurs défendues par la Constitution de la Fédération de Russie, il doit trancher si ces faits s’inscrivent dans le cadre d’un débat politique et distinguer, d’une part, la diffusion des informations fondées sur les faits inexacts et, d’autre part, les jugements politiques dont le démenti peut être défendu devant un tribunal. 35 Quant à la pratique judiciaire ordinaire, le plénum de la Cour suprême de la Fédération de Russie a pu rendre, le 24 février 2005, un arrêté relatif à « la pratique judiciaire dans les affaires de protection de l’honneur et de la dignité des citoyens, ainsi que de la réputation commerciale des citoyens et des personnes morales ». Ce document a attiré l’attention des tribunaux russes sur la nécessité de tenir compte de la position de la Cour européenne en matière d’application et d’interprétation de l’article 10 de la Convention. En outre, la notion de diffamation utilisée par la Cour européenne est similaire à celle de diffusion des informations calomnieuses, non conformes à la réalité, figurant à l’article 152 du Code civil russe. Un citoyen est en droit d’exiger un démenti des informations calomnieuses portant atteinte à son honneur, à sa dignité et à sa réputation commerciale, si celui qui a rendu publiques ces informations n’apporte pas la preuve de la vérité du fait considéré comme diffamatoire. Une personne morale, quant à elle, a le droit de protéger seulement sa réputation commerciale. Il arrive néanmoins que les tribunaux ordinaires rendent des décisions qui s’écartent de l’esprit européen de la liberté de la presse. La Cour européenne apparaît donc comme l’ultime rempart pour assurer sa protection dans le droit russe.

* III.2. La liberté de la presse dans la jurisprudence européenne

36L’adhésion de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe, le 28 octobre 1996, et sa reconnaissance de la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme a été un événement véritablement important dans l’histoire du pays. Grâce à sa prise de position active, la Cour de Strasbourg effectue une analyse pertinente des tendances et spécificités de l’évolution de la législation nationale, de même que de l’établissement de normes en matière de liberté des journalistes  [21] [21] Alexis Guedj, Liberté et responsabilité du journaliste dans…. La Cour européenne a été à l’origine des évolutions significatives de la liberté de la presse et des médias en Russie, de manière directe, lorsque la Russie est partie à un litige qui se retrouve devant la Cour européenne, mais également de manière indirecte, lorsqu’un État signataire de la Convention, autre que la Russie, se trouve concerné.

37 Dans l’affaire Diouldine c. Russie, du 31 juillet 2007, les requérants – le premier, directeur de la section régionale d’un syndicat indépendant, et le deuxième, journaliste, étaient co-présidents de l’Union des électeurs de la région de Penza Grazhdanskoye Edinstvo (Unité civile) – reprochaient aux tribunaux russes de les avoir jugés coupables pour diffusion d’informations non conformes à la réalité constitutive d’une atteinte à l’honneur, à la dignité et à la réputation des fonctionnaires de la région de Penza, et de les avoir condamnés à leur verser une compensation financière pour dommage moral. Une action en justice avait été engagée suite à la publication dans un journal d’une lettre ouverte au président de la Fédération de Russie, signée par les requérants, à l’issue de la tenue d’une table ronde publique. Les propos critiques tenus à l’égard des autorités régionales dans cette lettre avaient été considérés par les tribunaux ordinaires comme une diffusion d’informations déshonorantes pour le gouvernement de la région. La Cour a, dans son arrêt, adopté des positions favorables à la mise en œuvre de la liberté de la presse et des médias. D’abord, elle a réaffirmé que la presse remplissait une fonction essentielle à la société démocratique. À ce titre, et bien que la presse ne doive pas franchir certaines limites, elle n’en a pas moins pour mission de diffuser les informations et idées portant sur toute question d’intérêt général  [22] [22] Une position analogue a été exprimée par la CEDH dans l’affaire…. En effet, la liberté de la presse, et des médias en général, fournit à la société l’un des meilleurs moyens de connaître les idées et positions de ses dirigeants politiques et d’élaborer sa position à leur endroit. Elle offre, en particulier, au personnel politique, la possibilité de réfléchir aux questions qui préoccupent l’opinion publique et de les commenter, tout en permettant à tout un chacun de participer de manière effective au débat public, ce qui constitue le cœur même d’une société démocratique. En outre, lorsqu’il justifie les restrictions imposées à la liberté de la presse et des médias, l’État doit toujours faire état de motifs sérieux pour de telles restrictions, dans la mesure où de vastes restrictions, imposées dans des cas concrets spécifiques, exercent, de manière plus globale, une influence réelle sur le respect de la liberté d’expression en général. Enfin, la Cour rappelle qu’une plainte doit être fondée et dirigée contre une affirmation diffamatoire visant elle-même une personne précisément identifiable. L’intérêt à agir est donc appréhendé de manière stricte, ce qui semble nécessaire, notamment pour ne pas encombrer davantage le quotidien du juge européen des droits de l’homme.

