Quelle perspective à gauche ? Débat en Dordogne entre Patrice Cohen-Séat (PCF), Claude Debons (collectifs), Jean-Luc Mélenchon (PRS) et moi-même (par Christian Picquet, mino LCR)

dimanche 21 octobre 2007.
 

Ce jeudi 4 octobre, j’étais à Nontron, où je participais à un débat sur les perspectives à gauche, à l’invitation de la fédération communiste de Dordogne, en compagnie de Patrice Cohen-Séat, Claude Debons et Jean-Luc Mélenchon.

Une rencontre symbolique à plus d’un titre. D’abord, un tel « plateau » se trouvait réuni pour la première fois depuis l’échec de la tentative d’aboutir à des candidatures antilibérales unitaires pour la séquence électorale de 2007 (lors du meeting en faveur d’une nouvelle force politique à gauche, au stand qu’occupait PRS à la dernière fête de l’Humanité, la composante communiste était, par exemple, absente). Ensuite, une telle confrontation, loin des lenteurs ou des pesanteurs nationales, aura permis de prendre la mesure des préoccupations et des réflexions qui se manifestent sur le terrain.

De fait, cet échange fourni et suffisamment riche pour qu’il se soit achevé aux alentours de 23 h 30, aura tourné autour du débat qui traverse présentement le Parti communiste. Patrice Cohen-Séat aura notamment repris un certain nombre des conclusions de son dernier ouvrage, Communisme, l’avenir d’une espérance (chez Calmann Lévy). Dans ce dernier, il récuse comme autant de « fausses pistes » les idées d’un « congrès de Tours à l’envers » (en clair, d’une réunification de la gauche dans ou autour du Parti socialiste) et de la création d’un « nouveau Parti communiste », pour poser la question d’un « processus fondateur ». De facto, même s’il paraît lui être culturellement difficile d’oser aborder ouvertement le problème d’un nouveau parti comme réponse opératoire à la crise de la gauche, il n’en développe pas moins des prémisses assez semblables à celles qui nous conduisent nous-mêmes, avec d’autres, à une telle conclusion.

Ainsi, à Nontron, le dirigeant communiste aura-t-il souligné le besoin d’ouvrir « un nouvel espace à gauche », évoqué l’hypothèse d’un « front » antilibéral qui pourrait notamment se concrétiser à l’occasion des élections européennes de 2009, et préconisé l’émergence d’un « nouvel acteur politique » apte à changer la donne à gauche. Mais ce fut immédiatement, comme par souci de conjurer un excès d’audace, pour souligner les deux difficultés auxquelles se heurte, à ses yeux, une telle perspective. La première tiendrait au projet et il met, en particulier, l’échec du rassemblement antilibéral au compte de son incapacité à convaincre de la crédibilité de ses propositions. La seconde renverrait aux forces disponibles, le PCF se trouvant, selon lui, dans une situation de partenariat restreint avec des « personnalités » ne disposant pas d’une réelle représentativité militante ou avec des sensibilités minoritaires dans leurs propres formations. Ces deux points méritent qu’on les débatte soigneusement.

Deux questions à reprendre

Il ne s’avère guère contestable que le rassemblement antilibéral avorté en décembre 2006 ne pouvait s’adosser à un authentique projet de société. Que cela ait, au final, nui à la tentative et donc contribué à l’échec, c’est certain. À ceci près que la difficulté n’est pas purement conjoncturelle. Sans doute, les 125 propositions - tout comme, d’ailleurs, la Charte antilibérale des collectifs du 29 Mai - eussent-elles gagné à la levée d’une série d’ambiguïtés et de formules contradictoires. Elles n’en représentaient pas moins l’une des tentatives les plus abouties depuis longtemps de doter la gauche antilibérale d’un socle programmatique la démarquant de toutes les politiques suivies dans ce pays depuis un quart de siècle. D’évidence, ce n’est pas sur l’insuffisance du travail d’élaboration, ou sur des propositions trop fortement divergentes, que vint butter cette tentative d’union, mais sur les limites intrinsèques d’une convergence plus réduite que celle du « non » de gauche au traité constitutionnel européen et sur... le poids que cela octroya en retour aux logiques boutiquières. Nos camarades communistes ne sauraient, à cet égard, se retrancher derrière des faiblesses de projet pour esquiver leurs responsabilités dans ce qu’aura été le désastre du 22 avril dernier.

