L’éthique néoconservatrice du nouveau premier ministre travailliste de Grande Bretagne : Gordon Brown (par Philippe Marlière, universitaire)

jeudi 27 septembre 2007.
 

Gordon Brown ne commettra pas l’erreur de Tony Blair. Il continuera certes de soutenir inconditionnellement la politique des Etats-Unis là où elle se déploiera. Cependant, il se gardera bien de toute effusion en public avec l’homme de la Maison blanche, de peur d’être à son tour perçu comme le « caniche » du président étatsunien. Brown sait que le soutien indéfectible que Blair a témoigné à Bush lui a coûté sa crédibilité politique. Mais Gordon Brown a de la chance : Nicolas Sarkozy revendique avec éclat le rôle de publiciste zélé de la Maison blanche.

Le premier ministre britannique ne le lui contestera pas ! Sur la question de l’armement nucléaire iranien, Brown vient discrètement d’évoquer la possibilité d’une intervention militaire contre l’Iran. Enoncés mezzo voce, les propos furent à peine relayés par les médias. De leur côté, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner, ont commencé bruyamment à préparer l’opinion internationale à cette nouvelle guerre impériale.

Brown peut donc se consacrer librement à une tâche qui lui tient à cœur : continuer la rénovation du « logiciel social-démocrate ». La Troisième voie dite « blairiste » est bien mal nommée, car Blair a très peu contribué au débat dont l’objectif était de justifier à gauche le thatchérisme économique. Tony Blair préférait courtiser les richissimes et les puissants. Sous son leadership, le congrès travailliste annuel accueillait les stars du show-biz (Bono, Bob Geldorf) ou de la politique (Bill Clinton, Nelson Mandela). Brown, fils de pasteur presbytérien, n’a que faire de la politique à paillettes de son prédécesseur. Il préfère s’entourer d’intellectuels qu’il choisit invariablement dans le camp néoliberal et néoconservateur.

Cette année, à l’invitation de Brown, deux personnalités interviendront au congrès travailliste. L’un, Ben Bernanke, est le successeur d’Alan Greesnpan à la tête de la Réserve fédérale américaine (la « Fed »). Après avoir reçu Margaret Thatcher à Downing street la semaine dernière (Brown a présenté l’amie du général Pinochet comme une « femme de conviction remarquable »), ce choix entend souligner la volonté de poursuivre les politiques du néolibéralisme économique. L’autre est Gertrude Himmelfarb, une historienne étatsunienne. Elle est l’épouse d’Irving Kristol, le maître-à-penser de choc des néoconservateurs et son fils, William Kristol, préside le Project for the New American Century.

Ce think-tank néoconservateur a inspiré tout ou partie de la politique étrangère de l’Administration Bush. Himmelfarb, qui se réclama du trotskysme dans sa jeunesse, n’a pas de mots assez durs aujourd’hui pour dénoncer l’Etat social « parasitaire », synonyme à ses yeux d’assistanat et d’encouragement à la paresse et à la fraude. Himmelfarb prône un retour aux valeurs victoriennes qui avaient cours dans le Royaume-Uni du 19e siècle. Elle estime que les valeurs d’abnégation et de compassion doivent constituer le ciment d’une société où la « vertu sociale » va favoriser ordre et prospérité. Le retour au travail de tous doit permettre à ceux vivant dans le dénuement d’atteindre le statut de « pauvre actif » (working poor), un objectif « socialement noble ».

Les fondements de l’« Etat minimal » sont là. Le sinistre « donnant donnant », cher à Ségolène Royal et autres « rénovateurs » socialistes, est l’un des piliers de cette doctrine réactionnaire. Il s’agit ni plus ni moins que de moraliser la question sociale : seuls les deserving poor (pauvres méritants) - flexibles à souhait, mal payés - bénéficieront de la fraction des droits octroyés aux générations antérieures de travailleurs. On peut aussi noter que la politique économique du New Labour depuis 1997 a effectivement eu pour effet de multiplier le nombre de deserving poor, des travailleurs très peu formés, sous-payés et faiblement protégés.

Brown reconnaît avoir été particulièrement influencé par un ouvrage récent d’Himmelfarb intitulé The Road to Modernity : The British, French and American Enlightments. Dans ce livre, l’historienne estime que les Lumières britanniques étaient en tout point supérieures aux Lumières françaises car les premières mettaient l’accent sur les notions de bénévolence et de compassion. Brown avait déjà fait savoir que Theory of Moral Sentiments d’Adam Smith était l’un de ses ouvrages favoris (Ses proches rapportent même qu’il peut en réciter de mémoire de longs extraits !).

Avec le néoconservatisme à la mode victorienne d’Himmelfarb, Gordon Brown vient de franchir une nouvelle étape dans la droitisation à outrance de la social-démocratie. Economiquement néolibéral, culturellement réactionnaire, politiquement acquis à l’Empire, le brownisme continue le travail de sape là où son compère Tony Blair l’avait laissé. A droite toute.


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