38 La Cour européenne a également défendu les journalistes, en effectuant une distinction entre « jugements de valeur » et « faits », dans l’arrêt rendu au sujet de l’affaire Chemorudov c. Russie, le 31 juillet 2007. Le requérant avait saisi la Cour européenne en invoquant son droit à exprimer librement son opinion dans la presse. Il avait publié, dans un journal local, un article dans lequel il qualifiait le gouverneur de la région de Koursk, Alexandre Rutskoï, de gouverneur « immoral » en raison du fait qu’il avait ordonné à ses assistants de « couvrir » l’insuffisance du budget de la région due à une série de dépenses destinées à la surévaluation de travaux réalisés. A. Rutskoï engagea une action en justice contre le requérant pour défendre son honneur, sa dignité et sa réputation commerciale. Bien que le tribunal local ait convenu des faits exposés dans l’article, une décision a été rendue contre le requérant. Pour la Cour européenne, les limites des critiques admissibles à l’en­contre du personnel politique, dont fait partie A. Rustkoï, peuvent être plus larges que celles prévues concernant les personnes privées  [23] [23] Dans la célèbre affaire Janowski c. Pologne (requête…. En outre, l’expression « immoral » doit être considérée comme un jugement de valeur et non comme une déclaration de fait. Il n’est pas possible de satisfaire à l’exigence de démonstration de la véracité d’un tel jugement de valeur, et cette exigence viole en elle-même la liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la Convention. En conséquence, la Cour européenne n’a pas vu d’utilisation abusive de la liberté de la presse, et elle a considéré, à l’unanimité, qu’une violation des exigences de l’article 10 de la Convention avait été autorisée par les autorités de l’État du défendeur dans l’affaire. La Cour a considéré qu’il fallait que soit versé au requérant l’indemnité qu’il exigeait pour le remboursement des frais d’avocat.

39 L’affaire du petit fils de Staline, Evgueni Dzhugashvili c. Russie, dont l’arrêt a été rendu par la Cour le 15 janvier 2015, est l’une des plus retentissantes de ces dernières années en matière de liberté de la presse. Pour le requérant, un article de Anatoli Y. Iablokov, intitulé « Béria reconnu coupable », publié dans le journal Novaya gazeta, contenait des informations ne correspondant pas à la réalité et étaient même avilissantes pour l’honneur et la dignité de Staline. Le journaliste y écrivait, ainsi, que « Staline et les Tchékistes sont liés par beaucoup de sang », « Staline et les membres du Bureau politique du Parti communiste russe (les Bolchéviks) qui ont prononcé la décision obligatoire pour leurs exécutants de fusiller des Polonais se sont soustraits à leur responsabilité morale pour ce crime extrêmement grave », ou en parlait comme ayant été « un cannibale assoiffé de sang ».

40 La Cour européenne s’est rangée, là aussi, du côté du journaliste, en considérant que les exigences d’Evgueni Dzhugashvili n’étaient pas fondées. Elle a souligné plusieurs éléments intéressants. D’abord, elle a rappelé que les hommes politiques entrent notoirement dans des limites plus larges de critiques admissibles que celles que l’on tolère vis-à-vis des personnes privées.

41 Ensuite, il faut bien constater que les questions abordées dans les extraits décriés revêtaient un intérêt significatif pour la société. A. Y. Iablokov était, ainsi, en droit d’attirer l’attention de l’opinion publique par le biais de la presse et le jugement qu’il exprime ne viole nullement le juste équilibre social, indispensable dans une société démocratique, entre la protection de l’honneur et de la dignité d’un homme politique et le droit d’un journaliste de diffuser des informations relatives à des questions présentant un intérêt général. Il n’existe, en effet, pas de signes objectifs que l’auteur de l’article outrepasse les limites de la critique généralement admissible, qu’il exagère ou se livre à de la provocation afin d’exprimer son point de vue et ses convictions, ceux-ci revêtant une forte coloration émotionnelle. En outre, concernant les premiers et troisièmes extraits (« Staline et les Tchékistes sont liés par le sang » et « un cannibale assoiffé de sang »), la Cour européenne s’est appuyée sur l’évaluation de toutes les preuves rassemblées par l’ensemble des parties et en a conclu que les phrases décriées n’étaient pas des déclarations de faits, et constituaient l’expression de l’opinion de leur auteur à l’égard d’événements relativement complexes, compris différemment par les parties, qui ont eu lieu à une époque lointaine.

