Savez-vous planter des sous ? Qui émigre fiscalement en Belgique ?

samedi 13 octobre 2007.
 

Savez-vous planter des sous ?

1. Qui émigre fiscalement en Belgique ?

Conditions : Pour être un résident fiscal en Belgique comme dans tout autre pays, il ne faut pas posséder la nationalité du pays dans lequel on veut émigrer, il suffit de pouvoir prouver qu’on y réside plus de 183 jours par an, ce qui donne droit à être reconnu comme résident et donc à dépendre fiscalement du pays où l’on a opté pour la résidence.

Profil général : d’après diverses sources, on aurait 5 genres de personnes qui « émigrent » de France en Belgique pour y bénéficier de son régime fiscal particulièrement favorable aux opérations financières et détention de patrimoine.

* les grosses fortunes, patrimoines ou membres de familles fortunées

* les entrepreneurs désireux de revendre leurs sociétés et d’effectuer de solides bénéfices

* de hauts fonctionnaires ou cadres de sociétés ayant pu accumuler des revenus importants au cours de leurs carrières et bénéficiant de stock-options ou avantages financiers complémentaires à des salaires importants

* des personnes spéculant sur les différences de prix sur l’immobilier entre la France et la Belgique

* de faux résidents ou résidents fantômes

Quelques exemples d’implantations bien connues :

Un livre publié l’an dernier « trop d’impôt tue l’emploi[1] » reprend le témoignage de bon nombre de ces « exilés ».

La famille Mulliez[2], troisième fortune de France 10 milliards d’euros (parente de Gérard Mulliez fondateur d’Auchan qui lui n’a pas voulu quitter le sol français) qui contrôle tout un essaim de sociétés Décathlon, Leroy Merlin, Flunch, Boulanger...)(Le Monde 8/7/06), s’est exilée à « Estaimpuis, village de Néchin[3]a été la première à franchir la frontière dans les années 90. Ils habitent de grands corps de ferme rénovés. En 10 ans le nombre d’exploitations agricoles y a diminué de moitié (120 à 68) Une trentaine de grandes fortunes les ont suivi. Les premiers à partir possédaient des fortunes de 15 à 20 millions d’euros, ensuite on est parti avec 5 (selon Véronique Moujon, du cabinet d’affaires Fidal). Le prix du mètre carré est passé de 12,5€ en 95 à 150 en 2005 à Estainpuis . « Leur intégration est au reste parfaitement réussie » selon le bourgmestre. Les voitures portent des plaques minéralogiques belges. On fréquente même les écoles communales.

D’autres villes belges sont particulièrement attrayantes comme Tournai du côté wallon (les prix de l’immobilier y ont augmenté de 35% en 5 ans) et Courtrai en Flandre. Mais c’est surtout à Bruxelles[4], dans deux communes bruxelloises Ixelles et Uccle (où ils y atteindraient les 10%) ou à l’Avenue Louise (square du Bois) que les Français sont arrivés par paquets et forment une petite « colonie ». Citons dans le monde des affaires les héritiers de l’empire Prouvost (textile et médias), les Taittinger (Champagne et hôtels de luxe), Darty, Halley et Badin (Carrefour), Jaffré (ex-PDG d’Elf) ou des nouveaux entrepreneurs Denis Payre (Business objects), Jacques-François Poncet (Catalina), Pierre-François Grimaldi (i Bazar revendu à eBay), Lofti Belhassine (AirLiberté), mais aussi des sportifs comme Henri Leconte et Guy Forget, des artistes comme Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart, José Garcia, voire des auteurs de romans et de pièces de théâtre qui y ont créé des sociétés d’édition comme le très connu Eric-Emmanuel Schmit.

