« Quand on a recruté Zemmour, personne ne pensait qu’il allait être président » : le lapsus de Bolloré

jeudi 27 janvier 2022.
 

Mercredi dernier, Vincent Bolloré était interrogé par la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans le monde des médias. Son audition était des plus attendues, tant son ombre y plane, et plus largement sur l’élection présidentielle. Visage de la terreur médiatique au service de l’extrême-droite, et à la tête d’un empire, le multimilliardaire tente d’imposer l’agenda médiatique de cette dernière dans la campagne présidentielle.

Il a du s’expliquer sur sa responsabilité dans la zemmourisation médiatique, du pays et sur la relation douteuse qu’entretiennent concentration médiatique et pluralisme démocratique. Face à des sénateurs impuissants, il s’est présenté comme « tout petit » face aux autres empires médiatiques internationaux. Dès lors, il a pu justifier son rôle de défenseur de la culture française (conservatrice). Ce, en niant un quelconque rôle de relais de l’extrême-droite, sans aucune honte. Notre article.

L’empire Bolloré : trop effrayant pour être vrai

Le groupe Bolloré est un mastodonte. Il n’y a pas d’autres mots qui nous viennent en tête lorsque que le rapporteur de la commission d’enquête, David Assouline (PS) s’efforce d’énumérer l’ensemble des possessions du groupe Bolloré (Vivendi), dans les domaines de l’édition, de la presse, de l’audiovisuel, des jeux vidéos et du spectacle vivant. Cette mainmise sur un tel nombre d’entités que nous côtoyons au quotidien est effrayante, mais elle est belle et bien sous nos yeux.

Sans être exhaustif, la liste a de quoi de nous faire tourner de l’oeil : Europe 1, C8, CSTAR, CNEWS, Studio Canal, My Canal, Canal + et ses variantes, Planète, Ciné +, Foot +, Planète, Comédie (audiovisuel) ; SeeTickets, Info Concerts, New Life, info.Concert, Vivendi sport (jeux vidéo et spectacle vivant) ; Hachette, Armand Colin, Fayard, Stock, Grasset, Jeunesse, Larousse, Marabout, Robert Lafont, 10/18, Pocket, La Découverte, Editions du Cherche-midi, XO Editions (édition) ; Paris Match, Capital, Femme actuelle, Gala, Géo, Harvard Business Review, Femme actuelle, National Geographic, Télé Loisirs, Voici, France catholique (presse). Et on n’en oublie… Ces entités ont au moins toute un point commun : Bolloré les terrorise de par la mainmise qu’il a sur son empire, mainmise qu’il a tout fait pour minimiser face aux sénateurs.

Si la fusion prévue avec le groupe Lagardère se concrétisait, elle créerait une situation de concentration dans les médias et les industries culturelles inédite dans notre pays. Ce rassemblement de tant de canaux de création sous la coupe d’un seul homme serait mortifère à la fois pour la diversité et le foisonnement des histoires et des idées.

Zemmourisation médiatique ? Bolloré nie et fait un lapsus révélateur

Calme, Bolloré se défend de quelconques interventions sur la ligne idéologique de ses chaines, notamment sur la chaine d’extrême-droite CNEWS : « Pas d’intervention, jamais ». Cependant, il joue à un difficile jeu d’équilibriste lorsqu’il explique dans le même temps qu’il rencontre lui même certains chroniqueurs pour leur proposer de venir sur ses chaines. Yves Calvi est cité, pour montrer que la nomination d’Eric Zemmour est anodine parmi celles d’autres chroniqueurs.