42 Enfin, lors de l’évaluation du deuxième extrait, où il est fait mention des Polonais fusillés, le juge de Strasbourg est parti des dispositions de l’article 10 de la Convention, en vertu desquelles chacun a le droit d’exprimer librement son opinion, ce droit comprenant la liberté de défendre son opinion et la liberté d’obtenir et de diffuser des informations et des idées sans aucune ingérence de la part des pouvoirs publics et indépendamment des frontières de l’État.

43 Dans toutes ces affaires, la Cour européenne a renforcé les défenses de la liberté de la presse en Russie. La défense conventionnelle de la liberté de la presse implique non seulement de proclamer cette liberté, mais cela nécessite également que les dispositions adoptées soient appliquées, sous le contrôle de la Cour européenne, et que ses décisions soient, ensuite, exécutées par les tribunaux russes. Les positions prises par la Cour européenne dans ses arrêts définitifs sont revêtues de l’autorité de la chose jugée lorsqu’ils ont été pris à l’endroit de la Russie. Elles doivent donc être appliquées par les tribunaux russes  [24] [24] * S’agissant du devenir des affaires normalement revêtues de…. La question se pose, en revanche, pour l’avenir. Il faut espérer que les autorités russes ne commettront pas l’erreur de se précipiter dans la voie d’un isolement juridique, économique et politique. La crise ukrainienne a engendré de nombreuses conséquences néfastes pour la Russie. Cela a ainsi conduit le chef de la délégation russe à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Alexeï Pouchkov, à affirmer que « la Fédération de Russie suspend tous ses contacts officiels avec l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, seuls des contacts avec certains députés seront poursuivis au niveau des parlements nationaux ». Cela doit-il être perçu comme une amorce de sortie du Conseil de l’Europe par la Russie ? En pareille hypothèse, cela signifierait également qu’elle cesserait d’être partie à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 58.3 de la Convention)  [25] [25] Jusqu’à présent, un seul pays, la Grèce, est sorti du Conseil….

44À l’heure où sont écrites ces lignes, la situation n’est pas catastrophique définitivement. Dans un entretien accordé le 29 février 2016 à RIA Novosti, Alexeï Pouchkov a souligné qu’« aujourd’hui le but de la Russie n’est pas la sortie du Conseil de l’Europe  [26] [26] Voir le site RIA Novosti… ». Pour le respect des droits et libertés fondamentaux en Russie, au premier rang desquels figure la liberté de la presse, les autorités russes doivent faire tout leur possible pour rester dans le champ paneuropéen d’intégration de la Convention européenne dans leur ordre juridique, et continuer de reconnaître la juridiction de la Cour de Strasbourg.

45 – 46 La Russie a parcouru un long chemin en matière de liberté de la presse et, ensuite, de mise en œuvre de ce principe dans le pays. Aujourd’hui, les organes du pouvoir judiciaire supranationaux et nationaux ont joué un rôle considérable dans la mise en forme juridique de la liberté de la presse. Le devenir de cette liberté et de celle des médias suscite néanmoins un certain nombre d’interrogations en Russie. Une amélioration significative de la liberté de la presse en Russie peut avoir lieu, si la société russe prend conscience du caractère réciproque des droits, des obligations et des responsabilités de la société civile et de l’État, et si les partenaires occidentaux ne relâchent pas leurs efforts pour inciter la Russie à respecter ses engagements  [27] [27] Cet article est issu du projet de recherche « Vzaïmodeïstvie….