2. Ampleur de l’exode

Pour l’ancien bourgmestre d’Ixelles (MR), Yves de Jonghe d’Ardoye, ils seraient environ 10.000 Français exilés fiscalement en Belgique. Selon un rapport du Sénat français, l’évaluation de l’ensemble des exilés va de 350 à 370 ( de 600 à 700 à l’heure actuelle selon le SNUI) assujettis à l’ISF(soit une perte de 250 millions d’euros entre 97 et 2001) qui quittent le territoire chaque année depuis 1997, mais aussi vers la Suisse ou Londres, voire l’Irlande. L’ISF touchait en 2006, environ 400.000 foyers détenteurs d’un patrimoine net de plus de 760 .000 euros. C’est donc une faible proportion des assujettis à l’impôt sur la fortune qui s’en va, mais cela touche une proportion de forces vives économiques comme les entrepreneurs ou des personnes désireuses de préparer leur succession.

Le total de la fraude fiscale et l’évasion fiscale (légale) sortant de France, était estimée par JC Trichet (alors gouverneur de la Banque de France aujourd’hui à la Banque Centrale européenne) à 100 milliards d’euros en 2001. Le SNUI (syndicat des fiscalistes français) estime récemment et plus prudemment entre 42 et 51 milliards d’euros le total des évasions (nationales et locales), soit de 15 à 20% du total des recettes fiscales, montant équivalent au déficit budgétaire et en moyenne comparable à celle des pays développés.[5] TJN, réseau international chiffre à 255 milliards $ la perte chaque année due aux seuls paradis fiscaux, soit un montant suffisant en un an pour atteindre une réduction de la pauvreté de moitié (fameux objectifs du millénaire pour 2015)[6]

3. Causes :

l’absence de cohérence (ou harmonisation) fiscale entre les divers pays, particulièrement dérangeante dans la zone euro avec une monnaie unique et la libre circulation des capitaux.

Les paradis fiscaux proprement dits comme le Luxembourg, Monaco, Jersey, Guernsey, l’île de Man, la Suisse, le Lichtenstein entraînent un dumping fiscal.

Le secret bancaire maintenu par la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche au niveau de la fiscalité sur l’épargne dans le cadre de l’Union européenne.

La faiblesse des moyens de l’administration fiscale (en France pour 3,5 millions d’entreprises soumises à la TVA il y a moins de 50.000 vérifications par an - il faut plus de 65 ans pour voir toutes les entreprises contrôlées à la TVA ...En Belgique, les syndicats des fiscalistes sont descendus dans la rue en janvier dernier et réclament entre autres 5.000 fonctionnaires supplémentaires). la complexité relative de ces matières

4. Avantages de cet exil vers la Belgique, plus particulièrement à Bruxelles :

Les atouts de Bruxelles : elle est à 80 minutes en TGV de Paris, elle possède un caractère européen, de nombreux hauts fonctionnaires y travaillent dans les institutions ; elle est donc relativement cosmopolite ce qui crée par ailleurs un certain anonymat, l’usage de la langue française y est relativement important et la ville reste à taille humaine avec un million d’habitants, par rapport à des régions comme Paris.

Anne -Marie Mitterand, nièce de l’ancien président s’est fait naturaliser belge, en remerciement à un pays qui lui permet d’échapper à ce qu’elle appelle la méchanceté et la lutte contre les taxes et les textes. Selon elle, « la Belgique serait un pays merveilleux, sans lutte de classes permanente ». Johny Halliday, comme on le sait, a demandé à bénéficier de la naturalisation, pour pouvoir ensuite résider à Monaco... ? La Commission de la Chambre de Belgique qui s’est penchée sur son cas, il y a quelques mois, n’a pas retenu sa candidature à ce jour parce qu’elle doutait de ses réelles motivations.

En fait, la Belgique est un « nirvana fiscal » pour les Français riches.

La Belgique n’est pas du tout un paradis fiscal pour ceux qui y vivent de leur travail ou des revenus sociaux ... Tout ceci est taxé de manière relativement comparable à la France et même parfois davantage (notamment en matière de TVA sur l’alimentation par exemple) . Mais, il en va tout autrement pour ceux qui vivent de revenus financiers importants. On peut distinguer divers profils, comme on l’a vu plus haut, les grosses fortunes ou patrimoines, les entrepreneurs désireux de revendre leurs sociétés ou les cadres et hauts fonctionnaires ayant bénéficié de revenus, voire pour les cadres de stock-options ( avantage de revenus accordés en actions pour compléter le salaire mensuel) et enfin de faux résidents qui ne sont pratiquement pas présents en Belgique, en tout cas pas les 183 jours prescrits par la loi pour obtenir la résidence et donc l’inscription au registre de population.

