LES ELECTIONS EN POLOGNE : Revue de presse (Rouge, Huma, Courrier international, Nouvel Obs)

samedi 27 octobre 2007.
 

1)D’un libéralisme à l’autre (Rouge, hebdomadaire LCR)

Le Premier ministre polonais, Jaroslaw Kaczynski, qui gouvernait le pays à la tête d’un parti petit-bourgeois et chauvin, a perdu son pari aux élections législatives anticipées du 21 octobre. Mais les attaques contre les travailleurs ne cesseront pas avec la victoire de la droite libérale de Donald Tusk.

Jaroslaw Kaczynski, leader du parti Loi et justice (PIS) et Premier ministre sortant, est un homme incapable de vivre sans se battre constamment sur tous les fronts possibles et impossibles. Mais, ces derniers temps, il s’est trompé à plusieurs reprises, de façon fatale, pour lui et pour son parti. Depuis son arrivée au pouvoir, il y a deux ans, Jaroslaw Kaczynski n’a jamais disposé d’une majorité parlementaire, et il a dû s’allier à Samoobrona (Autodéfense), parti aventurier de paysans enrichis et arrivistes, et à la Ligue des familles polonaises (LPR), parti petit-bourgeois d’extrême droite. Tout en gouvernant avec eux, il a cherché à les détruire, essayant de gagner à lui leurs députés et leurs bases électorales.

Sûr de pouvoir s’installer durablement au pouvoir, il décida de se débarrasser de ses alliés et de gouverner seul, en organisant des élections anticipées, le 21 octobre. Mais, à sa grande surprise, son astucieuse manœuvre s’est avérée désastreuse : il a perdu les élections. Son parti, le PIS, est assez particulier. Petit-bourgeois, il a prôné un anticommunisme revanchard, cherchant à soumettre la vie publique à sa domination exclusive, à l’expurger de toutes les générations formées en Pologne « populaire », et à rompre radicalement avec un prétendu système « postcommuniste », selon lui toujours vivant. Il parlait d’une Pologne « solidaire », opposée à une Pologne « libérale », en s’adressant aux couches ouvrières et populaires frappées durement par la restauration capitaliste, qu’il défendait, bien sûr. Il luttait contre la corruption et contre ses adversaires politiques en construisant un État policier et pénal. Chauvin et très russophobe, il suscitait des tensions constantes avec l’Allemagne, l’Union européenne et la Russie. En même temps, il était un serviteur inconditionnel de l’impérialisme américain.

Pendant une grande partie de la campagne électorale, la victoire du PIS semblait inévitable. Aucun parti n’était capable de résister à son implacable offensive. Tout a changé lors du débat électoral télévisé de Kaczynski avec Donald Tusk, leader de la Plateforme civique (PO). Tusk a littéralement écrasé Kaczynski. D’un seul coup, Tusk et son parti libéral-conservateur sont devenus la référence, et ils ont soulevé une puissante vague anti-PIS, ayant particulièrement touché les jeunes. Avec 41 % des voix pour la PO, contre 32 % pour PIS, la victoire de Tusk est éclatante. La PO s’assurera une majorité au Parlement en s’alliant avec le Parti paysan polonais (PSL), modérément libéral, qui a obtenu 9 % des voix. La nouvelle composition des forces parlementaires sera complétée, avec 13 % des voix, par l’alliance Gauche et démocrates (LID). Samoobrona et la LPR sont largement détruits, obtenant, respectivement, 1,3 % et 1,5 % des voix.

Le Parti polonais du travail (PPP), un parti extraparlementaire s’appuyant sur le syndicat Août 80, s’est présenté sous le mot d’ordre « Assez d’exploitation, unité des travailleurs ! ». La « classe politique » et les médias ont tout fait pour l’ignorer. La Commission électorale d’État a été obligée de dénoncer cette occultation du parti représentant la gauche ouvrière radicale. Luttant désespérément contre le blocage de sa visibilité, le PPP a gagné 1 % des voix. Il double le nombre de suffrages obtenus, il y a deux ans, aux élections législatives. En se débarrassant du PIS, le peuple polonais tombe de Charybde en Scylla : le gouvernement de Donald Tusk sera ouvertement néolibéral et directement lié au patronat. Pour les travailleurs, les chômeurs, les pauvres et les exclus, les temps durs se poursuivront.