Notes [1] Pour une présentation générale et détaillée du cas français, voir notamment : Bernard Beignier, Bertrand de Lamy et Emmanuel Dreyer (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, Paris : LexisNexis, 2009. [2] Le premier État à avoir consacré la liberté d’expression par la voie législative est la Suède, en 1766. La Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen proclama, à son tour, en 1789, que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté ». À la même époque, le Premier amendement à la Constitution des États-Unis d’Amérique, adopté deux ans plus tard, prévoit, quant à lui, que : « le Congrès ne fera aucune loi […] qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ». [3] Ce classement est disponible en ligne : . [4] Anne Nivat, Quand les médias russes ont pris la parole. De la glasnost à la liberté d’expression 1985-1995, Paris : L’Harmattan, 1997. [5] Voir Yasen Nikolaïevitch Zasurski et Elena Leonidovna Vartanova, Historia petchati. Antologuia [L’histoire de la presse. Anthologie], Moscou : Aspecte Presse, 2001. Toutes les traductions de citations du russe sont le fait des auteurs. [6] Ibid. [7] Ibid. [8] Viatcheslav Victorovitch Maklakov, Konstitutsionnoïe (gossudarstvennoïe) pravo zarubejnykh stran. Obchtchaïa tchast’ Droit constitutionnel (national) des pays étrangers. Généralités], Moscou : Infotropic, 2012. [9] Le terme n’était pas non plus utilisé dans la Constitution française, jusqu’à ce que le constituant insère, en 2008, à l’article 34, la compétence pour le législateur de fixer les règles concernant notamment « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». [10] . L’état d’urgence peut être déclaré : en cas de tentatives de modification par la force de la structure constitutionnelle de la Fédération de Russie ; en cas de prise du pouvoir ou d’usurpation de ce dernier, de rébellions armées, d’émeutes, d’actes terroristes, de blocus ou de prise de contrôle de sites particulièrement importants ou de certaines localités ; en cas de mise en place et d’intervention des troupes armées illégales ; en cas de conflit international, interconfessionnel et régional assortis d’actions violentes créant une menace directe pour la vie et la sécurité des citoyens, ainsi que pour le fonctionnement normal des instances du pouvoir national et des organes des administrations locales. [11] Jean-Yves Dupeux et Alain Lacabarats, Liberté de la presse et droits de la personne, Paris : Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1997. [12] La Cour européenne est également, sur ce point, protectrice de la liberté de la presse. Elle a, ainsi, pu désavouer la Suisse, dans un arrêt de chambre non encore définitif, pour avoir condamné un journaliste qui avait divulgué des informations couvertes par le secret de l’instruction. CEDH, 1er juillet 2014, A.B. c/ Suisse, n° 56925/08. [13] Le seuil de participation étrangère aux médias est également limité dans d’autres pays. Il est, par exemple, fixé à 20 % en Australie, en Indonésie et au Canada, où il s’applique aux limites imposées aux investissements étrangers effectués auprès des diffuseurs. La même logique est suivie en Europe avec un seuil variable. Il est, entre autres, fixé à 20 % en France et à 25 % en Espagne. Un tel seuil est également prévu aux États-Unis, où il s’agit de limiter à 25 % le contrôle, par des personnes étrangères, des chaînes de télévision et des stations de radio. En revanche, les initiateurs du projet russe n’expliquent pas véritablement en quoi va consister le futur seuil. [14] Pour plus d’informations, consulter le site . [15] Voir la section III.2 de cet article. [16] Pour une approche comparative des jurisprudences constitutionnelles : Michel Verpeaux, « La liberté d’expression dans les jurisprudences constitutionnelles », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 36, 2012. [17] Olga Khohkhryakova, Maria Filatova et Sarah Hatry, « Le contrôle concret des normes par la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie », Constitutions, 3, 2010, p. 395. [18] Voir décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie n° 15-II du 30 octobre 2003. [19] De l’avis des auteurs de la saisine, ces dispositions permettaient de faire entrer dans la catégorie d’agitation préélectorale toute activité liée à la diffusion d’informations sur les candidats, les listes des candidats, les alliances électorales, les blocs électoraux, ce qui, par son interaction avec l’article 48§7.h, interdit aux représentants des organisations assurant la diffusion des médias de masse d’organiser une agitation préélectorale et une agitation sur les questions de référendum dans le cadre de l’exercice de leur activité professionnelle, implique une restriction démesurée de la liberté d’expression, du droit de chacun à transmettre, produire et diffuser des information et enfreint la garantie de la liberté d’information de masse. [20] Le Conseil constitutionnel français a les mêmes exigences, voir notamment : décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, Mme Térésa C. et autre [Exception de vérité des faits diffamatoires de plus de dix ans], Rec., p. 244. Pour une analyse plus générale de la position défendue par le Conseil constitutionnel concernant la liberté de la presse en France, voir Bertrand de Lamy, « La Constitution et la liberté de la presse », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 36, 2012. [21] Alexis Guedj, Liberté et responsabilité du journaliste dans l’ordre juridique européen et international, Bruxelles : Bruylant, 2003. [22] Une position analogue a été exprimée par la CEDH dans l’affaire De Haes et Gijsels c. Belgique (arrêt du 24 février 1997). Dans cet arrêt, la CEDH a souligné qu’il incombait néanmoins à la presse de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. [23] Dans la célèbre affaire Janowski c. Pologne (requête n° 25716/94, arrêt de la Cour du 21 janvier 1999), la CEDH avait également établi que les limites de la critique admissible sont, comme pour les hommes politiques, plus larges pour les fonctionnaires agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. [24] S’agissant du devenir des affaires normalement revêtues de l’autorité de la chose jugée en droit interne français, suite à un arrêt de la Cour européenne : voir Magali Lafourcade, La réouverture des procédures juridictionnelles consécutive à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. L’éclairage français, Paris : LGDJ, coll. « Bibliothèque des sciences criminelles », 60, 2014. [25] Jusqu’à présent, un seul pays, la Grèce, est sorti du Conseil de l’Europe, durant la période de la dictature militaire instituée suite à un coup d’État (1967-1974). [26] Voir le site RIA Novosti (consulté le 27 mai 2016). [27] Cet article est issu du projet de recherche « Vzaïmodeïstvie pravovykh sistem covremennovo mira v usloviakh globalisatsii » (Interactivité des systèmes juridiques du monde contemporain dans le contexte de la mondialisation, n° 1658) subventionné par le ministère de l’Éducation et de la Science de la Fédération de Russie. * Fin de l’article ** Lire aussi sur notre site :

