Marie-Antoinette d’après Coppola : "glamour", "rebelle", "d’une générosité inlassable", "princesse Diana" à la française. Et quoi encore ?

mardi 17 octobre 2023.
 

Le 16 mai 1770, Marie-Antoinette, fille de l’empereur d’Autriche, épouse le futur roi de France, Louis XVI.

Le 16 octobre 1793, Marie Antoinette Capet, soeur de l’empereur d’Autriche et ci-devant reine de France est guillotinée. Cet évènement est utilisé aujourd’hui par les conservateurs dans le but de noircir la Révolution française.

Ci-dessous, article de notre site mis en ligne lors de la sortie du film "Marie Antoinette".

D’année en année, l’idéologie libérale ringardise et dénonce la tradition républicaine progressiste populaire tandis qu’elle valorise reines, empereurs et milliardaires. Le film de Sofia Coppola "Marie Antoinette" en est une bonne illustration. Il a bénéficié lors de sa sortie d’une publicité phénoménale. Toutes les revues, tous les journaux lui accordaient une large place. Dans la revue de cinéma Studio, la réalisatrice nous livre son fil conducteur : "Faire ce film du point de vue de Marie Antoinette".

1) Limites de la psychologie hollywoodienne pour un fait historique

- > Je ne doute pas de l’intérêt de la psychologie comme science humaine. Cependant, je n’apprécie pas un film comme celui de Coppola, censé présenter un portrait psychologique de Marie-Antoinette alors qu’il se limite à des choix cinématographiques permettant d’attirer les spectateurs d’aujourd’hui.

L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780) a donné le jour à 16 enfants dont Marie-Antoinette est l’avant-dernière. Tous les historiens conviennent du fait qu’elle n’a pas bénéficié de la même attention maternelle que ses aînées, par exemple quant aux qualités de sa "gouvernante" mais aussi quant à son éducation. Lorsqu’elle arrive en France à l’âge de 14 ans, elle sait à peine lire et écrire.

- > Le film de Sofia Coppola nous révèle une Marie-Antoinette dont la personnalité ne change pas de l’âge de 14, 15 ans à celui de 35 ans. C’est faux pour quiconque et particulièrement pour cette reine. L’argument selon lequel le film traite "de l’adolescence" n’a aucune valeur. L’attitude de Marie-Antoinette de 1789 à 1793 prouve qu’elle n’est plus adolescente mais au contraire une femme adulte, expérimentée, rusée.

- > Est-ce qu’un film de ce type peut rendre compte de données historiques complexes comme les causes de la Révolution française et de son processus de radicalisation ? Je ne le pense pas. Est-ce qu’un film de ce type peut rendre compte de la psychologie populaire marquée par un demi-millénaire d’opposition entre le royaume de France et la maison d’Autriche alors que cette même Autriche mobilise l’Europe pour écraser les "patriotes français" ? Je ne le pense pas non plus.

2) Un film sur Marie-Antoinette... et pourquoi pas sur Eva Braun ?

- > Le portrait psychologique individuel peut contribuer à la compréhension d’un personnage mais ne peut constituer le fondement d’analyse d’un fait historique.

J’ai connu des individus ayant adhéré à la Milice durant la Seconde guerre mondiale par conviction politique personnelle d’extrême droite ou par suivisme. A titre personnel, comme pères et maris, certains étaient de "braves types". Des cas semblables pourraient être notés sans aucun doute parmi les fascistes de tous les pays d’Europe.

Sofia Coppola aurait pu réaliser un film sur Eva Braun, un officier franquiste ou une cadre de camp de concentration. Elle ne l’a pas fait parce que le souvenir de la barbarie fasciste est encore prégnant au sein des populations et prime logiquement sur le portrait psychologique individuel des bourreaux.

La fonction historique de Marie-Antoinette est-elle plus juste moralement que celle d’Eva Braun, d’un officier franquiste ou d’une cadre de camp de concentration ? Je ne le pense pas. En conséquence, cela prime sur son portrait psychologique.

