“Va en enfer, Shell !” : tollé en Afrique du Sud contre un projet du géant pétrolier

mercredi 15 décembre 2021.
 

Plusieurs organisations sud-africaines appellent au boycott de la société pétrolière. Cette dernière a mené des opérations d’exploration sismique pour identifier d’éventuelles réserves de gaz ou de pétrole dans une zone sous-marine préservée, le long des côtes qui bordent l’océan Indien.

“Go to hell, Shell !” (“Va en enfer, Shell !”) En Afrique du Sud, ce slogan est devenu le cri de ralliement des opposants à un projet de prospection sismique porté par le géant pétrolier anglo-néerlandais. Le site d’investigation sud-africain Ground Up rapporte ainsi qu’une pétition a déjà rassemblé plus de 400 000 signatures pour protester contre l’opération, censée débuter prochainement le long de la Côte Sauvage (Wild Coast). La zone, qui borde l’océan Indien, est l’un des espaces marins les plus préservés des côtes sud-africaines.

“La Wild Coast est l’une de nos bandes côtières les plus riches et les plus sensibles”, écrit ainsi la biologiste sud-africaine Nadine Strydom dans une tribune publiée par le Daily Maverick. Quatre réserves s’étendent dans ces fonds marins à proximité de l’endroit où doit se dérouler l’opération. Les opposants au projet dénoncent la méthode d’exploration, qui consiste à identifier d’éventuelles réserves de gaz ou de pétrole en sondant les profondeurs à l’aide d’un canon à air comprimé.

Citant la coalition d’opposants, le Mail & Guardian expliquait à la mi-novembre que le procédé implique d’envoyer “des ondes de choc extrêmement bruyantes”, capables de pénétrer la croûte terrestre sur 40 kilomètres. “On parle d’un bruit massif”, explique Janet Solomon, membre de l’organisation Oceans Not Oil, citée par l’hebdomadaire :

“C’est l’équivalent d’un vaisseau spatial qui décolle.”

Or les animaux marins “sont très sensibles au bruit”, explique le scientifique Kevin Cole du musée d’East London, dans le Mail & Guardian :

“Les poissons et les mammifères dépendent du son pour communiquer avec d’autres membres du groupe ou avec les jeunes, pour trouver de la nourriture, pour se reproduire, éviter les prédateurs et les dangers, naviguer et percevoir leur environnement.”

Les ondes de choc peuvent ainsi blesser les animaux et perturber leur comportement en matière de reproduction ou d’alimentation, assurent les opposants.

Baleines, dauphins, requins, pingouins et phoques fréquentent en nombre la Côte Sauvage. Les inquiétudes sont particulièrement vives pour les cétacés, dont le changement de comportement induit par le bruit implique “une modification du temps de plongée et du temps passé à la surface, ainsi qu’une perte d’énergie passée à se déplacer sur de larges distances pour s’éloigner du bruit”, poursuit Kevin Cole.

Quelle protection pour les baleines ?

Porte-parole de Shell, Pam Ntaka défend la compagnie, dans le Mail & Guardian, en assurant que le projet s’appuie sur les meilleures recommandations internationales en matière de préservation de l’environnement dans le cadre d’opérations de ce type. L’exploration doit ainsi avoir lieu en dehors de la période de migration de certaines espèces de baleines – mais pas toutes. La compagnie prévoit également de veiller à ce qu’aucune baleine ne se trouve à proximité du canon à air comprimé au cours des opérations. Une mesure dérisoire, estiment les opposants, qui soulignent que le son se propage sur de très longues distances.

La coalition d’opposants au projet a lancé un appel au boycott de Shell. En protestation, l’un des distributeurs de la compagnie en Afrique du Sud, Express Petroleum, a par ailleurs annoncé qu’il rompait les liens avec la société pétrolière et que ses stations essence n’arboraient plus le logo de Shell à l’avenir, rapporte le Daily Dispatch.

Le vendredi 3 décembre, un recours juridique déposé par quatre organisations de défense des droits de l’homme et de l’environnement, visant à suspendre le projet, a été débouté. Le juge a estimé que les plaignants n’avaient pas fourni assez de preuves des dommages susceptibles d’être infligés à la faune sous-marine. “Il existe certaines données dans des études internationales, mais le danger d’une telle recherche par les biologistes empêche de collecter des informations”, explique Nadine Strydom dans le Daily Maverick.

Contribuer à la sécurité énergétique ?

La bataille n’est pas finie pour autant. La veille du jugement, un autre recours a été déposé par une coalition de résidents, de chefs traditionnels et de pêcheurs, rapporte News24. Les pêcheurs, notamment, sont inquiets des répercussions économiques de l’opération, alors que l’exploration doit avoir lieu au pic de la saison de pêche, dans une zone qui sert de réserve de nourriture à de nombreuses espèces. La coalition attaque cette fois la compagnie sur le plan administratif en assurant que Shell ne dispose pas de toutes les autorisations nécessaires pour mener l’exploration.

Sur son site Internet, la compagnie pétrolière défend le projet en soulignant que la découverte de ressources énergétiques pourrait “contribuer significativement à la sécurité énergétique de l’Afrique du Sud et aux programmes de développement économiques du gouvernement”, note Ground Up. Dépendante à plus de 80 % du charbon, l’Afrique du Sud prévoit effectivement de se tourner vers le gaz afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Dysfonctionnelle, la compagnie nationale d’électricité est par ailleurs régulièrement contrainte de plonger une partie de l’Afrique du Sud dans le noir faute de pouvoir répondre à la demande.

Si la sécurité énergétique de l’Afrique du Sud est une vraie question, le militant environnemental Alex Lenferna soutient, dans une tribune publiée par le Daily Maverick, que le projet d’exploration montre la nécessité d’“en finir avec les énergies fossiles quelles qu’elles soient et de se tourner rapidement vers un avenir plus juste sur les plans social et écologique, alimenté par les énergies renouvelables”.

Mathilde Boussion

Courrier International

- 


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message