Russie : la répression s’accroît contre les forces de gauche. https://www.gauchemip.org/spip.php?... **

* 2 – Explication complémentaire sur les causes des atteintes à la liberté d’expression en Russie.

Pour prolonger ce texte qui relate les événements jusqu’à 2015 – 2016, rappelons que la fédération de Russie a été exclue du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022. Celle-ci avait claqué la porte de ce conseil quelques heures avant. Du même coup, la fédération de Russie n’est plus liée à la CEDH dont l’article historique précédent avait montré l’influence pour défendre la liberté d’expression en Russie.

2. 1 – Explications exogènes.

On ne peut expliquer la politique répressive d’un gouvernement autoritaire sans mentionner le contexte géopolitique international sous peine d’avoir une vision partielle et donc partiale. Il nous faut donc analyser les causes non seulement endogènes mais aussi exogènes.

L’aggravation de la situation sur la liberté d’expression comme indiqué dans l’article date du début des années 2000 ce qui coïncide, comme par hasard, avec les révolutions colorées dans les anciennes républiques soviétiques rgie (novembre 2003), en Ukraine (novembre-décembre 2004) et au Kirghizstan (mars 2005) provoquées par des facteurs endogènes (mécontentement populaire interne) et exogènes (rôle des O.N.G. et de la CIA ou encore de milliardaires comme GeorgesSorroS. Dès lors, tout mouvement de contestation du régime en place et est ou supposé être instrumentalisée par une puissance extérieure occidentaledont notamment au premier chef les États-Unis remarquons aussi que la menace en 2008 du président Obama de faire entrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN a aussi augmenté la tension.

On peut imaginer la crainte du gouvernement russe devoirs s’accroître l’étendue et l’intensité de la contestation par la mise en œuvre d’une guerre cognitive tous azimuts par les puissances occidentales.

Cette hypothèse est d’ailleurs présente dans l’imaginaire du FSB (services de renseignements de la fédération de Russie). Voir à ce propos l’article sur le site La Libre Vie internationale – Europe https://www.lalibre.be/internationa...

Dans la même veine, sur le même site : une guerre civile inévitable en Russie !

https://www.lalibre.be/internationa...

Lors du mouvement de protestation spectaculaire organisée par le dirigeant du groupe Wagner a fait prendre leur rêve pour une réalité pour une bonne partie de la presse occidentale. Voici à titre d’illustration comique l’annonce choc du site « Le grand continent » : La guerre civile commence en Russie. https://legrandcontinent.eu/fr/2023...