En effet, par rapport à la France, en Belgique pour les grosses fortunes ou patrimoines partagés en famille,

* il n’y a pas d’impôt sur la fortune (ISF)

* il n’y a pas de globalisation de l’impôt portant sur l’ensemble des revenus(travail, immeubles + revenus financiers) ; en effet les dividendes ou autres coupons touchés en Belgique le sont à titre libératoire (15 ou 25%) et ne sont donc pas additionnés aux autres revenus. Ceci favorise les plus riches qui voient des revenus importants être relativement peu taxés. L’impôt n’est donc pas progressif (les plus riches ne sont pas taxés en proportion de leurs revenus, par rapport aux autres citoyens). Ceci vaut également pour les citoyens hollandais qui se sont installés par dizaine de milliers dans le Nord de la Belgique à leur frontière.

Pour les entrepreneurs en fin de carrière, désireux de revendre leurs société

* il n’y a pas de taxation des plus-values. Ce qui veut dire que les ventes et achats d’actions (fréquentes avec les fusions-acquisitions de sociétés actuellement) sont des opérations à relativement très faibles coûts. La Belgique est la seule avec la Suisse en Europe, à ne pas lever d’impôt sur ces opérations

* il existe des possibilités d’échapper aux droits de succession notamment par ce qu’on appelle « le don manuel ». Cette opération faite dans les 3 ans avant la mort d’un défunt, exonère de tout droit de succession les héritiers.

Il est tentant pour l’entrepreneur en fin de carrière de passer la frontière, de revendre sa société (et ainsi d’échapper à la taxation des plus-values) et ensuite d’échapper à l’ISF sur la patrimoine ainsi constitué ou encore de procéder à des dons manuels envers ses proches.

Il existe couronnant le tout, un secret bancaire fiscal qui empêche toute personne du fisc d’accéder automatiquement aux comptes bancaires des particuliers en Belgique. Ce n’est qu’à la demande et en certaines circonstances précises (notamment lors des successions) que les banques doivent s’exécuter. Pour le contribuable « tranquille », dans la vie normale, rien à craindre. Il n’existe pas de cadastre des patrimoines ou des fortunes comme en France. Cet outil d’investigation de l’administration des Finances étant inexistant, il est impossible de lever un impôt sur la fortune, ni non plus de globaliser les revenus, donc d’avoir un impôt réellement progressif et juste.

Devant cette somme d’avantages, on peut comprendre le choix de l’exil. Ajoutons que l’administration fiscale belge ne demande pas la nationalité du contribuable sur sa déclaration d’impôts, mais seulement son inscription au registre de population où le fisc peut alors connaître la nationalité de son interlocuteur. Sans cette démarche supplémentaire du fonctionnaire, rien ne lui permet de distinguer à partir de sa feuille d’impôt, le citoyen belge d’un citoyen étranger.

5. L’impôt sur la fortune (ISF), contre-productif ? Tout ceci ne démontre pas l’incohérence de l’impôt sur la fortune (ISF) qui serait une des causes de l’exil fiscal des français en Belgique .

Pour nos organisations y compris les ONG de développement ou syndicats qui en font partie, cet impôt est une pierre dans le sens d’une taxation redistributive « en fonction des capacités contributives » de chaque citoyen. Supprimer cet impôt, c’est aller contre la progressivité de l’impôt, très à la mode dans les milieux libéraux, c’est sacrifier au chacun pour soi. Choisir la compétition plus que la solidarité. D’autres réformes très libérales souvent populaires ou populistes, de réduction de l’impôt comme la taxe unique (flat tax), les réductions de l’impôt sur le revenu développées en France et en Belgique (les huit ans de réformes du ministre des finances Reynders), aboutissent à privilégier les plus hauts revenus, à réduire les recettes de l’Etat et donc à augmenter le déficit du budget ou encore à effectuer des coupes dans les budgets sociaux ou dans l’enseignement (diminution du nombre d’heures de cours dans l’enseignement secondaire français décidée pour diminuer le nombre de postes d’enseignants).