Se défendant d’une participation à une quelconque zemmourisation médiatique, le milliardaire rappelle que Zemmour connaissait déjà un succès en tant que polémiste d’extrême-droite. En témoigne ses ventes de livres et les audiences de ses passages à la télévision avant son arrivée sur CNEWS. Mais là est tout le problème. Tout le monde connaissait les positions racistes, sexistes, homophobes et négationnistes du polémiste. Lui avoir offert sur un tapis rouge une heure d’émission tous les soirs (Face à l’Info, CNEWS) et sans contradiciton pendant 2 ans le rend directement complice de la diffusion de ses idées fascisantes. S’étant senti pousser des ailes, Eric Zemmour est aujourd’hui candidat à la présidentielle. A ce sujet, Bolloré répond dans un lapsus révélateur : « Quand on l’a recruté, personne ne pensait qu’il allait être président de la République« . « Il ne l’est pas encore », l’a corrigé David Assouline. Sa « naïveté provocatrice » était latente tout le long de son audition.

Face aux accusations d’être un passe-plat des idées d’extrême-droite (ce qu’il est pourtant), il a reproché aux sénateurs de « créer des histoires avec des petits bouts de choses« . Il a ainsi minimisé la taille de CNEWS dans son empire et dans le paysage audiovisuel français. S’affirmant comme un grand démocrate, oubliant au passage les censures dont il responsable, il rappelle que chacun a droit à la parole, de Jean-Luc Mélenchon à Eric Zemmour compris. Mais Jean-Luc Mélenchon n’a pas été condamné pour injure et incitation à la haine raciale, lui. Concernant le polémiste, il déclare : son « programme ne me regarde pas, je n’ai jamais fait de politique et je n’en ferais jamais ». Il pointe du doigt le trop facilement rapprochement entre lui et CNEWS. Ainsi, dans un raccourci éhonté, il déclare : « On pourrait par exemple dire que je suis déconstructionniste, woke. Vous avez vu la polémique sur « iel ». « Iel », c’est Le Petit Robert. Le Petit Robert, c’est Editis. Editis, c’est Vincent Bolloré« . On peine à y croire et on se retient de rire.

Bolloré, défenseur d’une France conservatrice face au GAFA

Pourquoi une telle concentration médiatique si ce n’est pas pour faire de la politique ? Balayant les accusations d’extrême-droitisation du paysage médiatique, Vincent Bolloré, s’est posé en homme d’affaires patriote, défenseur de la culture française face au poids de la concurrence internationale. Grand capitaliste, Bolloré explique qu’il est normal qu’une conentration s’exerce pour défendre l’industrie culturelle française. Provocateur, il déclare : « Disney, on va leur dire qu’ils sont trop concentrés ? » Il affirme par ailleurs que que cette concentration peut tout à fait fonctionner en même temps que le pluralisme démocratique. Celui-ci oublie sans doute que CNEWS a été mis en demeure par le CSA pour avoir relégué LFI et le gouvernement la nuit… Il n’empêche. Le spectacle des sénateurs décontenancés, n’arrivant pas à démasquer le milliardaire, était des plus affligeants.

« Il existe, au fond, un vivier de contenus très importants de notre culture française et européenne. A côté de tous ces contenus américains, des contenus asiatiques, les contenus européens apportent une fraîcheur, intéressante, à exporter. C’est à partir de cette idée que nous pouvons créer un champion de la culture française et européenne« . Mais quelle est cette culture ? Une phrase du milliardaire d’extrême-droite n’est pas passée inaperçue :« J’ai pas le droit de dire Clovis, Charlemagne, c’est mal vu aujourd’hui, mais bon. Quand on fait Versailles ou Clovis, c’est plus intéressant que quand on fait Superman. » On comprend mieux quelle culture française il souhaite défendre. C’est la même que porte son poulain, Eric Zemmour, depuis trop longtemps.

La situation est à la fois inédite et grave. Ses dynamiques de concentration sont un frein à la fois pour la diversité de création mais aussi pour la liberté d’expression. Plus largement, c’est la démocratie qui est mise à mal. De toute urgence, il faut mettre en place des lois de déconcentration dans les industries culturelles et les médias. Le monopole est de toute évidence incompatible avec l’idée même de la créativité culturelle, expliquait Jean-Luc Mélenchon le 3 janvier sur France Inter.

Par Nadim Février


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