De Varsovie, Zbigniew Kowalewski

2) Les Polonais infligent un camouflet aux Kaczynski Varsovie . Le parti de la droite ultra-conservatrice a été devancé par celui de la droite libérale dans un scrutin qui s’est transformé en référendum contre l’action du gouvernement.

Pologne, envoyée spéciale de L’Humanité

« Sou-la-gée ! » À l’annonce des premiers résultats des législatives anticipées de dimanche en Pologne, Monika, comme les 41,64 % des électeurs qui ont voté pour la Plate-forme civique (PO) du libéral Donald Tusk, respire. « J’espère que le ministre de la Justice sera le premier à quitter son poste, suivi par le ministre de l’Environnement... » Selon les premiers dépouillements, qui confirment largement la tendance amorcée depuis plus d’une semaine, au lendemain d’un débat télévisé entre le leader de PO et le premier ministre Jaroslaw Kaczynski (Droit et Justice, PIS), ce premier a infligé un cuisant revers au second, qu’il devance de plus de dix points.

Signe du ras le bol des polonais

Le PIS a perdu le pari dans lequel il s’était lancé, selon certains analystes, en se débarrassant de ses sulfureux partenaires de la coalition au pouvoir (le parti populiste paysan Samoobrona et la Ligue des familles, d’extrême droite) en appelant à des législatives deux ans avant l’échéance prévue. Avec à peine plus de 32,04 % des suffrages, le premier ministre a beau insister sur le fait que son parti a progressé en nombre de voix par rapport aux dernières législatives, il a été contraint d’admettre sa défaite dès dimanche soir. « Nous avons échoué face à un large front », a-t-il déclaré.

Au terme d’une campagne marquée, comme pour l’ensemble du mandat du PIS, par une succession de scandales, les électeurs polonais se sont rendus en nombre pour élire leur Parlement : dans un pays où le taux d’abstention est traditionnellement très élevé, la participation, qui s’élève à 52 %, est un signe de plus du ras-le-bol des Polonais pour leur gouvernement : ce chiffre rejoint celui des premières élections législatives après la chute du régime socialiste étatiste.

Les frères jumeaux Kaczynski sont allés trop loin. L’affluence, notamment des plus jeunes électeurs appelés aux urnes par de nombreuses campagnes contre l’abstention, a été telle que certains bureaux de Varsovie ont dû prolonger leur ouverture, afin de s’approvisionner en bulletins de votes supplémentaires. « On en a marre de ces scandales à répétition, la lustration ce n’est pas une mauvaise idée en soi, mais il ne faut pas s’en servir comme arme politique, nous sommes vieux, nous voulons de la sérénité pour nous et pour nos petits-enfants », confiait dimanche, à la sortie d’un bureau de vote du quartier populaire Praga, à Varsovie, un couple de retraités acquis à Donald Tusk après avoir pourtant « voté pour le PIS aux dernières élections ».

« Cet État policier qu’ils ont mis en place, il faut que cela finisse ! Au lieu de se concentrer sur les choses importantes, ils ont traîné dans la boue les grands noms de ce pays. Ils nous font honte. Nous voulons un retour à la normalité », réclamait de son côté un jeune couple, content de montrer que la Pologne ne ressemble plus à « l’image qu’en ont donnée les Kaczynski dans l’Union européenne ».

Améliorer les relations avec ses partenaires européens, en particulier avec l’Allemagne, Donald Tusk s’y est engagé pendant une campagne qu’il a menée en se démarquant totalement du PIS, avec qui il a exclu tout accord de coalition. À l’inverse de Jaroslaw Kaczynski, il a également promis le retrait des forces polonaises en Irak, et donné son assentiment à cette charte des droits fondamentaux, au contenu édulcoré et controversé, incluse dans le traité européen adopté à Lisbonne.

Réformes libérales et marche vers l’euro

Il reste que sur la législation sur l’avortement, la plus restrictive en Europe, PO ne compte ni durcir, ni assouplir les textes polonais. Pas de retour en arrière non plus en ce qui concerne la loi sur la lustration durcie par le précédent gouvernement.

Le leader de PO pourra, si les derniers résultats confirment les premiers dépouillements, gouverner seul avec ses alliés du Parti des paysans polonais (PSL), qui ont obtenu près de 8,8 % des voix. mais il devra cohabiter avec le président Lech Kaczynski, son rival de la présidentielle de 2005. Son score et celui de ses alliés du gouvernement, cumulés à ceux de l’alliance de centre gauche LID menée par l’ex-président Aleksander Kwasniewski (environ 13 % des voix), pourraient cependant atteindre trois cinquièmes des voix nécessaires pour contrer un veto présidentiel. Sans surprise, sur le plan économique PO a annoncé des réformes libérales, notamment une refonte de la fiscalité et une marche vers l’euro que ce parti aimerait voir adopter dès 2013.

