Fusion Unedic-ANPE : attaques et privatisation

dimanche 7 octobre 2007.
 

Nicolas Sarkozy a l’intention de réaliser rapidement la fusion entre l’ANPE et l’Unedic, « dans l’intérêt des demandeurs d’emploi ». Il s’agit, en fait, d’une aggravation des attaques contre le service public et les chômeurs.

Il ne se passe pas une semaine sans qu’un « expert » ou un organisme officiel ne sorte un rapport pour proposer des réformes permettant de « libérer la croissance ». Avant l’été, le Conseil de coopération économique (groupe de réflexion parrainé par les gouvernements français, espagnol, italien et portugais, ainsi que par 120 patrons) remettait un rapport à Sarkozy proposant de « faciliter les licenciements pour les entreprises, afin qu’elles aient moins de réticences à embaucher ». Plus récemment, le Conseil de l’analyse économique a préconisé la fusion entre l’ANPE (service public de l’emploi) et l’Unedic (organisme paritaire gérant l’assurance chômage).

Tous ces projets englobent la question du contrat de travail et celle du renforcement des mesures de coercition contre les chômeurs. Il s’agit d’adapter la situation des salariés aux exigences des actionnaires. Pour Dominique-Jean Chertier, ancien directeur de l’Unedic, « les modèles d’emploi et de salariat vont éclater. C’est donc l’occasion d’une refonte globale de la gestion de l’emploi, à la fois de l’indemnisation, du financement et de l’organisation » (Le Figaro du 5 septembre 2007). Tel est l’objet des négociations, engagées depuis le 7 septembre, entre le Medef et les confédérations syndicales. Sarkozy, dans sa lettre de mission au ministre de l’Économie et des Finances, Christine Lagarde, demande de « procéder, par la fusion de l’ANPE et de l’Unedic, à la création d’un grand service public de l’emploi, capable d’aider les chômeurs à retrouver un travail beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui ».

Chômeurs fliqués On assiste au retour en force d’un discours visant à stigmatiser les chômeurs, coupables de ne pas faire ce qu’il faut pour trouver un emploi. Depuis 2005, toutes les mesures prises sont allées dans le sens d’une aggravation de leurs conditions. Le décret d’août 2005, partant du constat que le nombre de radiations de la liste des demandeurs d’emplois était insuffisant, a prévu un dispositif de « sanctions graduées », permettant au préfet de diminuer ou de supprimer l’allocation-chômage. La radiation peut maintenant se faire pour une période de quinze jours à un an. Un nouveau motif de radiation a été ajouté, le refus d’une proposition de contrat aidé, c’est-à-dire les « contrats d’accompagnement dans l’emploi » ou les « contrats d’avenir », à mi-temps et payés au Smic. Les Assedics (organismes dépendant de l’Unedic, qui versent les indemnités de chômage) peuvent aussi suspendre ou réduire l’indemnisation, pour une durée de deux mois dans certains cas.

En janvier 2006, sous couvert de plus grande efficacité, Dominique de Villepin a mis en place le « suivi mensuel personnalisé ». L’entretien mensuel systématique qu’il impose se révèle une formidable machine à radier ceux qui ne peuvent se présenter à une convocation. Les agents de l’ANPE subissent des pressions pour faire fonctionner le système dans ce sens, et ils sont formés en conséquence, avec des objectifs individuels.

Dans son discours sur le « nouveau contrat social », Sarkozy a réaffirmé son intention de définir « avant la fin de l’année, des procédures et des sanctions efficaces, plus fermes et plus justes ». Il propose ainsi de radier de l’ANPE les chômeurs ayant refusé deux propositions d’emploi « valables ». Il s’agit de les obliger à accepter n’importe quoi (emploi précaire sans rapport avec la qualification), n’importe où et à n’importe quel salaire. Bref, les emplois précaires dans les secteurs où le patronat n’arrive pas à embaucher, étant donné les conditions de travail et les salaires. Ainsi, à partir du moment où l’offre d’emploi est déclarée valable, il n’y aura pas de possibilité de la refuser. Il faut savoir qu’une minorité des offres proposées par l’ANPE sont des CDI. Au moment même où les chômeurs sont pénalisés, le gouvernement discute avec le Medef de la dépénalisation du droit des affaires pour les patrons !

Sous-traitance Derrière tout cela, c’est bien l’idée de l’indemnisation comme droit à un revenu face au chômage qui est remise en cause. Dominique-Jean Chertier l’assure : « Il faut passer de la notion d’ayant-droit à une relation contractuelle, où le chômeur ne réclame plus des droits, mais un accompagnement très rapide vers le retour à l’emploi. » L’actuelle présidente de l’Unedic, Annie Thomas, membre de la CFDT, ne dit pas autre chose : « L’assurance chômage n’est pas une rente de situation versée parce qu’on a cotisé toute sa vie. Les demandeurs d’emploi font souvent cette erreur. »

La fusion s’inscrit dans le cadre d’une harmonisation européenne des systèmes d’indemnisation et de placement. Deux dates illustrent la mise en place de cette politique. En 1997, l’Organisation internationale du travail a publié une convention mettant en place des organismes privés de placement. En 1998, la Commission européenne a défini les services publics de l’emploi en Europe comme des « instruments de stratégie de l’emploi », dans le but, notamment, de réaliser « l’adaptation des entreprises et de leurs salariés ». La Commission constate une grande disparité entre les champs d’activité des différents services de l’emploi ; elle vise donc à désengager ces services publics de certaines activités et à rapprocher les services d’indemnisation et de placement. Une déclaration commune prévoit donc une politique « d’activation des dépenses passives », qui consiste à consacrer les dépenses à des actions de réinsertion (dépenses dites actives), plutôt qu’à des indemnisations (dépenses dites passives). Cette politique constitue un détournement des cotisations car, au lieu de garantir une indemnisation correcte, une partie des fonds est utilisée pour financer des sociétés privées censées accélérer le retour à l’emploi. L’objectif de l’Unedic est de réduire la durée moyenne d’indemnisation de cinq mois pour faire des économies.