À cette occasion, poutine a pu tester que le peuple russe ne se fragmentait pas et lui a conservé globalement sa confiance. Mais ce fut aussi un prétexte pour intensifier la répression contre les opposants accusés ou suspectes d’être sur la ligne de l’OTAN. Et de notoriété publique que les sanctions économiques considérables à l’encontre de la Russie ont pour objectif non seulement de l’affaiblir économiquement mais de provoquer un mécontentement important dans la population pouvant éventuellement déboucher sur une insurrection ou une guerre civile. Et il n’est pas nécessaire d’être un ancien du KGB, comme poutine, pour le savoir. * Un second élément à prendre en compte est aussi la volonté de réprimer les aspirations indépendantistes comme ce fut le cas de la Tchétchénie. La répression militaire organisée par le gouvernement de poutine 2999 à 2001 fut particulièrement violente occasionnant la mort de 100 000 à 300 000 civils selon les sources. Opposition russe à cette répression ne fut pas importante car le gouvernement russe affirma qu’il fallait châtier durement les hauteurs de cinq attentats tchétchènes sur le sol russe ayant occasionné plus de 300 morts. Pour plus de détails sur cette guerre, voire en résumé sur L’Internaute :

https://www.linternaute.fr/actualit... on pourrait aussi mentionner la situation politique de la Géorgie depuis 1991 en proie à des conflits internes. Là encore, le gouvernement russe doit faire face aux velléités indépendantistes de la Géorgie qui sollicite une présence militaire occidentale des 2002. « La Géorgie a accueilli quelques soldats américains en 2002 dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », et à l’époque, Poutine avait déclaré qu’il n’y voyait « aucune tragédie ». Depuis, l’armée géorgienne s’était équipée en matériel américain, israélien, tchèque, ukrainien et turc et a fait entraîner ses militaires professionnels (37 000 hommes) par l’armée américaine et des conseillers américains, israéliens, français, polonais, ukrainiens et néerlandais27,28 et pourrait être informée en continu des concentrations de troupes russes dans le Nord du Caucase par les renseignements américains qui surveillent la région par satellite » Source : Wikipédia la guerre Russo géorgienne. https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerr...

Jean-Luc Mélenchon a eu tout à fait raison de dire que l’effondrement de l’empire soviétique arrêt du être suivi d’une négociation internationale sous l’égide de l’ONU pour rediscuter des frontières et du statut des états qui ont demandé pour certains leur indépendance par rapport à la Russie. Faute de quoi, on assiste à une foire d’empoigne entre la fédération de Russie et les États-Unis pour mettre sur leur influence les états indépendantistes. ** 2. 2 – les explications endogèness

2. 2. 1 – Les causes économiques et sociales conjoncturelless après un naufrage économique et socia consécutifs à l’effondrement de l’URSS, après une période de marasme 2991 à 1999 causé par la « thérapie de choc » préconisé par le fanatisme privativiste du FEM y succède une période de croissance économique liée il est vrai, au cours du prix du baril de pétrole du mètre cube de gaz et du cours des matières premières. La Russie n’échappe pas aux crises de 1998 et 2007 – 2008. 2999 à 2005 la croissance de son PIB et de sept – 8 % annuel. Grâce aux sanctions occidentales à son encontre en 2014, la Russie a réinvesti dans la production agricole et la modernisation de son matériel pour devenir dorénavant le premier exportateur mondial de céréales. Nous n’examinerons pas ici les conséquences économiques des mesures de rétorsion contre la fédération de Russie, ce qui serait l’objet d’un article spécial. Pendant ce temps, des mesures sociales fluctuantes tantôt progressiste tantôt rétrograde ont marqué la période 2000 – 2023. En voici un exemple. * « L’année 2005 a été marquée en Russie par le retour au premier plan des problèmes sociaux. Complètement négligés depuis la chute de l’URSS, ils ont été brusquement mis en lumière par les manifestations qui se sont déroulées en janvier dans l’ensemble du pays. Ces protestations inattendues des classes défavorisées ont contraint le pouvoir à s’atteler à ces dossiers et à promettre une revalorisation des revenus les plus bas. Elles n’ont toutefois pas débouché sur des changements politiques significatifs. Au contraire, craignant la propagation des révolutions démocratiques dont l’Ukraine et la Géorgie ont été le théâtre, le régime a renforcé son dispositif de contrôle des éventuels mouvements contestataires. Le système de « démocratie dirigée », mis progressivement en place par Vladimir Poutine depuis son arrivée au pouvoir, s’est encore durci en 2005. Le gouvernement fédéral s’est attaché en effet à renforcer son emprise sur les autorités régionales et à limiter les possibilités d’expression démocratique de la société. »

Lire la suite dans : Russie 2005 Reprise en main Françoise Daucé, Gilles Walter Dans Le Courrier des pays de l’Est 2006/1 (n° 1053), pages 6 à 32 source : cairn info https://www.cairn.info/revue-le-cou...