3) Un film historique négligeant l’histoire réelle

Dans l’ensemble, les historiens français, quelles que soient leurs opinions politiques, ont pointé la nullité du film du point de vue de la véracité historique.

Plusieurs notent l’incapacité de la réalisatrice à représenter des mentalités et un monde très éloignés de l’univers américain autrement que par des clichés, critique d’autant plus évidente notamment « en comparaison des autres films historiques tels que Barry Lyndon, La Nuit de Varennes, Les Liaisons dangereuses, La Folie du roi George… car les réalisateurs de ces films, eux, étaient imprégnés de la culture de l’époque qu’ils évoquaient... Le film est bien loin de la réalité historique » avec une « Marie-Antoinette revue et corrigée par Hollywood » (Évelyne Lever, historienne spécialiste de Marie-Antoinette).

« Un film « rêvé par une Miss Californie, où s’orchestrent des ragots de cour de récré » ainsi que « quelques clips ». La cinéaste s’intéresse à l’émancipation de cette noble aux perruques décadentes à laquelle elle prête des aspirations de teenager. » (Le Monde)

« C’est Versailles sauce Hollywood... Tournée dans le château, l’œuvre éblouit par un déploiement de perruques, d’éventails et de pâtisseries, une symphonie de couleurs, du rose bonbon au noir crépusculaire, une musique où Rameau côtoie les rythmes modernes, le tout masquant quelques erreurs grossières et des anachronismes volontaires. » (Jean Tulard dans Le Figaro)

4) Un film utile aux opposants à la Révolution française

Je n’irai pas voir ce long métrage qui "dresse de Marie Antoinette un portrait idéal et idéalisé" (Ouest France) alors qu’il caricature les sans-culottes républicains en barbares sanguinaires. Je n’irai pas le voir parce que je ne supporte plus de voir le peuple de 1789 à 1793 traîné dans la boue. Ce film apporte sa touche à une offensive idéologique de réhabilitation de la famille royale au détriment de la Révolution française.

Le Nouvel Observateur publie un interview d’ "Antonia Fraser, historienne, épouse du prix nobel de littérature 2005, auteur de nombreuses biographies" dont une sur Marie Antoinette qui a servi de base au script du film". Que dit-elle ? "Quand j’étais une petite fille, je lisais l’histoire de la Révolution française et j’étais déjà très touchée par le destin de cette femme et de ses enfants... Quand j’ai commencé ce livre, Lady Diana venait juste de mourir. J’ai pensé qu’il y avait de grandes similitudes entre ces deux destins tragiques... Marie Antoinette représente le type même de bouc émissaire féminin... Jacques Hébert voyait la mort de Marie Antoinette comme un sacrifice sanguin, la nécessité de commettre un acte de violence en commun pour en finir avec la veuve Capet".

Le Nouvel Obs livre aussi aux lecteurs la haine connue de Jean Chalon (auteur de "Chère Marie Antoinette") à l’encontre de la Révolution : "Plus personne n’ignore que la reine était d’une inlassable générosité et qu’elle faisait porter du pain à ceux qui en manquaient... La reine était profondément pieuse et n’a jamais manqué d’accomplir ses devoirs religieux. Si elle avait commis le péché d’adultère, son confesseur aurait immédiatement exigé le départ de son partenaire".

Ce Jean Chalon fait partie des historiens réactionnaires tellement forcenés qu’ils en perdent toute objectivité. En France, jusqu’en 1944, de nombreux religieux fermaient les yeux sur la sexualité des nobles et théorisaient leur juste liberté en la matière. Surtout, ce que les Jacobins ont reproché à Marie-Antoinette, ce n’est pas son amour partagé pour Axel de Fersen mais la trahison du pays dont elle était reine au profit de royautés qui préparaient puis menaient une guerre à outrance contre la France.

