Plaidoyer d’un fossoyeur de la gauche

mercredi 22 décembre 2021.
 

Ceux qui s’opposent à l’Union seraient des fossoyeurs de la gauche qui devront répondre de leur attitude criminelle lorsqu’on se réveillera groggys au lendemain du 1er tour de la présidentielle. À force d’entendre des mots si forts et blessants de par leur portée culpabilisatrice je me dois de leur répondre. Car j’en suis. Un fossoyeur mais de ceux qui plaident coupable. Voici ma plaidoirie.

On ne peut y échapper. A gauche, solution pour gagner serait dans l’Union (j’utilise la majuscule totémique à dessein). Et l’Union quant à elle passe par une primaire où tout le monde soutiendrait le vainqueur ce qui nous amènerait à une addition des voix, une dynamique positive et enfin...une chance de gagner. Ceux qui s’y opposent et même ceux qui y sont indifférents seraient des fossoyeurs de la gauche qui devront répondre de leur attitude criminelle lorsqu’on se réveillera groggys au lendemain du 1er tour de la présidentielle. A force d’entendre des mots si forts et blessants de par leur portée culpabilisatrice je me dois de leur répondre. Car j’en suis. Un fossoyeur mais de ceux qui plaident coupable. Voici ma plaidoirie.

Commençons par une question. Imaginons que je fonde un parti qui prône l’abolition du capitalisme et que je fasse des appels en faveur d’une primaire de la droite (et du centre, soyons inclusifs). Aurais-je la moindre crédibilité ? J’imagine et j’espère que votre réponse est non. (pour ceux qui auraient répondu oui vous pouvez arrêter la lecture une fois cette parenthèse refermée)

Nous voilà donc entre gens raisonnables. Entrons au cœur du sujet où nous risquons de nous rendre compte que le choix de poser une question préliminaire au contenu aussi absurde n’était pas incohérent.

Nous avons ainsi des membres d’un parti appelé "socialiste" qui a gouverné pendant 5 ans il n’y a pas si longtemps que cela et qui a mené une politique néolibérale détruisant les conditions de vie et de travail, surtout des plus pauvres et précaires. Un parti qui a œuvré à satisfaire les exigences du Medef au niveau fiscal sans demander aucune contrepartie (ou alors gentiment, pour la forme devant les caméras). Qui a aussi ignoré les protestations des salariés en grève en usant du 49-3. Qui a aussi surfé sur des positions d’extrême droite qui se sont heurtées au mur de la constitution. Et qui avait confié le ministère de l’économie à un talentueux banquier de chez Rotschild.

Le quinquennat du PS vendu un soir au Bourget sous l’emballage trompeur d’ennemi de la finance s’avéra finalement être celui de la loi El Khomry, du CICE, du 49-3, de Valls, de la déchéance de nationalité et de la création de Macron lui-même. Nous nous limitons là aux activités récentes de ce parti mais en remontant dans le temps nous n’y verrions qu’un déplacement constant vers le néolibéralisme depuis 1983. Malgré tout, il revendique toujours son étiquette "Gauche". Pour se placer au-dessus de la mêlée des autres partis de gauche il accole volontiers à cette étiquette divers qualificatifs qui donnent une gauche : pragmatique, de gouvernement voire républicaine. Il essaie souvent de montrer ses intentions de gauche mais il s’avère malencontreusement que c’est toujours lorsqu’il est dans l’opposition. Même si là aussi il lui arrive de serrer les rangs avec la droite classique lorsque le moment est jugé assez important pour arrêter la mascarade. Nous avons pu voir à l’œuvre un de ces coming out néolibéraux lors de sa campagne en faveur du oui en 2005.

Après ce quinquennat sans ambiguïtés ce parti avait même eu le culot d’organiser une primaire affublée de l’adjectif "citoyenne" lors des élections de 2017. Les participants à celle-ci avaient signé un engagement sur l’honneur disant soutenir le vainqueur de ladite primaire. On sait ce qu’il en a été pour M Valls et M de Rugy. Et de M Hamon lui-même au final. Mais ce qui a été présenté comme un retournement de veste et une trahison de la part des deux premiers n’est que cohérence et signe d’une bonne santé mentale. En effet, M Valls ayant exactement les mêmes idées que M Macron et n’en ayant que peu en commun avec celles proposées par M Hamon il aurait été totalement incompréhensible d’un point de vue de cohérence politique de le voir soutenir ce dernier. Si nous rajoutons à cela l’ambition personnelle nous ne pouvons plus nous étonner de ce ralliement. Concernant M de Rugy nous pouvons sans hésitation proposer la même explication mais en nous limitant à l’ambition personnelle.

