Régionales et départementales : révélations sur de « faux électeurs » à Toulon

samedi 25 décembre 2021.
 

Lors des élections régionales et départementales, les candidatures de Renaud Muselier (ex-LR) et de Michel Bonnus (LR) ont réuni dans un bureau de vote toulonnais plus de 85 % des suffrages au second tour. Au cours d’une enquête de plusieurs mois, Mediapart a rencontré des habitants qui, d’après les registres électoraux, ont voté. Mais qui nous expliquent, éléments de preuves à l’appui, ne s’être jamais rendus aux urnes. Renaud Muselier dit tout ignorer de l’affaire. Michel Bonnus et le maire de Toulon Hubert Falco ne nous ont pas répondu.

Dans le quartier populaire de la Beaucaire à Toulon (Var), avec plus de mille inscrits, le bureau 37 est le plus important. Selon les résultats officiels des élections des 20 et 27 juin 2021, le taux d’abstention du bureau 37 a oscillé entre 66 et 72 %. La liste conduite aux régionales par Renaud Muselier y a réalisé un score exceptionnel, en réunissant 71 % des voix au premier tour, puis 85 % au second. Quant au sénateur Bonnus, ses résultats furent plus brillants encore pour les départementales. Dans ce même bureau 37, Michel Bonnus a recueilli 76 % des suffrages exprimés au premier tour, puis 87 % au second. Une performance sans égal.

Mis en alerte par un précédent scrutin problématique qui vient de déboucher sur un dépôt de plainte, nous avons procédé à une analyse minutieuse des listes d’émargement du bureau 37 pour le premier et le second tour des deux scrutins. Pour ces quatre cahiers, le nombre total de votants oscille entre 287 et 350 personnes. Gribouillis grossiers, signatures différentes entre les élections régionales et départementales, ou entre le premier et le second tour… Parfois, pour une seule personne, nous avons identifié quatre signatures distinctes. Cette étude nous a permis d’isoler un groupe de 72 électeurs présentant des signatures illogiques.

près quoi, pendant plus de trois mois, nous avons arpenté les rues de la Beaucaire, gravi les étages des immeubles des cités toulonnaises, frappé aux portes de ses habitants. Au terme de cette recherche, nous avons pu identifier au moins quinze personnes avec des signatures incohérentes apparaissant au niveau de leurs noms sur les cahiers d’émargement.

À chaque fois, ces personnes dont l’identité a été usurpée ou leur premier cercle nous ont affirmé qu’elles n’avaient pas pris part aux opérations de vote de juin 2021. Qu’elles ne s’étaient pas rendues au sein de l’école maternelle La Beaucaire, un petit édifice de béton jaunâtre agrémenté de quelques oliviers au sein d’un quartier construit en 1969 dans la banlieue ouest de Toulon pour faire face à l’afflux des rapatriés d’Algérie et loger les fonctionnaires des différents corps de l’État. Un quartier qui compte aujourd’hui quelque 4 000 habitants.

Trois mères au foyer, une vendeuse, une assistante dentaire, une aide à domicile, un réparateur de bateaux, un électricien et six autres personnes sans emploi ont accepté de répondre à nos questions, de consulter les listes d’émargement, de nous confirmer leur non-participation aux opérations de vote, et de nous présenter leur pièce d’identité. À une seule condition : que leur patronyme ne soit pas mentionné dans cet article. « J’habite à la Beaucaire depuis longtemps et je sais comment ça fonctionne ici, nous confie Maryam*, qui fait partie de ces « faux électeurs ». Je veux rester anonyme car je n’ai aucune confiance dans les gens qui tiennent ce quartier. De quoi ai-je peur ? Eh bien, je n’ai tout simplement pas envie de voir ma voiture brûler. »

Huit personnes ont cependant attesté par écrit qu’elles étaient prêtes à témoigner devant la justice dans l’éventualité où une plainte serait déposée contre Mediapart à la suite de la publication de cet article.

À chaque rencontre avec une personne dont la signature a été travestie, la même scène se joue. Tout d’abord, les personnes expriment leur inquiétude en apprenant l’objet de notre venue. « Vous voulez dire que l’on a usurpé mon identité ? », s’affole Khadija* en entrebâillant la porte de son appartement.

Après la découverte des gribouillis sur les listes d’émargement, l’inquiétude se mue en stupeur. « Je suis formelle, aucune de ces quatre signatures n’est la mienne », nous assure Marie* en nous présentant son véritable paraphe sur son passeport et son permis de conduire. « Contrairement à ce qu’indiquent ces listes, je n’ai voté ni au premier, ni au deuxième tour de ces élections : je ne vis plus à Toulon mais dans le nord de la France », continue-t-elle.

« J’ai été opéré d’un kyste il y a quelques mois, je peux à peine marcher, nous explique pour sa part Benjamin* en boitillant devant la table de sa salle à manger recouverte de compresses et de médicaments. Aider ma mère à faire les courses est déjà compliqué pour moi, alors vous pensez vraiment que je vais aller voter pour des élections ? Qui étaient les candidats ? »

Assise sur le canapé de son salon aux côtés de ses enfants, Fatima* fouille dans ses souvenirs et la mémoire de son téléphone. « Mais, enfin ! Je n’ai pas pu voter le 27 juin, j’étais à l’autre bout du département avec mon mari et mes petits ! », se souvient-elle en nous montrant ses photos de vacances, ainsi qu’une attestation de réservation nominative dans un camping du Var.

« J’ai souvent entendu dire que l’équipe en place avait des pratiques plus qu’inhabituelles lors des élections dans le quartier, mais je n’ai jamais vraiment su si c’était des rumeurs ou si c’était vrai. Maintenant, je sais que c’est la vérité », nous confie Marthe*, locataire d’un appartement dans l’une des tours HLM de la cité.

Enfin, la plupart des personnes éprouvent un sentiment de colère et d’indignation. « Mon abstention est délibérée, et elle ne regarde que moi, s’insurge Fatima*. Elle s’explique parce que je ne me retrouve plus dans l’offre politique. »

« De tels agissements, ce n’est pas la République, ce n’est pas la France ! », s’étrangle Yasmine*, jeune femme originaire du Maghreb ayant obtenu récemment la nationalité française. « C’est un viol de la souveraineté des citoyens. C’est inadmissible ! », renchérit la mère de l’une des victimes.

L’une des personnes concernées par ces faits a accepté de témoigner sous sa véritable identité. Il se nomme Kamel Melhaa, il est caporal-chef de l’Armée de terre. Né en 1989 en Algérie, naturalisé français à l’âge de 18 ans, cet ancien chasseur alpin a combattu au nom de la France au Mali. La barbe noire finement taillée, il analyse d’un regard sévère les listes d’émargement que nous lui présentons.

Pour le second tour des élections régionales et départementales, un gribouillis est posé devant sa signature. « Ma signature n’a rien à voir avec ça !, nous déclare-t-il, indigné. Le 27 juin 2021, je suis resté chez moi afin de m’occuper de ma fille. » Avant d’ajouter : « Quand je pars en opération extérieure, je risque ma vie pour la France, je me bats pour notre pays. Que des médiocres aient pu violer mon droit de vote dans le seul intérêt de politiciens, cela me dégoûte et provoque en moi une grande colère. »

Comme d’autres électeurs du bureau 37 que nous avons rencontrés, M. Melhaa nous a déclaré qu’il avait l’intention de déposer plainte pour usurpation d’identité, faux et usage de faux.

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