Birmanie : Les militaires et la misère (par Claude Cabanes)

dimanche 30 septembre 2007.
Source : L’Humanité
 

Hier, le fracas de la violence d’État s’est abattu dans les rues de Rangoun, la capitale de la Birmanie. L’armée, la police, et leurs bandes de supplétifs, ont attaqué les cortèges de manifestants animés par les moines bouddhistes, pour mettre un terme, par la force, au mouvement populaire de protestation qui secoue tout le pays depuis plus d’un mois. Parmi les trop nombreux peuples de la terre qui vivent dans une difficulté extrême, le peuple birman est un de ceux dont la détresse est la plus grande.

Non seulement plus de 90 % des Birmans sont condamnés à un dénuement indigne du XXIe siècle qui réduit la vie à une lutte quotidienne élémentaire pour se nourrir ; non seulement les revenus de chaque citoyen ne dépassent pas en moyenne les 1 000 kyats par jour (soit l’équivalent de 0,7 euro) ; non seulement le travail est très rare, le système éducatif lamentable, l’appareil de santé publique inaccessible et la population victime de la malaria et du sida de manière endémique ; non seulement donc, la société birmane a pris un retard séculaire sur l’évolution du monde moderne, mais elle est aussi la proie d’une des plus féroces, des plus archaïques et des plus obstinées dictatures militaires du monde.

En Birmanie on meurt de faim et on meurt de peur. Et depuis la mi-août, déclenchée par une hausse vertigineuse du prix des carburants, qui a entraîné un dérapage général de l’ensemble des coûts des choses essentielles, la protestation a pris rapidement un cours très puissant. Ldes bonzes (beaucoup plus proches du peuple qu’un clergé traditionnel comme nous l’entendons en Europe) et la figure si présente de Aung San Suu Kyi, « la Mandela birmane », assignée à résidence par le pouvoir, ont stimulé la révolte. Le spectre du massacre de 1988 hante le pays et a déclenché un certain mouvement des institutions internationales.

On peut en effet s’interroger sur la longévité au pouvoir à Rangoun, de cette bande de tyranneaux en uniforme. Les grandes puissances ont certes manifesté de proche en proche leurs inquiétudes auprès des maîtres galonnés. Mais cela n’a pas donné de grands résultats, et on sait que quand elles le veulent elles ont, les États-Unis en tête, des arguments frappants. Serait-ce que, en définitive, les richesses de la Birmanie, son pétrole, son gaz et le reste sont accessibles aux grandes multinationales ? Serait-ce que la Russie qui se propose de fournir à la Birmanie un premier réacteur nucléaire décourage les efforts des uns et des autres ? Serait-ce que la Chine qui a des relations historiques privilégiées avec son voisin freine la bataille pour les droits de l’homme ? On souhaite que Pékin change rapidement son fusil d’épaule.

Hier M. Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, s’est agité dans les couloirs de l’ONU. Il a pourtant un souvenir bien cuisant de ses rapports avec la Birmanie. Il y a trois ans le groupe Total lui avait commandé un rapport (pour 25 000 euros) pour écarter la terrible accusation : la junte militaire aurait mis à sa disposition des travailleurs « forcés » pour la construction du gazoduc de Yadana. Le rapport avait été rendu dans ce sens. « Comment croyez-vous que je gagne ma vie, moi ? », avait lancé M. Kouchner...

En attendant, des Birmans risquent de perdre la leur dans les rues.


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