Ce qui était complètement incohérent est donc cette primaire en elle-même. Et cette incohérence primitive ne pouvait donner un spectacle autre que celui qui nous avait été offert.

Aujourd’hui nous avons donc des personnes de ce même parti qui tentent exactement le même coup en plus malhonnête. Des gens qui ont fait l’inverse de ce qu’ils avaient promis en 2012, qui usurpent encore et toujours le mot "gauche", qui ont montré par l’exemple l’aberration du concept de la primaire organisée entre des personnalités que n’unit rien d’autre que la soif de victoire et de pouvoir, qui aujourd’hui ne proposent aucun programme concret... ces gens aimeraient rassembler la gauche !

Pire : accusent ceux qui ne se plient pas à leurs absurdités d’être les fossoyeurs de la gauche.

Que proposent Mme Hidalgo et M Montebourg ? Ils sont dans leur séquence d’opposant, donc de gauche, ne l’oublions pas. Mais rien de bien précis ni de concret. Stratégie bien pratique. Celui qui nous soumet tous à ses désirs et que le PS a si bien su choyer au détriment des classes laborieuses (voir ci-dessus) est tel Voldemort : son nom ne sera jamais prononcé. C’est qu’on veut bien être de gauche mais on ne veut surtout pas créer du conflit. Dans le monde merveilleux de la social-démocratie on est lisse. On n’aime pas les rugueux. Les rugueux on les qualifie volontiers d’"extrêmes". Les grévistes, les manifestants, les déchireurs de chemises : en voilà de dangereux extrémistes. Ceux qui considèrent le capitalisme comme un problème en ont un : machinalement sont ressortis les arguments repoussoirs des kolkhozes et des dictatures. C’est très fin on vous dit. Le capitalisme néolibéral, lui, n’est pas extrême. D’ailleurs il n’est même pas présent dans les discours car sa présence est juste une évidence. Et toutes ses conséquences désastreuses sont des choses que l’on regrette et qu’on propose d’atténuer. Jamais de les éliminer.

L’extrême pauvreté et la misère gagnent du terrain. Leur corollaire, l’extrême richesse, permet à ses bénéficiaires de dominer tous les champs de nos existences et de nous expliquer à travers leurs porte-paroles médiatiques et politiques (dont nos socio-démocrates font partie) que si nous nous trouvons dans la première catégorie, celle des dominés, c’est entièrement notre faute car méritocratie, égalité de chances, ascenseur social etc. Le capitalisme pipe les dés sous nos yeux et ses représentants exigent de nous notre adhésion totale à ce jeu de dupes. Les récalcitrants, au lieu d’être qualifiés de ce qu’ils sont : des sains d’esprit, sont au contraire traités de dangereux utopistes.

Revenons-en à Mme Hidalgo et M Montebourg. Pour juger de la pertinence d’une proposition on peut utiliser la technique du changement de locuteur. Demandons-nous laquelle des propositions pourrait ne pas être tenue par M Macron ou un de ses ministres. Mme Hidalgo souhaite que les salaires augmentent. Ça tombe bien, M Blanquer aussi souhaitait cela pour les enseignants, parlant même d’une revalorisation "historique" pour ces derniers. Mme Hidalgo propose pour cette mesure la création d’une "conférence sur les salaires". Ça retombe très bien puisque M Blanquer a usé de la même stratégie en lançant le Grenelle de l’éducation duquel est sortie une destruction des conditions d’enseignement mais aucune revalorisation pour une majorité d’enseignants (et quelques miettes pour d’autres, mais des miettes historiques qui brillent par l’historicité de la duperie). Ainsi, rien de mieux qu’une promesse de "conférence" ou de "commission" pour ne pas respecter la promesse initiale. Il en est de même pour la majorité d’autres propositions : un "plan Marshall pour l’hôpital" (coucou le Ségur de la santé), la création d’une "assurance chômage universelle" dont nous n’aurons pas même les contours , ou encore quelques "priorités nationales" dont les anguilles politiciennes sont friandes. Les quelques propositions plus concrètes seront certainement celles qui seront sacrifiées au nom du "pragmatisme" et des "conjonctures économiques". On connait la chanson.