Toutes les balivernes, style Jean Chalon) ont pour but d’effacer dans les consciences populaires l’opposition transmise par les écoles publiques d’antan entre d’une part la misère du peuple, d’autre part le faste de la Cour royale. Le Monde du 24 mai considère que le film rend bien cet aspect de la personnalité de Marie Antoinette "une femme ivre de robes, guitares et bijoux, de fêtes et de feux d’artifice... Happenings et bamboulas, overdose de macarons pistache, framboise et citron, flots de champagne, parties de campagne jusqu’au petit jour". Tout cela pour illustrer "l’adolescence éternelle, la hantise de l’ennui" selon le journaliste du Monde, le refus des règles sociales bridant l’"émancipation de cette jeune fille" dans d’autres publications.

Quel était le sort du peuple au même moment ? Retenons de l’enquête réalisée en 1771 cette phrase valable pour toute la province du Rouergue : "On ne saurait fixer le nombre des pauvres, ni distinguer ceux qui ont besoin de secours plus ou moins, dans un temps de misère tel que celui qui court". Les mendiants représentent environ un quart de la population. Lorsqu’ils ne meurent pas assez vite, une partie d’entre eux est enfermée dans des camps comme celui de la Gascarie sous Rodez où leur mortalité s’accroît et soulage la bonne conscience des quelques riches qui se goinfrent. Le pourcentage cumulé des mendiants et des pauvres sous-alimentés avoisine les trois quarts de la population.

Pour finir, Un coup de gueule...

Le réduit où Robespierre passa sa tragique dernière nuit vient d’être rasé pour agrandir la salle présentant la détention de Marie Antoinette. Pourquoi ? Paraît-il pour répondre à l’attente des touristes. Grotesque. Comme si l’intérêt des touristes ne dépendait pas des informations véhiculées par l’école, les médias et des films comme celui de Sofia Coppola.

Et une dernière remarque :

L’objectif du socialisme, c’est l’émancipation de chaque être humain et de toute l’humanité du règne de la nécessité à celui de la liberté. Cette soif de pouvoir vivre sa vie correspond sans aucun doute à un besoin profond des êtres humains eux-mêmes. Pour entrer en écho avec cette aspiration, le cinéma utilise souvent des personnages historiques de catégories sociales privilégiées ; nous pouvons le comprendre puisque c’étaient les seuls à ne pas vivre totalement pliés sous le règne de la nécessité. Marie-Antoinette adolescente eut effectivement un comportement rebelle vis à vis de l’étiquette royale. Nous pouvons le comprendre sans y adhérer. Etre républicain socialiste c’est, à mon avis, choisir un camp social, historique et idéologique sans enfreindre le principe : "Toute licence en art".

Jacques Serieys


5) 16 octobre 1793 : la ci-devant reine de France est guillotinée

https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/b...

Refusant les services d’un prêtre jureur, Marie-Antoinette est conduite jusqu’à la place de la Révolution, actuelle place de la Concorde. Le trajet, qui dure une heure trente, a été sécurisé par la présence de 30 000 hommes formant une haie sur le passage de la condamnée pour prévenir toute tentative d’enlèvement. Précédant la charrette de la Reine, un comédien à cheval harangue les spectateurs de cette incroyable scène. « Sur le ton de la dérision, l’histrion encourage la foule à exprimer sa haine envers celle qui marche à la mort », raconte Jean Sévillia. Mais Marie-Antoinette ne plie pas. Résistant à l’humiliation, elle demeure très digne et, arrivée à destination, « descend d’un bond, grimpe à l’échafaud du même pas, perd un de ses souliers, marche sur le pied du bourreau » et s’en excuse.

Wikipedia

Dès l’exécution de Louis XVI, la gauche de la Convention nationale réclame la peine de mort pour Marie-Antoinette.