Anne Roy

3) POLOGNE • Les choix cornéliens de Donald Tusk (Newswweek Polska et Courrier International)

Le leader libéral de la Plate-forme civique est le grand gagnant de ces élections "historiques". Mais il aura besoin de nouer des alliances pour gouverner. Avec qui ?

Si le maître du suspense Alfred Hitchcock vivait à notre époque, il aurait pu tourner un excellent thriller politique basé sur les dernières élections polonaises. Il y a de la matière : une campagne électorale brutale, d’énormes clivages dans la société polonaise et un taux de participation exceptionnel [53,83 %, la plus importante participation enregistrée depuis 1991]. Les citoyens ont en effet investi en masse, et dès le matin, les bureaux de vote, déterminés à exercer leur droit de vote. Et puis cette fin inattendue, autour de minuit, après un retard de près de trois heures dans l’annonce des résultats. Le premier constat de cette élection est que, pour la première fois depuis la chute du communisme, les Polonais ont été vraiment très nombreux à se déplacer aux urnes. Peut-être parce que nos concitoyens sont allés voter pour obtenir une alternance politique. Oui, il s’agissait bien des élections législatives les plus importantes depuis 1989.

Dès le début, cette campagne était en réalité une bataille entre deux hommes : Donald Tusk et Jaroslaw Kaczynski. Ce dernier, Premier mi­nistre sortant, a probablement subi la défaite la plus cuisante de sa longue vie politique. Le futur Premier ministre, Donald Tusk, a obtenu, lui, sa plus grande victoire. Ce dimanche, il est apparu détendu, souriant et triomphant comme jamais. Lors de la soirée électorale de la Plate-forme civique, c’était lui le véritable patron, entouré d’une pléiade de musiciens, d’artistes et d’acteurs. Même si le chanteur [Michal Wisniewski] qui a animé cette soirée s’était par le passé également produit pour le parti populiste Samoobrona [Autodéfense]...

Bref, Tusk a toutes les raisons de triompher. Sa stratégie, critiquée dans ses propres rangs, qui consistait à dissoudre la Diète et à parvenir aux élections anticipées avant de constituer des Commissions d’enquêtes parlementaires [sur les scandales du gouvernement de Droit et justice [PiS] des Kaczynski], s’est révélée être la bonne. Aujourd’hui, c’est lui qui a toutes les cartes en main. Ses deux défaites d’il y a deux ans, aux législatives et à la présidentielle, semblent aujourd’hui appartenir à la préhistoire. Donald Tusk a gagné et ce en rassemblant sur sa liste un résultat inhabituel pour la Pologne : 41,51 % ! Son parti obtient 209 sièges au Parlement [qui en compte 460].

Mais Droit et justice reste toujours puissant, non pas tant en comptant sur sa seule force que par la force du veto présidentiel. Jusqu’à présent, Lech Kaczynski n’a jamais émis de veto contre les lois proposées par le gouvernement, ce qui n’étonnera personne puisque l’équipe qui était aux affaires était dirigée par son frère jumeau. Désormais, ce ne sera plus le cas. Il y a quelques semaines, Donald Tusk avait déjà confié que le président l’avait menacé de bloquer massivement les projets de loi en cas d’une victoire de la Plate-forme. Si Tusk compte réellement mettre en œuvre des idées révolutionnaires, il faudrait qu’il puisse s’appuyer à la Diète sur une majorité prête à rejeter le veto présidentiel [soit trois cinquièmes des 460 députés]. Or, sans composer avec la Gauche et les démocrates (LiD), il n’aura pas cette majorité.

Bien entendu, Tusk peut compter sur le fait que le LiD a souvent protesté contre les décisions prises par les frères Kaczynski, une position qui en font un allié naturel. C’est possible, mais pas forcément vrai. Si le président de la République bloque les projets de loi présentés par la Plate-forme, LiD pourrait plutôt choisir de le soutenir pour mieux s’affirmer sur l’échiquier politique. A moins que Donald Tusk n’invite l’ancien président Aleksander Kwasniewski et ses hommes à participer au gouvernement. Le leader de la Plate-forme va-t-il se résoudre à franchir ce cap ? Ce serait un pas comparable à celui fait en son temps par Droit et justice pour former une coalition avec les populistes de l’Autodéfense et les cléricaux intégristes de la Ligue de défense des familles polonaises. Mais, pour de nombreux "platformers" issus de Solidarnosc, une coalition avec d’anciens apparatchiks communistes reviendrait à franchir le Rubicon. Et il n’est pas certain non plus que la base du LiD veuille d’une telle coalition.