* 2. 2. 2 – causes structurelles (depuis 1991 et surtout à partir de 2000). A Causes économiques La concentration des richesses produites entre les mainsd’ une caste d’oligarques a accru considérablement les inégalités en Russie qui devient alors l’un des pays les plus inégalitaires du monde en termes de patrimoine et de revenus. Les forces de gauche d’opposition sont évidemment particulièrement sensibles à cette question des inégalités. **

« Le pouvoir économique et politique étant aux mains d’un clan restreint, il n’est pas étonnant que les inégalités de revenus et de richesses soient particulièrement élevées en Russie. Selon la base de données WID de Thomas Piketty et Emmanuel Saez, la part du revenu national allant au 1 % des plus hauts revenus était de 21,4 % en 2021 en Russie, contre 18,8 % aux États-Unis et 9,8 % en France. Les inégalités de richesse sont encore plus fortes : 48 % de la richesse en Russie est détenue par les 1 % les plus riches, contre 35 % aux États-Unis ou 27 % en France.

17 % de la richesse de la Russie était entre les mains de 0,01 % des ménages, qui parquaient environ la moitié de leurs avoirs hors de Russie.

La réalité est probablement encore plus inégalitaire, en raison du secret qui entoure le patrimoine des oligarques. Un article de recherche consacré aux détenteurs d’actifs financiers dans les paradis fiscaux, publié dans le Journal of Public Economy en 2018, lève une partie du voile. Les auteurs, dont Gabriel Zucman de Berkeley, montrent qu’en 2015, 17 % de la richesse de la Russie était entre les mains de 0,01 % des ménages, qui parquaient environ la moitié de leurs avoirs hors de Russie.

L’amère réalité russe est que les revenus générés par l’exploitation des richesses naturelles de la Russie vont essentiellement à ses dirigeants et leurs proches, la population n’en retirant que des miettes.

Ceci explique l’impérieuse nécessité pour le clan Poutine de ne tolérer aucune opposition. »

Source : Institut Montaigne. Université de Sherbrooke. https://www.institutmontaigne.org/e... * voici un autre article sur les inégalités en Russie. * roissance des inégalités La société et l’économie russes se sont profondément transformées depuis le démantèlement de l’URSS. Une grave crise économique a marqué les années 1990, et a entraîné un appauvrissement massif de la population. La pauvreté, nouvellement reconnue et mesurée à partir de 1992, touchait à cette date plus d’un tiers de la population, selon les données officielles de l’institut de statistique russe. Au cours des années 2000, alors que le taux de pauvreté diminuait, la croissance des inégalités est devenue le phénomène majeur, la consommation ostentatoire de quelques nouveaux riches du centre de Moscou contrastant avec le dénuement des personnes seules dans les campagnes. Récemment, la nouvelle crise économique de 2014 et la chute du rouble ont touché fortement les nouvelles classes moyennes qui s’étaient souvent endettées à travers des prêts immobiliers et à la consommation.

Graphique 3 : Taux de pauvreté et coefficient de Gini de mesure des inégalités en Russie Source des données : Rosstat, Institut de Statistique de la Fédération de Russie, 2015, http://www.gks.ru

En Russie, la mesure de la pauvreté repose sur une approche absolue (et non relative comme dans l’Union européenne). Est considérée comme pauvre en Russie toute personne dont les revenus monétaires sont inférieurs au « minimum de subsistance », ce qui correspond à un minimal calorique et physiologique de biens et services. Ce taux de pauvreté a été divisé par 3 entre 1992 (33,5%) et 2014 (11,2%). Il a surtout diminué depuis le début des années 2000, en lien avec une élévation générale du niveau de vie, même si ce n’est qu’en 2006 que le revenu réel moyen a retrouvé son niveau de 1991. Stable depuis 2011 autour de 11%, il faudra attendre les données de 2015 pour étudier l’effet de la nouvelle crise économique sur cet indicateur, qui par ailleurs ne donne qu’une image très partielle de la précarité.

De même, le taux de chômage au sens du BIT s’avère ne pas être un indicateur très pertinent pour l’instant : ce taux est actuellement faible en Russie (autour de 5% de la population active) par rapport la moyenne de l’OCDE, car les ajustements sur le marché du travail en période de crise se font essentiellement sur les salaires et la durée du travail. Ce mode d’ajustement est une caractéristique structurelle de l’emploi en Russie, observée dans les années 1990 mais aussi lors de la crise de 2008 et la période actuelle. Mais le bas niveau des salaires et les conditions de travail conduisent à un turn-over important, on estime que chaque année 30% des travailleurs changent d’emploi, et qu’une grande partie en cumulent plusieurs. Si le chômage et l’emploi n’ont pas été détonateurs de crise sociale comme cela avait pu être pensé un moment à la fin de l’URSS, c’est le développement des inégalités qui s’est davantage imposé comme question sociale.