Le cas de M Montebourg est encore plus simple : lui est tellement de gauche qu’il a malencontreusement fait une proposition d’extrême droite en voulant interdire les transferts d’argent des travailleurs pauvres vers leurs familles encore plus pauvres pour les aider à survivre. C’est ce qu’on appelle ratisser large. Mais ce n’est pas ce qu’on devrait appeler être de gauche.

C’est donc ainsi qu’Anne et Arnaud font trembler le capital. Mais qu’en est-il des verts, autre composant potentiel de cette Union de gauche ? Le parti EELV est multiple et le moins que l’on puisse dire est que son représentant actuel est celui qui se rapproche le plus de socio-démocrates dont on a évoqué les turpitudes ci-dessus. Nous connaissons sa position vis à vis du capitalisme et de l’économie de marché : pour lui aussi il s’agit d’une évidence qu’il ne remettra jamais en question. Quitte à sombrer dans l’incohérence.

Voyons ce qu’il déclarait en 2019 : "L’économie de marché ? Tout le monde est pour l’économie de marché ! Vous voulez que les paysans bio vendent dans les sovkhozes ? Vous voulez l’économie de Maduro ?" Nous voyons bien quel est son logiciel de pensée : la social démocratie sauce PS. Donc : tout d’abord présenter l’économie de marché comme une évidence ("tout le monde est pour"). Puis traiter les éventuels récalcitrants d’apprentis dictateurs (voir plus haut). Mais ses propositions entrent directement en contradiction avec cette vision du capital-évidence lorsqu’on interroge celles-là à la lumière du réel. Voyons ce qu’il disait juste après : "Nous sommes pour une économie régulée où l’économie a du sens, les entreprises ont une vision, ils servent la société, la justice sociale et la lutte contre le dérèglement climatique et l’anéantissement du vivant. C’est notre avenir." Si on observe le fonctionnement réel du capitalisme et pas celui sorti de l’imaginaire lisse de M Jadot nous nous devons de constater le caractère contradictoire des propos de ce dernier.

En effet, il est pour une "économie régulée" alors que le désir du capital est l’abandon des règles appliquées des Etats à lui-même. Les seules règles qu’il réclame sont celles appliquées sur les populations laborieuses pour qu’elles suivent les règles du capital lui-même. Ainsi dans les moments de crise il s’agit par exemple de sauver les banques par de l’argent public et d’en imposer les conséquences en termes d’austérité aux classes laborieuses. Ensuite il y a cette économie qui "a du sens". C’est oublier que l’unique sens que reconnait le capital est celui de son expansion illimitée quelles qu’en soient les conséquences par ailleurs. Tout autre sens s’appelle récession et c’est le mal absolu. Pour ce qui est de servir "la société, la justice sociale et la lutte contre le dérèglement climatique et l’anéantissement du vivant" il faudrait pour cela justement placer ces choses au-dessus des profits dans l’ordre des priorités. Placer par exemple la lutte contre le dérèglement climatique au-dessus des profits dans l’ordre des priorités serait se déclarer prêt et déterminé à éliminer ceux-ci lorsqu’ils entrent en conflit direct avec celle-là. Or, lorsqu’on commence par poser l’existence de l’économie de marché capitaliste comme un préalable, comme une évidence intouchable (sinon les sovkhozes !) comment est-il possible d’instaurer un rapport de forces assez important pour imposer nos priorités sur celle du capital ? En demandant gentiment ou en fronçant les sourcils ?

Car c’est peut être ça être de gauche aujourd’hui : être déterminé à imposer des priorités en créant un rapport de forces. En disant d’emblée qu’on n’ira pas jusqu’au bout on ne fait que feindre un rapport de forces. Et on voit bien le résultat de la présence des écologistes tendance Jadot dans différents gouvernements depuis plus de 30 ans : la tiédeur face au réchauffement climatique et à la destruction des sols. Même le glyphosate n’a toujours pas été interdit. Alors les gaz à effet de serre et autres joyeusetés, n’y pensez même pas. Nous en avons pourtant eu des ministres verts.