6. Une amorce de solution ? L’arbre ne doit pas cacher la forêt... ! Cette situation d’exil fiscal en Belgique, ne doit pas faire oublier que tout ceci n’est pas isolé. Les niches fiscales se sont multipliées au sein de l’Union européenne et sur le continent. Les Belges sportifs, Tom Boonen, Justine Hénin se réfugient à Monaco..., les footballeurs anglais d’Arsenal sont payés via des paradis fiscaux des îles anglo-normandes, le célèbre Bono de U2 pourtant irlandais et déjà lourdement avantagé fiscalement à ce titre, a déplacé certaines de ses activités de tournées musicales vers la Hollande et par là profite du paradis fiscal des Antilles néerlandaises...Toutes ces situations sont tolérées, par une Union Européenne, par ailleurs soucieuse de concurrence loyale au travers de réglementations complexes. Les entreprises et sociétés elles aussi, en toute légalité utilisent les mêmes systèmes pour déplacer leurs bénéfices vers les PF qui ont doublé en moins de 15 ans pour atteindre le chiffre des soixante-dix. La moitié des transactions commerciales de ces mêmes multinationales passe par des paradis fiscaux. Des produits financiers comme les Hedge Funds ou les fonds d’investissements profitent également de tous ces avantages et notamment de la non-transparence des paradis fiscaux pour se développer et racheter à bas prix les sociétés, les revendant ensuite avec profit après avoir liquidé une partie de leur personnel.

Il faut mettre fin au dumping fiscal mondial en commençant par l’Europe.

Comment ? en rapprochant les fiscalités des pays de la zone euro. Il est absurde et archaïque de garder des fiscalités complètement divergentes sur certains points, de cultiver ces « niches » et en même temps de partager la monnaie. C’est finalement la population qui paie ces cadeaux aux plus riches, soit par une augmentations d’autres taxes comme la TVA donc la consommation primaire des gens (logement, alimentation, frais de transport...), soit par la suppression des services publics ou des services aux collectivités....

Un serpent fiscal européen comme le propose le SNUI[7] (via ce que l’on appelle dans le jargon bruxellois des « coopérations renforcées » - çàd entre un noyau de pays volontaires de l’Union européenne (par exemple les pays de la zone euro)- , devrait permettre de rapprocher les fiscalités des économies de l’euro-zone comme on l’a réussi en quelques décennies avec la monnaie, et les empêcher de développer une concurrence stérile et vaine. L’Europe en devenant un partenaire homogène pourrait faire poids dans les instances internationales (OCDE, FMI, Ecosoc de l’ONU, dans les discussions pour le financement du développement). La solution passerait donc par des « coopérations renforcées » au niveau européen pour rapprocher, harmoniser les fiscalités.

Ce serait une des solutions pour contrecarrer la mondialisation financière qui ne peut qu’augmenter les délocalisations des emplois et les fuites de capitaux.

Notes [1] Trop d’impôt, tue l’emploi - Philippe Alexandre et Béatrix de l’Aulnoit - Laffont 2006

[2] Le livre qui irrite le patriarche d’Auchan - Stéphane Lauer - Le Monde 8 juillet 2006

[3] Belgique, terre d’asile des patrons français - Pierre-Henri Thomas - Le Soir 13 décembre 2005 (petite agglomération de 10.000 habitants) à 5km de Roubaix

[4] Bruxelles, terre d’asile des réfugiés de l’ISF - JP Stroobants - Le Monde 21 janvier 2006

[5] La fraude fiscale s’invite dans le débat public -communiqué de presse SNUI - 1 mars 2007 ; voir aussi le site [charger le lien]

[6] Taxez-nous si vous pouvez - dossier du Tax Justice Network - 2005 ; [charger le lien]

[7] Pour un serpent fiscal européen - De la concurrence à l’harmonisation - SNUI - éditions syllepses 2005 - une nouvelle édition est en préparation.


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