De Zemmour à Blanquer, la naphtaline en guise de pensée scolaire

lundi 24 janvier 2022.
 

Raillé pour ses accents rétrogrades, le programme d’Éric Zemmour sur l’école fait pourtant écho aux slogans réactionnaires brandis depuis cinq ans par Jean-Michel Blanquer. L’école mérite mieux que ces plats rances, inlassablement resservis depuis des décennies.

« Rétablir le port de la blouse », recréer des postes de « surveillants généraux » pour ramener la discipline ou mettre en place des « internats de réinsertion » pour les élèves posant des problèmes de comportement… Le projet pour l’école d’Éric Zemmour si caricaturalement réactionnaire a déclenché des torrents de commentaires mi-amusés, mi-consternés.

Certain·es ont rappelé, comme l’a fait précisément l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, que ce fantasme d’une école idéale d’avant Mai-68 où auraient régné l’ordre et le mérite, avant la grande destruction « pédagogiste », n’a jamais existé.

Et que, dans cette école rêvée, une minorité d’élèves accédait – petit détail sans doute – au certificat d’études.

Aussi absurdes qu’elles soient – qui peut croire que le rétablissement du port de la blouse, ou le fait que les CPE s’appellent désormais les « surveillants généraux », change quoi que soit au fait massif que l’école française aggrave les inégalités –, ces propositions imbibées de naphtaline reviennent pourtant avec constance.

Elles sont devenues les figures imposées d’un débat public sur l’école qui évite soigneusement les vrais sujets : la ségrégation scolaire qui a accompagné la massification, des décrochages massifs et silencieux d’élèves qui quittent sans aucun diplôme l’école, un mal-être enseignant qui s’aggrave d’année en année, une compétition qui mine les élèves… au profit de chimères sépia, à l’arrière-goût assez rance.

Ces fables réactionnaires sont pourtant considérées comme attendues par des familles gagnées par l’angoisse scolaire. Elles sont aussi un inépuisable filon éditorial pour certains journaux qui paraissent ne pas se lasser de resservir jusqu’à l’écœurement ces vieux plats moisis depuis des décennies.

À ce jeu, Jean-Michel Blanquer aura été, ces cinq dernières années, un maître - ses sorties rétrogrades n’ayant rien à envier aux niaiseries d’Éric Zemmour sur l’école.

À peine arrivé rue de Grenelle, Blanquer assure qu’avec lui les élèves français vont rechanter La Marseillaise puis que le drapeau tricolore devra être présenté dans chaque classe.

L’ancien directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) de Nicolas Sarkozy – sous le mandat duquel près de 60 000 postes d’enseignant·es ont été supprimés – rappelle aussi qu’il est favorable au port de l’uniforme à l’école. Des slogans, rarement suivis d’effet, et qui n’ont que peu à voir avec sa politique scolaire (réforme du bac, de l’éducation prioritaire…) mais qui sont autant de clins d’œil à un électorat qui raffole de ces petites sorties nostalgiques.

Puisque cela n’engage à rien, Blanquer a d’ailleurs ressorti en septembre son couplet sur l’uniforme à l’école sur la chaîne C8, propriété de Vincent Bolloré, période électorale oblige.

Quand Éric Zemmour appelle à faire de l’école un « sanctuaire de l’assimilation » pour « redonner la France à aimer », il ne dit pas foncièrement autre chose qu’un Blanquer qui n’a cessé de pourfendre « la culture de la repentance » censée avoir gagné les programmes. « Tous les programmes d’histoire de lycée ont changé pour être dans un ordre chronologique. Il n’y a pas de dimension de repentance dans ces programmes », se défendait-il, en octobre, devant Sonia Mabrouk sur Europe 1.

Et lorsque Zemmour annonce dans son « programme » pour l’école qu’il protégera « nos enfants de la propagande en interdisant la diffusion à l’école des idéologies », on croit entendre un Blanquer parti en croisade contre le « wokisme » après « l’islamo-gauchisme », et qui a entretenu à la rentrée des jours durant une navrante polémique sur l’introduction du pronom « iel » dans Le Robert… Un pronom en passe de saper les piliers de l’éducation française, voire de « déconstruire » les bases de la civilisation occidentale.

C’est à cette aune démagogique qu’il faut comprendre les multiples déclarations du ministre sur son envie de renforcer l’apprentissage du grec et du latin, déclarations purement électoralistes et sans rapport avec les difficultés propres à ces disciplines qui attirent de moins en moins d’élèves et de moins en moins d’enseignant·es.

Outre la référence, face au « wokisme », à une Antiquité aussi modèle que factice, ces annonces permettent également de rassurer un public qui sait combien les options sont un moyen de reconstruire une ségrégation sociale dans les collèges.

Face à Zemmour qui prône les « primes et la progression au mérite » des enseignant·es – laissant entendre que l’école irait mieux si on savait motiver ces fainéants de profs si éloignés de l’abnégation des hussards noirs de la République –, difficile de ne pas voir que Blanquer n’a cessé de brandir cette même recette ces dernières années.

Pour le polémiste d’extrême droite, comme pour Blanquer, l’école privée reste enfin la référence ultime : un sanctuaire où le chaos du monde contemporain ne serait pas encore entré. Éric Zemmour annonce qu’il souhaite la soutenir financièrement parce qu’elle reste une « alternative efficace au public gangrené ». Sans le dire aussi frontalement, Blanquer, à travers toutes ses réformes, n’a cessé lui aussi de défendre les écoles privées – grandes gagnantes, notamment, de sa réforme de l’éducation prioritaire.

À moins de trois mois de l’élection présidentielle, la lassitude gagne à voir qu’un sujet aussi majeur que l’éducation donne lieu, une fois de plus, à des débats si grotesquement caricaturaux.

Lucie Delaporte


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message