L’autre scénario, de plus en plus évoqué par la presse, est celui d’une coalition avec le Parti paysan de Waldemar Pawlak - une coalition qui pourrait également bénéficier des voix de quelques transfuges du PiS et du LiD. Car il est vrai qu’une partie des membres de Droit et justice en a assez de la méthode forte de Jaroslaw Kaczynski, toujours tout-puissant à la tête de son parti. Et le LiD est tout sauf une formation homogène - certains de ces membres, notamment ceux qui sont issus du Parti démocrate, un des composants du LiD, s’étaient même ouvertement prononcés pour une "collaboration" avec la Plate-forme. Théoriquement, Tusk peut aussi opter pour une coalition avec le PiS. Mais s’il y a deux ans un tel scénario était possible, voire attendu par les Polonais, aujourd’hui il est peu probable. Les deux ans de gouvernance du PiS ont dressé un mur d’animosité, de suspicions et d’accusations entre les deux partis de droite.

Au sein de Droit et justice, on commence, certes, à se poser des questions sur la défaite. Certaines évoquent la faible prestation du Premier ministre dans le débat télévisé avec Donald Tusk. Mais personne n’osera formuler à haute voix une telle critique parce que l’hégémonie de Jaroslaw Kaczynski ne semble pas être menacée - et ce malgré ce cuisant échec électoral.

Andrzej Stankiewicz

Newsweek Polska

4) la fin d’un crève coeur (par JM Bouguereau Nouvel Obs)

POUR CEUX qui, comme moi, ont couvert pendant de longs mois et partagé les espoirs de la Pologne des chantiers navals de Gdansk et de Solidarnosc et son aspiration à une société plus libre et plus solidaire, l’arrivée au pouvoir des jumeaux Kaczynski était un vrai crève-cœur. C’était comme un terrible retour de manivelle, le retour du nationalisme le plus obtus, de l’obscurantisme le plus noir, du refus de l’avortement, du divorce et de l’homosexualité, considérée comme un dérèglement mettant en danger la jeunesse polonaise.

C’était le retour d’un antisémitisme que l’on aurait pu croire effacé dans ce pays qui a servi de territoire à Auschwitz. Un antisémitisme incarné par la Radio catholique Maryja, dont les propos avait conduit le dernier survivant de l’insurrection du Ghetto de Varsovie, Marek Edelman, 83 ans, à presser le gouvernement d’envisager la fermeture d’une radio qu’il avait comparée à l’ancien hebdomadaire de propagande nazie Der Stürmer de Julius Streicher, la publication la plus ordurière qu’ait connue un fascisme qui n’en était pourtant pas avare.

C’est une revanche nette et claire de la Pologne ouverte sur la Pologne fermée, de la Pologne pro européenne sur la Pologne chauvine, de cette Pologne anti-allemande et anti-russe...

C’est la fin d’une parenthèse de deux ans qui n’a pas peu contribué à rendre la Pologne ridicule aux yeux du monde.

Ce n’est pas pour autant une victoire de la gauche, issue de la dissidence, l’électorat de celle-ci ayant préféré voter utile, et se ranger aux côtés des libéraux de Donald Tusk qui avec 41,64% des voix, lui assure 207 sièges sur 460 à la Diète. La gauche, cette coalition de l’ancienne dissidence et du parti social démocrate (ex-communiste) se trouve laminée par cet affrontement entre ces deux droites, celle, libérale, urbaine, plus représentative du dynamisme de l’économie polonaise et de la montée de ces classes moyennes, avocate du moins d’état, fascinée par les succès d’une Irlande qui s’est enrichie par une forte baisse de la pression fiscale et cette vieille droite dirigiste, souverainiste, qui s’appuyait sur les campagnes.

Le taux de participation record depuis la chute du communisme montre que la Pologne, avec cette alternance, est entrée, après une période de transition, dans une forme de normalité démocratique.

Jean-Marcel Bouguereau

(le mardi 23 octobre 2007)



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