Plus fondamentalement, force est de constater que la refondation d’un projet à la hauteur des défis du moment prendra beaucoup de temps. Au-delà des événements des derniers mois en France, le marasme qui caractérise la gauche et le mouvement ouvrier renvoie d’abord aux bouleversements des coordonnées en fonction desquelles se livra très longtemps la bataille du changement social. En se conjuguant pour ouvrir une nouvelle page de l’histoire, le fiasco dramatique du « socialisme réellement existant », le renoncement de la social-démocratie à sa démarche réformiste originelle, et les fantastiques modifications des processus de production privent le monde du travail de la vision d’ensemble comme des instruments qui le doteraient de l’utopie concrète d’une autre société. L’idée du socialisme et du communisme s’en trouve durablement mise en doute dans les consciences. Si les repères existent pour engager le travail intellectuel et théorique indispensable, si une radicalité antilibérale croissante est de nature à le féconder, il ne pourra franchir des étapes qualitatives en dehors de grands événements marquants, de crises politiques ou sociales majeures, d’amples processus de réorganisation d’un mouvement pour l’émancipation. Attendre serait toutefois dévastateur, y compris pour se préparer à ces épreuves fondatrices futures. L’urgence commande au contraire d’avancer dans les domaines où il est possible de le faire : le cadre programmatique et les principes fondamentaux hors desquels une construction politique nouvelle ne saurait acquérir la moindre viabilité.

Cela pose la question du « avec qui ? », celle que pointe précisément Patrice Cohen-Séat. Il est vrai que les échecs subis ces dernières années et, singulièrement, l’incapacité de la gauche antilibérale à offrir un prolongement au séisme du 29 mai ne laissent aujourd’hui subsister que des forces éparses, impuissantes à peser sur les rapports de force réels. Hormis le courant de Jean-Luc Mélenchon, peu de voix contestent, au PS, l’aggiornamento libéral qui sous-tendit l’aventure ségoléniste. Quoiqu’il conserve un capital militant de grande importance, et que son histoire lui donne encore un poids non négligeable dans les débats à gauche, le Parti communiste se révèle lui-même en proie à un déclin accéléré et à la marginalité électorale. La LCR semble ne pas vouloir sortir de sa posture isolationniste, en dehors de son aile « unitaire ». Les forces qui s’étaient retrouvées dans la campagne de José Bové se révèlent tout autant percutées par l’incertitude sur leur devenir. Mais, sauf à mutualiser pour très longtemps un terrible sentiment d’impuissance, le constat suffit-il à déterminer une orientation ? À gauche du PS, existe-t-il d’autres points de départ et d’autres partenaires pour tenter d’échapper au piège mortifère d’un bipartisme menaçant la vie publique d’un face-à-face entre le « pire » ultralibéral et le « moindre mal » social-libéral ? Dès lors qu’aucun courant ne peut prétendre disposer, à lui seul, de l’autorité et des moyens qui en feraient la solution à ce défi, peut-on échapper à la nécessité de faire converger l’ensemble des énergies antilibérales au sein de la gauche ? Pour ne pas retomber dans les ornières de l’an passé, une démarche de rassemblement ne doit-elle pas d’emblée se fixer l’objectif d’une nouvelle force, à charge pour celle-ci de garantir le pluralisme des identités et des opinions en son sein ?

L’intuition que tel est bien l’enjeu se fait à présent si forte que nombre de participants, à Nontron, nous auront vertement interpellés : « Il nous faut des réponses concrètes pour avancer » ; « De quelle manière peut-on œuvrer au dépassement des chapelles ? » L’expérience la plus récente, celle de la campagne du « non » de gauche ou celle de la bataille pour des candidatures unitaires, enseigne que l’on avance... en décidant d’avancer. Autrement dit, en donnant des signes, chacun pour ce qui le concerne et avec tous ceux qui le veulent, d’une volonté de rouvrir le jeu, de redessiner un espace pour la refondation d’une gauche de gauche, de renouer les fils d’un échange sur les médiations ou les transitions qui pourraient à terme mener à une nouvelle construction politique. C’est ce que le club « Maintenant à gauche » s’emploie à faire.

Des hommes et des femmes, en grand nombre, aspirent à ne plus voir la gauche dominée par une formation qui se contente de relayer les exigences d’un capitalisme toujours plus prédateur. Des syndicalistes ou des associatifs prennent chaque jour davantage conscience du besoin de disposer d’éléments d’alternative politique pour pouvoir contrer une droite désormais unifiée autour d’un projet à la cohérence redoutable. Dans la jeunesse, le mouvement altermondialiste ou des expériences comme celle du CPE ont donné naissance à une nouvelle génération militante. Si une synergie s’opérait entre ces diverses réalités, il ne fait pas de doute qu’une dynamique se réveillerait et viendrait bousculer les tentations du repli conservateur ou du chacun pour soi.

Quelque part, une soirée comme celle de ce 4 octobre apporte sa contribution à un dégel aussi urgent que salutaire... Il serait souhaitable que beaucoup d’autres, du même type, suivent. Avis aux amateurs !


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