Salaires, pouvoir d’achat : l’explosion des inégalités (Le Monde)

jeudi 1er novembre 2007.
 

Le pouvoir d’achat est un sujet de controverse récurrent en France depuis que le passage à l’euro, en 2002, a amplifié l’écart entre ce que disent les chiffres et ce que ressent l’opinion. Le chef de l’Etat en fait une "priorité nationale" et le gouvernement lui consacre, mardi 23 octobre, une conférence sociale.

Les statisticiens de l’Insee sont formels, le pouvoir d’achat devrait, selon eux, progresser pour la troisième année consécutive : + 1,7 % en 2005, + 2,3 % en 2006, + 2,8 % en 2007. Quant à l’inflation, elle reste historiquement basse malgré une légère remontée en septembre (+ 1,5 %). Les ménages ont néanmoins du mal à se convaincre de la sagesse des prix quand ils voient valser les étiquettes de la baguette ou des yaourts. Et ils sont nombreux à penser qu’avec l’euro leur pouvoir d’achat s’est réduit comme une peau de chagrin.

Un net ralentissement depuis 2003. Qu’en est-il vraiment ? Sur une longue période, le pouvoir d’achat des ménages - c’est-à-dire l’ensemble de leurs revenus, net d’impôts et corrigé de la hausse des prix des produits consommés - a eu tendance à augmenter de moins en moins vite. Il a évolué grosso modo au même rythme que la croissance du produit intérieur brut (PIB) : à vive allure entre 1959 et le premier choc pétrolier (+ 5,7 % par an), beaucoup plus modérément depuis 1975 (+ 2,1 % par an).

Si l’on s’en tient aux dix dernières années, le constat est plus net encore. De 1998 à 2002, relève l’Insee dans l’édition 2007 de L’Economie française, le pouvoir d’achat a augmenté d’environ 3,4 % en moyenne par an, avant de retomber à 1,9 % par an entre 2003 et 2006. Autrement dit, les années Jospin ont été plutôt fastes et le quinquennat chiraquien a constitué une période de vaches maigres.

15,1 % de smicards. Ce ralentissement s’explique par la modération salariale mise en place dans les entreprises à la suite des deux chocs pétroliers et du tournant de la rigueur de 1983, puis des 35 heures, mais aussi par la persistance d’un chômage massif. Conséquence : dans le revenu disponible brut des ménages, le poids des revenus d’activité, salaires en tête, a baissé, passant de 77 % à la fin des années 1970 à 70 % depuis le début des années 1990.

Au fil du temps, la société s’est "smicardisée". La proportion de salariés rémunérés au niveau du salaire minimum est passée de 8,6 %, en 1991, à 15,1 % en 2006, ce qui constitue un record. A cette date, 27 % des travailleurs à temps complet des secteurs privé et semi-public, cantonnés aux emplois bénéficiant à plein des allégements de charges, touchaient moins de 1,3 smic. En ajoutant à ce stock celui des précaires (intérimaires, CDD, temps partiels), on n’est probablement pas loin du chiffre de 37,8 % de salariés percevant moins de 1,3 smic retenu par l’Insee en 2002.

42,6 % d’augmentation des plus hauts revenus. Cette "smicardisation" du salariat, d’une ampleur inédite en Europe, ne suffit pas, toutefois, à rendre compte de la réalité de l’évolution des revenus. Un chercheur de l’Ecole d’économie de Paris, Camille Landais, a montré que les hauts revenus avaient très fortement augmenté entre 1998 et 2005, à la différence des revenus moyens et médians. Ainsi, les 3 500 foyers les plus riches de France - sur un total de 35 millions de foyers fiscaux -, qui ont déclaré, en 2005, un revenu moyen de 1,88 million d’euros, ont vu leur revenu réel progresser de 42,6 % au cours de ces huit années.

Pendant la même période, a établi M. Landais, 90 % des foyers fiscaux ont dû se contenter d’une hausse de leur revenu réel de 4,6 %. Cette "explosion des inégalités", liée à l’envolée des revenus des capitaux mobiliers et des plus-values boursières, mais aussi à celle des très hauts salaires, a nourri dans une partie de la population, à commencer par les classes moyennes, le sentiment d’un déclassement.

75 % de dépenses contraintes pour les ménages modestes. Dans le même temps, la part des dépenses contraintes - logement, primes d’assurances, impôts, remboursements de crédit, etc. - est passée de 22 % à 45 % du budget des ménages entre 1960 et 2006. Et il ne s’agit que d’une moyenne, car ces dépenses absorbent 75 % du revenu courant des ménages modestes, ceux-là mêmes qui sont les plus exposés, du fait de leur structure de consommation, aux hausses des prix du tabac, des loyers, du fioul ou des produits de première nécessité.

Conscient de ces difficultés, le gouvernement veut mener à terme la réforme de la loi Galland, qui régit les relations entre la grande distribution et les producteurs, pour obtenir une baisse des prix. Côté salaires, il ne mentionne plus l’idée de conditionner les allégements de charges patronales à une politique salariale dynamique, évoquée par le candidat Sarkozy et réclamée par les syndicats. L’exécutif, qui a fait voter en juillet une baisse historique de la fiscalité au bénéfice des plus riches, s’en tient pour le moment à la détaxation des heures supplémentaires. La CGT lui prête aussi l’intention de vouloir supprimer l’indexation du smic sur les prix et le pouvoir d’achat du salaire horaire ouvrier.

Claire Guélaud Le Monde


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