Cannabis : légaliser pour diminuer la consommation

mercredi 5 janvier 2022.
 

Cet article s’inspire des travaux du laboratoire d’idées Intérêt général menés par François Thuillier et Marion Beauvalet. Il s’inscrit également dans la logique du livret « Sécurité : Retour à la raison » de l’Avenir en commun.

Politiques répressives inefficaces

Malgré l’inefficacité de la politique du chiffre, l’approche répressive face aux drogues est un sujet très présent dans l’espace médiatique. D’une gendarmerie qui se félicite d’avoir saisi des substances qui sont en fait des fraises tagada, aux communiqués pour signaler qu’une voiture contenant quelques kilogrammes d’herbe a été arrêtée, cette politique permet avant tout de communiquer sur des résultats - souvent dérisoires quand ils ne sont pas risibles. Pourtant, même certains syndicalistes policiers soulignent l’échec de la politique du chiffre, les forçant à la fameuse « batonnite » : la hiérarchie est incitée à mettre des priorités sur des petits délits résolus rapidement et non sur les affaires les plus graves.

Appliquée sans succès depuis des années, la politique qui consiste à verbaliser le consommateur ne permet pas de traiter la question de l’approvisionnement et des réseaux de blanchiment, ni même d’offrir pour les individus qui en auraient besoin un accompagnement en conséquence. Cette politique est même dispendieuse puisque 1% du PIB est mobilisé pour lutter contre les drogues. Elle alimente également les conflits entre la police et la population, dans les quartiers où les contrôles au faciès sont légions et où le cannabis est parfois une excuse pour exercer une stratégie de la tension. N’en déplaise au ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le simple revendeur ne gagne pas 100 000€ par jour, soit l’équivalent de trois millions par mois ! De l’autre côté de la chaîne, les grands réseaux, de la Colombie, d’où provient la majeure partie de la cocaïne produite dans le monde, au Mexique en passant par l’Afghanistan prospèrent, charriant avec eux violence et blanchiment d’argent.

Hygiénisme et répression

Le caractère répressif des politiques liées aux drogues n’est pas récent. Il s’inscrit dans une longue chronologie qui en fait un problème public posé comme à l’intersection de la délinquance et d’une lecture hygiéniste de ce que doit être la santé publique. Les lois contre les drogues sont également votées dans des moments de restauration de l’autorité et souvent seule solution pour sauver l’image d’un ministre de l’Intérieur en difficulté dans sa carrière politique. Parler continuellement des drogues, c’est mettre à l’agenda politique et médiatique un sujet grand public mais régulièrement déformé.

Dans L’action publique française en matière d’usage de cannabis. Les fondements historiques d’un échec, l’historien Erwan Pointeau-Lagadec montre que l’une des premières lois sur le sujet date de 1916. Cette loi contraint « fortement la consommation de cannabis en France au nom de la santé publique ». Ce texte s’inscrit dans la lignée des textes hygiénistes du 19e siècle et de la première partie du 20e siècle et la thématique foucaldienne du bio-pouvoir : toute substance qui modifie la conscience est tant néfaste pour le corps de l’individu que pour le « corps social ».

La législation contemporaine française sur les stupéfiants a été promulguée le 31 décembre 1970 dans une logique de retour à l’ordre après mai 68. Elle prend en vue « le cannabis, la plante et sa résine, les préparations qui en contiennent ou sont obtenues à partir du cannabis, de sa plante ou de sa résine ». Pourtant les législations sur le tabac et l’alcool et les stratégies de lutte contre leur consommation ont montré leur relative réussite dans le même temps.

Légaliser le cannabis

La France est pourtant un pays où la consommation de cannabis est la plus élevée. Le discours et les politiques répressives traduisent donc l’impasse d’une pensée politique ou l’hypocrisie à son endroit. Les policiers ne doivent plus se perdre dans une lutte sans fin, faisant d’eux des Don Quichotte de la résine. Les priorités et le sens profond de leur profession sont ailleurs. Une politique publique responsable et raisonnable repose sur une légalisation du cannabis. Elle doit mêler prévention, contrôle de la vente et lutte contre les réseaux mafieux.

Cette légalisation du cannabis peut être faite de manière progressive en lien avec des acteurs sociaux, associatifs et des services spécialisés sur les thématiques d’addiction et de santé publique. L’encadrement par l’État de la vente permettra de démanteler les réseaux illégaux et de vérifier la qualité des produits. Certaines des sommes pourront être consacrées à l’accompagnement des personnes, l’embauche de personnel dans les services d’accueil et les politiques de prévention, dans la même logique des actions contre la consommation d’alcool ou de tabac. Les forces policières et administratives pourront également être redéployées vers le démantèlement des réseaux, en se concentrant sur les têtes et non pas sur les petits revendeurs. À cette vente et cette production sous l’égide de l’État, l’auto-production sera autorisée et encadrée.

Dépénalisation de la consommation des autres substances

Les polémiques sur les drogues ne s’arrêtent pas au cannabis, en témoigne par exemple la médiatisation et l’échec des politiques concernant le crack à Paris, entre Stalingrad et Porte de La Chapelle. L’ouverture de salles de consommation à moindre risque est une bonne solution sanitaire. « Les débats sur les drogues sont le plus souvent dominés par le registre de l’émotion, du clivage et des oppositions caricaturale », expliquent Jean-Maxence Granier et Marie Jauffret-Roustide dans la revue Esprit : Repenser la politique des drogues » (2017). Il ne s’agit pas ici d’adopter une approche qui consisterait à nier l’addiction et les effets néfastes sur la santé, mais de repartir de l’histoire des consommateurs pour les accompagner dans une sortie de ces comportements.

L’alcool tue 40 000 personnes par an et génère de la dépendance et trouble les comportements. Le tabac est également à l’origine d’addictions et de 73 000 morts par an. Selon l’Agence du médicament, la cocaïne a tué 44 personnes en 2015 et ne suscite pas de dépendance d’ordre physique. L’image des drogues dites dures ou douces est ainsi un sujet socialement construit. Les discours répressifs ciblent en réalité les personnes en marge, parfois issues de l’immigration ou sans domicile. L’hypocrisie éclate quand il s’agit d’oublier les autres drogues dites « dures » comme, par exemple, la cocaïne dont la consommation est esthétisée dans la culture des dominants, à l’image des valeurs individuelles et conquérantes de la société néolibérale.

Dépénaliser cherche à inverser le traitement et la perception du consommateur. Ce changement de paradigme a même fait ses preuves. L’exemple du Portugal étant à ce titre le plu éloquent. En 2001, les autorités portugaises ont fait le choix de décriminaliser la consommation des drogues, ce qui n’exclut pas la condamnation des trafiquants. Le pays comptait près de 100 000 héroïnomanes en 1999, un chiffre divisé par deux en quelques années. De même, le nombre de personnes touchées par le VIH ou mourant suite à une prise de drogue a diminué. Lorsque quelqu’un est contrôlé, il est accompagné et non sanctionné. Le succès d’une politique contre la consommation s’appuie sur tryptique : Prévention, soin et réinsertion, réduction de l’offre.

Marion Beauvalet et Boris Bilia


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