Inégalités de revenus tout d’abord. L’indice de Gini (traduisant la concentration et les inégalités de revenus monétaires, il peut varier de 0, situation la plus égalitaire, à 1, extrême concentration des revenus par quelques-uns) a fortement augmenté et est passé en Russie de 0,26 avant la chute de l’URSS, à 0,42 en 2014 (graphique 3), sachant qu’il était par exemple de 0,30 en France en 2012, de 0,47 aux États-Unis, et de 0,52 au Brésil.

Source : la vie des idées. Les transformations de la société russe postent soviétique.. On peut aussi trouver dans cet article une analyse des inégalités entre régions et l’accès au logement. https://laviedesidees.fr/Vingt-cinq... * B – Causes liées à la nature du régime politique autoritaire. Différents mouvements sociaux de contestation protestent contre un régime où la fraude électorale et la corruption sévisseant prenons un seul exemple, l’un des plus puissants : celui du mouvement social de décembre 2011. « Àpartir r de décembre 2011 et pendant plus de six mois, des manifestations de masse ont rassemblé des centaines de milliers de citoyens dans les grandes villes de Russie. Inattendues dans un contexte russe où la protestation de rue n’attirait qu’un nombre très limité de citoyens, ces mobilisations ont eu comme point de départ la dénonciation de la fraude électorale aux élections parlementaires du 4 décembre. Le mouvement a mobilisé un grand nombre de citoyens n’ayant jamais participé aux actions de rue auparavant, ainsi que des forces politiques de bords différents. Le premier objectif s’est rapidement élargi vers une demande plus générale de société juste. La mobilisation s’est révélée inventive, inspirée, maniant avec habileté l’ironie, riche en moments chaleureux. En revanche, les instances de coordination et de représentation ont eu des difficultés à se mettre en place. L’indifférence et une répression « pour l’exemple » de plus en plus forte ont été les principales réactions du pouvoir politique au mouvement. Des centaines de personnes ont été interpellées et une dizaine condamnées à des peines de prison ferme. Le mouvement a semblé progressivement s’étioler entre 2012 et 2013. »

Ce type de mouvement, au départ se plaçant sur le fonctionnement des institutions évolue sur un plan socio-économique en dénonçant les injustices sociales et l’accaparement des richesses par une caste. Source :

La Protestation Postsoviétique et les Grammaires de L’action. Une comparaison entre la Russie et l’Ukraine. Par Anna Lebedev Maître de conférences à l’université de Nanterre. Mise en ligne le 11/01/2018 Dans Revue d’études comparatives Est-Ouest 2017/3-4 (N° 48), pages 95 à 124 Source : cairn info https://www.cairn.info/publications... ** Viennent ensuite les événements survenus en n’Ukraine depuis 2013 et surtout 2014 qui vont encore aggraver une situation largement détériorée pour la liberté d’expression. Le positionnement de ses opposants par rapport à la responsabilité totale ou partielle des États-Unis, du gouvernement ukrainien et de l’union européenne dans le déclenchement de cette guerre est évidemment déterminant dans le niveau de la violence répressive don il sont l’objet. Il est alors commode pour le gouvernement de les accuser ou non d’être des agents de l’étranger, des ennemis intérieurs hostiles à leur patrie ou de ne pas défendre les intérêts supérieurs de la Nation russe.

Face au danger réel ou non d’une fragmentation du peuple ou de la nation le nationalisme et le traditionalisme s’enracinant dans l’histoire constituent un remède éprouvé pour ressouder les âmes.

** Annexe

pour relativiser la situation économique de la Russie, on peut donner les informations suivantes : en examinant le classement des pays par leur PIB en parité de pouvoir d’achat, en 2018 la Russie se situait au sixième rang mondial et la France au 10e rang, puis en 2021 : la Russie au cinquième rang et la France au neuvième rang. https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste...)

Pour le PIB par habitant en 2021, la Russie se situe au huitième rang et la France au 12e rang. Rappelons que la France se situait au troisième rang à la fin des années 1990. Pour l’IDH (indice de développement humain) en 2019 la France se situait au 28e rang et la Russie au 52e rang. (Les USA au 21e rang). * Pour l’état économique de la Russie après sanctions économiques occidentales, on peut se référer au spécialiste de l’économie russe Jacques sapir. Interview de mars 2023.

https://www.youtube.com/watch?v=pq-... *

** Hervé Debonrivage

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