Les régimes spéciaux en boucs émissaires

vendredi 14 septembre 2007.
 

Retraite. Les déclarations du premier ministre, dimanche, ont provoqué une levée de boucliers chez les syndicats et à gauche. La mise en cause des retraites des entreprises publiques prépare l’offensive contre le régime général prévue en 2008.

En quatre mois, c’est une première : par ses déclarations, dimanche, menaçant de faire passer en force une « réforme » des régimes spéciaux de retraite, François Fillon a réussi à susciter le plus vaste concert de protestations depuis l’arrivée de Sarkozy aux commandes de l’État. La réforme « est prête », le gouvernement n’attend plus que « le signal » du président de la République pour entamer des négociations sur le sujet, avait annoncé le premier ministre. Ajoutant qu’elle peut « être réalisée dans les prochains mois » et qu’il n’était « pas certain qu’il y ait besoin d’un texte législatif ».

Vieille rengaine de la droite

CGT, CFDT, FO, CFTC, UNSA, SUD, l’ensemble des syndicats, par-delà des différences d’approche du dossier, ont très vivement réagi. Sur l’échiquier politique, la gauche a elle aussi donné de la voix, avec des tonalités toutefois sensiblement différentes (voir articles ci-contre). La bataille des retraites est bel et bien engagée. Loin de chercher à arrondir les angles des propos de son « collaborateur » Fillon, le chef de l’État, depuis l’Allemagne où il était hier en visite, a enfoncé le clou : « J’ai été élu pour mettre en oeuvre des réformes profondes, pour moderniser la France, et ces réformes se feront. J’ai un rendez-vous très précis le 18 septembre, ce jour-là, je dirai ce qu’il en est. » Le rendez-vous en question est un forum de journalistes de l’information sociale, devant lequel le président doit prononcer un discours qui, dit-on, serait chargé en annonces de politique sociale.

La stigmatisation des régimes spéciaux, présentés comme des privilèges, est une vieille rengaine de la droite. Sa relance, aujourd’hui, relève de la tactique, en vue du grand rendez-vous prévu en 2008 sur l’ensemble des retraites. Au nom de l’égalité, il s’agirait, selon Fillon, « d’aligner les régimes spéciaux sur celui de la fonction publique ». En clair, les cheminots, les électriciens et gaziers, les agents de la RATP devraient accepter d’abandonner des avantages liés, notamment, à la reconnaissance de la pénibilité des métiers. La durée de cotisation requise pour bénéficier d’une pension à taux plein serait ainsi allongée de deux ans et demi, de 37,5 ans à 40 ans. Les fonctionnaires ayant été eux-mêmes « alignés » sur le régime du secteur privé par la réforme Fillon de 2003.

Une fois les régimes spéciaux ainsi « normalisés », le gouvernement serait mieux à même, calcule-t-il, de justifier les nouveaux « efforts » qu’il s’apprête à réclamer aux assurés des régimes du secteur privé et de la fonction publique. Le premier ministre a déjà claironné son intention de programmer, en 2008, un nouvel allongement de la durée de cotisation pour tous, à 41 ans en 2012. De son côté, le MEDEF, à qui, on l’a vu, Nicolas Sarkozy est prêt à tout céder, a affiché son objectif de faire sauter carrément la garantie de l’âge légal de la retraite, 60 ans aujourd’hui, pour le reporter à 62 ans. D’autres mesures austères, touchant au mode de calcul de la pension pour en faire baisser le niveau, sont aussi envisagées.

Faire croire que les sacrifices exigés des régimes spéciaux permettraient de résoudre le déficit du régime général relève de la plus pure supercherie. Les « économies » ainsi envisagées sont sans commune mesure avec les besoins de financement de la Caisse vieillesse de la Sécu.

Un déficit bien réel

En revanche, la problématique de l’égalité entre assurés des divers régimes n’est pas une vue de l’esprit. Mais tout est affaire d’approche : s’agit-il de liquider les spécificités des régimes spéciaux, conçues, et vécues, très largement, comme contreparties à la pénibilité des métiers dans les entreprises publiques concernées, ou bien de s’en inspirer pour réformer les autres régimes ? Pour mémoire, bien que prévue par la loi Fillon de 2003, la négociation sur la prise en compte de la pénibilité dans le régime général de la Sécu n’a toujours pas abouti, du fait de l’obstruction patronale et du laisser-faire gouvernemental... Au-delà, la situation déficitaire, bien réelle, de l’ensemble du système de retraite, pose cette question, totalement écartée des débats lors de la campagne présidentielle : quelle part de la richesse nationale est-on prêt à consacrer au financement collectif de la protection sociale ? Question que Fillon cherche, encore une fois, à zapper, en criant haro sur les régimes spéciaux.

Yves Housson


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