Vu comme ça, la seule chose vraiment cohérente est leur capacité à retourner la veste et à participer à des gouvernements ouvertement de droite (comme d’ailleurs les socio-démocrates). Rien d’étonnant donc d’avoir vu défiler les Hulot, Pompili, de Rugy aux côtés des Le Drian, Dussopt ou Castaner dans les différents gouvernements du quinquennat Macron. Ils sont bien chez eux. Passer de la droite complexée (© F. Lordon) à la décomplexée doit tout de même être reposant pour l’esprit.

Nous voyons donc bien l’écart qu’il y a entre tout ce flou et par exemple le programme Avenir en commun de la France Insoumise. Celui-ci est autrement plus détaillé, chiffré, précis. Et déterminé en ce qu’il désigne clairement l’adversaire.

Car être flou permet juste de ne rien faire à part se donner la possibilité de berner. Avoir un ennemi sans visage n’engage à rien, surtout lorsqu’on s’apprête à mener une politique au service de celui-ci. Comment imaginer que ces gens qui pourfendent le néolibéralisme tous les 5 ans pour mieux le cajoler les 4 années restantes pourraient sérieusement mener une campagne pour l’Avenir en commun en cas de sa victoire lors d’une primaire ?. Et surtout l’appliquer ensuite ?! La présence d’une Anne Hidalgo au sein du parlement populaire de la France Insoumise par exemple pourrait à juste titre être perçue comme un manque de cohérence et même d’honnêteté intellectuelle de ce dernier. La France Insoumise avait commis la même erreur lors des européennes en offrant une place éligible à Emmanuel Maurel au détriment de personnalités moins médiatiques mais certainement plus cohérentes. D’ailleurs, M Maurel est cohérent avec sa floutitude puisqu’il soutient actuellement M Montebourg.

Si j’avais un reproche à faire à la France Insoumise ou au Parti communiste ce serait cette tendance à être fébrile dans les moments électoraux. Passer des alliances contre-nature avec des gens sans cohérence ou sans colonne vertébrale. Puis peut être d’inverser le discours sur les migrants. En effet, le discours insoumis est remarquablement constant sur ce sujet lorsqu’il vient sur le tapis : on commence tout d’abord par dire que la priorité sera de tout faire pour que ces gens restent chez eux (en arrêtant les guerres, en dénonçant les traités inégalitaires qui créent de la misère etc) puis dans un deuxième temps on précise que si les gens viennent malgré tout chez nous il s’agira de les accueillir dignement. Je suis d’accord avec ces deux propositions mais pas avec leur ordre d’exposition. Leur inversion serait salutaire et clarifierait le discours. Et tant pis pour les rageux.

Tenir bon sur les principes. Sur des propositions claires et le chemin prévu pour parvenir à les appliquer. Alors les insoumis, vous n’avez pas le droit de céder ni de vous perdre dans les diversions variées concoctées par des laquais du capital. Le désespoir et la défiance sont si grands que pour faire déplacer les foules jusqu’aux isoloirs tout flou et toute tiédeur sont à bannir. La qualité et la clarté de l’Avenir en commun vous empêcheront de jouer aux socio-démocrates une fois arrivés au pouvoir. A ce moment-là, l’attente sera immense et le travail ne fera que commencer.

Car, disons-le : l’Avenir en commun n’est pas une fin en soi. Il n’est qu’un détonateur. Il enlèvera des œillères, ouvrira le champ des possibles, nous montrera des dominations, humiliations et dépossessions subies depuis si longtemps nous ayant rendus aveugles et impuissants. Retrouvant nos sens, notre puissance grandira et les désirs d’aller encore plus loin ne tarderont pas. L’appétit venant en mangeant, toutes les dominations nous crèveront les yeux et les sens et la volonté de s’en débarrasser pour construire une société réellement humaine, solidaire, coopérative ne fera que grandir. Nous chercherons à aller plus loin, le plus loin possible de toute sorte de domination et de dogmes du profit déshumanisant. Ce chemin-là est collectif. Nous serons là pour le tracer. Comptons sur nous.

Jadran Svrdlin

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