Fondamentalement, le Che a lutté pour l’émancipation humaine

mercredi 10 octobre 2007.
 

Hommage . Quarante ans après, retour sur le parcours et la pensée d’un combattant. Avec les contributions de Delia Luisa Lopez, professeure d’économie de La Havane, et Jean Ortiz, universitaire.

Deux générations désormais se reconnaissent dans l’image du Che. Peut-on parler d’un message universel et quel serait-il ?

Delia Luisa Lopez. Fondamentalement, le Che a lutté pour l’émancipation humaine. En ce sens, son message est universel. - Selon lui, les peuples du tiers-monde doivent s’émanciper. Le Che en est partie prenante : ses luttes pour la construction d’une nouvelle société partent de la révolution cubaine, de Cuba, d’Amérique latine, et du tiers-monde. Et ses apports fondamentaux au marxisme s’élaborent à partir de sa conception de comment doit être une révolution partant du tiers-monde. Néanmoins, je suis absolument convaincue que son idéal éthique, bien que d’un point de vue philosophique il ne fasse pas d’éthique, que son message éthique englobe tous les êtres humains de cette planète. Parce que je le répète, il a lutté pour l’émancipation de l’homme.

Quel est le principal héritage de la pensée du Che ?

Delia Luisa Lopez. En la matière, il convient d’avertir que nous sommes face à une pensée d’une incroyable cohérence, intégrale, dont la colonne vertébrale est, selon moi, l’éthique. Il est vrai que quiconque a besoin d’approfondir l’aspect x d’un penseur, en suivant les règles de la méthodologie, peut parvenir à cette délimitation. Prenons l’exemple de la pensée économique du Che, qui est très importante. On peut l’étudier et faire des recherches, mais on aboutira toujours à des imbrications très fortes avec ses convictions politiques et éthiques. Car celles-ci s’imbriquent dans sa pensée économique.

Le système de direction économique qu’il crée avec ses collaborateurs s’oppose au système soviétique en vigueur depuis la fin des années cinquante. Dans ce système de direction, l’incitation fondamentale est la morale mais sans - jamais négliger l’incitation, économique, matérielle et toujours en sachant que cette dernière doit progressivement s’effacer afin que la morale prédomine. Au sens où doivent prévaloir les valeurs, l’éthique, les nouvelles normes de conduite et de pensées socialistes. En définitif, il s’agit de former peu à peu cet homme que le Che a dénominé homme nouveau.

En quoi l’éthique du Che se distingue-t-elle des autres figures de son époque ?

Delia Luisa Lopez. De cette époque des années soixante nous parvenaient des pays socialistes des textes qui cherchaient à démontrer comment asseoir les « calculs économiques ». Ces derniers s’appuyaient sur le fait que le système capitaliste était fondé sur la production élevée du travail à travers la stimulation matérielle. En définitive, et le Che l’a parfaitement dit, cette conception soviétique tentait de sauver des aspects socialistes mais donnait une chose mixte, - hybride, puisqu’il utilisait la stimulation individuelle pour atteindre des niveaux plus élevés de productivité et de production. Tel était l’objectif de la nouvelle société où l’homme serait inondé de biens matériels. Le Che se rend compte que cela est impossible d’un point de vue du développement économique. Qui plus est, selon lui, cela n’a pas de sens du fait même du type de consumérisme qui se crée déjà l’époque. Il s’interroge : quelle est la différence entre le socialisme, le communisme et le - capitalisme ?

Selon le Che, elle doit reposer sur une nouvelle culture. Les êtres - humains qui vivent, et font une révolution qui transite vers le communisme, doivent élaborer une nouvelle culture à partir de leurs propres changements, de leurs propres formes de pensée et de conviction. Qu’est-ce qui doit être plus important pour ces hommes, vivre de manière solidaire, fraternelle ou être un loup pour l’autre ?

Ce qui a débouché sur sa conception de l’homme nouveau. Ce concept a-t-il été mal interprété ?

Delia Luisa Lopez. Il a surtout été mal interprété d’un point de vue économique. À être si emphatique dans la priorité des motivations morales entre les travailleurs, certains lecteurs, consciemment ou inconsciemment, ont commencé à divulguer l’idée selon laquelle le Che n’avait pas de considérations pour les motivations matérielles. C’est faux. Durant, la période où il était ministre de l’Industrie, d’énormes stimulations ont été offertes aux meilleurs travailleurs : un logement ; des voyages, des montres... Le Che a toujours dit que dans un pays sous-développé tel que l’était Cuba, on ne pouvait mettre de côté les nécessités matérielles mais il disait - également que la nouvelle mentalité socialiste ne pouvait se bâtir depuis la pauvreté. Mais une chose est de comprendre que la satisfaction des besoins basiques sont historiques, au sens où la révolution scientifique et technologique avance et proportionne une vie matérielle plus riche. Autre chose était de créer une mentalité consumériste. Ce que le Che critique absolument. Selon lui, l’homme nouveau ne peut être consumériste, égoïste.

Est-il exagéré de dire que le Che a contribué à rénover la pensée marxiste ?

Delia Luisa Lopez. En partant de la réalité du tiers-monde. Dans le - socialisme et l’homme à Cuba, il dit à peu près textuellement que pour construire le communisme simultanément avec la base matérielle il faut former l’homme nouveau. Ce point de vue théorique est un apport. Chez Marx, il existe une critique très forte du capitalisme, il y a la découverte des formes d’exploitation et de l’activité pratique révolutionnaire, au sens d’unir les travailleurs. Marx aborde ce que doit être la société communiste : une nouvelle culture, une société de biens matériels et aussi un homme libéré, émancipé de ses tares et de l’aliénation.

Le Che part de cette pensée de Marx et avance l’idée selon laquelle nous ne pouvons pas attendre la création d’une nouvelle base matérielle socialiste pour transformer les hommes. Le socialisme et le communisme ne peuvent pas être seulement la société de l’abondance matérielle mais également la société d’une nouvelle culture. Et une nouvelle culture ne se construit pas sans hommes avec un esprit socialiste. Donc les deux doivent être simultanés. C’est un apport à la théorie de la révolution.

À vos yeux, pourquoi cherche-

t-on à dessécher le sens et la pensée du Che, en le réduisant à la seule image du guérillero ou encore à ce cliché universellement connu ?

Delia Luisa Lopez. Parce que sa pensée était hérétique. Comme le dit mon collègue Fernando Martinez Heredia : le Che est l’homme des « comment ». Il critique mais pose également la question de l’alternative. C’est un homme dangereux parce qu’il pense la lutte pour la prise du pouvoir et la construction d’une nouvelle société. En ce sens, il a apporté à la révolution contemporaine.

Entretien réalisé par Cathy Ceïbe


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