Commencée dans les années 1990, la politique de sous-traitance a conduit des milliers d’organismes privés à intervenir dans le domaine de la recherche d’emploi. Beaucoup, d’ailleurs, consultent les offres d’emplois déposées sur le site de l’ANPE. La loi Borloo de 2005, en modifiant les contours du service public de l’emploi, a mis les organismes privés (intérim, cabinets) en situation de proposer maintenant des CDI, au même titre que l’ANPE. Plusieurs grands groupes, comme Adecco, se sont donc lancés sur ce marché. Le service public contribue à son propre démantèlement en alimentant le privé, les agents ANPE étant incités à envoyer les chômeurs vers ces structures. Pour prouver que le public fait aussi bien que le privé, l’ANPE fait certes quelques expérimentations ponctuelles diminuant le nombre de chômeurs affectés à un agent. Il faudrait, au contraire, généraliser les moyens, pour recevoir les chômeurs correctement. Ainsi, aujourd’hui, avec la dégradation des conditions de travail liée au « suivi mensuel », chaque agent ANPE a en charge au moins 200 chômeurs.

Suppressions de postes Du point de vue du service rendu au public, la fusion ne constitue pas un progrès, bien au contraire : les « guichets uniques », déjà mis en place dans certaines villes, ont pour conséquence de réduire le service, puisque seuls les chômeurs ayant un rendez-vous sont reçus. Aux Assedics, il est désormais impossible de rencontrer un agent sans rendez-vous, on vous renvoie directement vers un numéro de téléphone ou Internet pour appeler un agent. Aujourd’hui, trois pays européens (Allemagne, Espagne et Royaume-Uni) ont fusionné leurs services d’indemnisation et de placement, les Pays-Bas ayant des « guichets uniques » associant les deux activités.

Sarkozy vante les créations d’emplois en Grande-Bretagne, réalisées suite à la fusion des services de placement et d’indemnisation. Il faut savoir que ces créations ont été faites aux deux tiers dans le secteur public, afin de compenser les ravages de la politique de Thatcher. De plus, le faible taux de chômage officiel est dû à un report massif des chômeurs jugés « inemployables » vers le régime d’invalidité. Enfin, en Grande-Bretagne, 25 % des emplois sont à temps partiel, occupés à 77 % par des femmes.

Le vrai problème aujourd’hui est la création d’emplois : la fusion entre les organismes de placement et d’indemnisation ne résout rien. Fillon l’a clairement dit, dans le cadre de la réduction du déficit, la fusion ANPE-Unedic représente un moyen de faire des économies. Il y a aujourd’hui environ deux agences locales de l’ANPE pour une antenne Assedic. L’objectif est de faire disparaître des agences et de supprimer du personnel. Au Royaume-Uni, avant la fusion, l’Employment Service (équivalent de l’ANPE) comptait 32 000 salariés et la Benefit Agency (l’équivalent de l’Unedic) 72 000 salariés. Le nouvel organisme (les « Jobs center plus ») ne comptent plus que 75 000 salariés.

Il faut donc créer une mobilisation qui dépasse largement le cadre de l’ANPE et de l’Unedic, en associant les organisations syndicales et les organisations de chômeurs. C’est la seule façon de donner un écho à la bataille contre cette fusion et la privatisation du service public qui lui est associée. La LCR défend un service public de l’emploi unifié. Cette unification serait fondée sur une politique publique en faveur des chômeurs et de la création d’emplois. Elle inclurait l’ANPE, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), l’Unedic, le ministère du Travail, les missions locales. Ce service associerait indemnisation et placement, et il intégrerait les sous-traitants privés et ses personnels sous statut public. Il proposerait des formations diplômantes et obligerait les patrons à déposer toutes leurs offres d’emploi, comme cela était prévu à la création de l’ANPE, en 1967.


Encart

Le revenu de solidarité active

Dans le cadre des fameuses « politiques actives » de l’emploi, le revenu de solidarité active (RSA) a été créé et expérimenté dans 25 départements. Le gouvernement part du principe que les chômeurs, les RMIstes ou les mères célibataires touchant l’allocation de parent isolé (API) ne font pas d’efforts pour retravailler, puisqu’ils gagneraient moins en travaillant qu’en continuant à percevoir le RMI ou l’API.

Le RSA vise donc à compléter le revenu des personnes concernées, via un financement des départements et de l’État. Ce dispositif constitue une formidable aubaine pour le patronat, puisque l’État ou les départements prendront en charge ce complément. Les députés PS et PCF se sont abstenus sur ce dispositif, le jugeant insuffisamment financé. Ce n’est pas fondamentalement surprenant puisque, eux aussi, dans les précédents gouvernements, sont entrés dans la logique de l’aide au patronat, en baissant le coût du travail.

Après la phase d’expérimentation de trois ans, le RSA est censé remplacer tous les minima sociaux. On arriverait là à un changement d’ampleur, puisque toute attribution du RSA serait liée à l’acceptation d’un emploi, peu importe lequel.

MALDINI Lucas

Rouge n° 2220 du 27 septembre 2007


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