Le 27 mars 1793, Robespierre clame à la tribune : "La punition d’un tyran, obtenue après tant de débats odieux, sera-t-elle donc le seul hommage que nous ayons rendu à la liberté et à l’égalité ? Souffrirons-nous qu’un être non moins coupable, non moins accusé par la Nation, et qu’on a ménagé jusqu’ici, comme par un reste de superstition pour la royauté ; souffrirons-nous qu’il attende tranquillement ici le fruit de ses crimes ? Une grande République, outragée avec tant d’insolence, trahie avec tant d’audace, attend de vous l’impulsion qui doit ranimer dans tous les cœurs une sainte antipathie pour la royauté, et donner une nouvelle force à l’esprit public."1

Le 3 octobre 1793, Jacques Nicolas Billaud-Varenne demande aux députés de la Convention de traduire Marie-Antoinette devant le Tribunal révolutionnaire. Le 5 octobre 1793, la Convention nationale vote le décret ordonnant que le "tribunal révolutionnaire s’occupera sans délai et sans interruption du jugement de la veuve Capet".

Le 6 octobre 1793, une commission constituée du maire de Paris Jean-Nicolas Pache, du procureur de la commune Pierre-Gaspard Chaumette, de deux membres du conseil général et d’un administrateur de police, se rend à la prison du Temple afin de procéder à l’interrogatoire de Louis XVII, et lui faire réitérer les graves accusations d’inceste proférées contre sa mère.

Le 12 octobre 1793, à six heures, Marie-Antoinette subit, à son tour, un interrogatoire secret destiné à préparer l’audience devant débuter le surlendemain. La reine est invitée à s’asseoir sur une banquette, devant le bureau du jeune président du tribunal, Martial Joseph Armand Herman - un protégé de Maximilien de Robespierre-, qui fait office de juge d’instruction, et en présence de l’accusateur public Fouquier-Tinville. Le Président Herman articule son instruction autour de quelques thèmes majeurs, présentés de manière outrancière. Ces thèmes seront développés au cours du procès. Herman passe en revue les relations coupables de la reine avec l’Autriche, ses dépenses excessives, son influence néfaste sur Louis XVI, mais aussi son rôle dans plusieurs épisodes controversés de la Révolution : le banquet du 1er octobre 1789, la fuite en berline suivie de l’arrestation à Varennes, le massacre des Tuileries (10 août 1792), plus récemment la "Conspiration de l’œillet"2.

L’interrogatoire terminé, le Président Herman demande à l’accusée si elle souhaite l’assistance d’un avocat. Épuisée, Marie-Antoinette répond qu’elle n’en connait aucun. Le tribunal lui commet d’office deux avocats : Claude François Chauveau-Lagarde et Guillaume Alexandre Tronsson.

Aux premières heures de ce matin du 16 octobre 1793, Fouquier-Tinville lance des imprécations vengeresses. Après lui, les avocats de la reine se lancent dans de brillantes improvisations. Leurs plaidoiries n’ont pas été conservées. Claude François Chauveau-Lagarde parle pendant deux heures sur "la prétendue conspiration avec les puissances étrangères". Tronson-Ducoudray réfute les allégations portées "sur les ennemis de l’intérieur". Fouquier-Tinville à bout de patience fait arrêter les défenseurs de la reine en plein tribunal. La cour fait sortir la reine. Le président lui porte alors l’estocade, par un discours qui est en fait un second réquisitoire. Dès lors, la délibération des jurés est de pure forme. Ils répondent OUI aux quatre questions, à savoir si la reine est coupable d’intelligence avec l’ennemi et de participation à un complot contre la République. Fouquier-Tinville requiert la peine de mort. Herman demande à Marie-Antoinette si elle "a quelques réclamations à faire sur l’application des lois invoquées par l’accusateur public. La reine secoue la tête négativement. Herman s’adresse aux avocats, ramenés entre deux gendarmes. Chauveau-Lagarde reste muet. Tronson-Ducoudray ajoute que son ministère à l’égard de la veuve Capet est terminé.

Le président condamne alors "ladite Marie-Antoinette, dite Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, à la peine de mort. Le présent jugement sera exécuté sur la place de la Révolution, imprimé et affiché dans toute l’étendue de la République".

À quatre heures du matin, ce 16 octobre 1793, Marie-Antoinette quitte la salle du tribunal révolutionnaire.


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