De l’économie et de l’histoire à l’écriture romanesque et sociale.

mardi 12 octobre 2021.
 

De l’économie et de l’histoire à l’écriture romanesque et sociale.

De l’économie et de l’histoire à l’écriture romanesque : deux écrivaines influencées par Marx Dominique Manoti et Alice Fermey.

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1 – Dominique Manotti

Source : France Culture. Émission « Entendez-vous l’éco ? »

https://www.franceculture.fr/emissi...

** L’œuvre de Dominique Manotti apparait comme le regard d’une militante, d’une économiste, d’une historienne et d’une écrivaine qui a parfaitement cerné la réalité et les désillusions de notre époque contemporaine. Retour sur le parcours d’une femme engagée pour qui écrire rime avec comprendre.

** ée en 1942, Dominique Manotti, de son vrai nom Marie-Noëlle Thibault, dit s’être tournée vers l’écriture par "désespoir". Reflet des réalités complexes de notre époque, où le marché et le profit semblent avoir annihilé tout espoir de changement de société, son œuvre va aussi devenir son arme pour dénoncer et combattre les désillusions politiques et économiques.

Forte d’une expérience militante précoce, suite à son adhésion à l’UNEF en 1960 et à l’Union des Etudiants Communistes (UEC) l’année suivante, Dominique Manotti représente cette jeunesse politisée et prête à prendre part à l’ensemble des combats portant sur la défense de la dignité et de la solidarité humaine. C’est par le militantisme politique que la future écrivaine découvre l’économie, au travers des lectures de Marx, qui a radicalement modifié sa vision des rapports sociaux, mais aussi de Smith ou de Ricardo.

Le Capital [de Marx] reste la colonne fondatrice. Il s’agit, pour moi, du moment où je me dis que je peux comprendre le fonctionnement de la société. Jusqu’alors, j’étais principalement dans la rébellion, dans la fureur en quelque sorte. Mais tout d’un coup, je commençais à comprendre le pourquoi et le comment des choses. [...] Il s’agit véritablement d’un système intellectuel qui est en même temps une porte ouverte pour l’action. Ce n’est pas purement de la pensée. Il s’agit d’une pensée qui donne les moyens d’agir. Dominique Manotti

En 1968, passionnée d’histoire économique contemporaine, elle décide d’initier une thèse autour des politiques de nationalisation des chemins de fer au XIXème siècle, qui lui permet de décortiquer, de pleinement prendre conscience des liens fondamentaux entre public et privé, économie et politique.

Cependant, l’élection de François Mitterrand en 1981 constitue un tournant pour Dominique Manotti, notamment dans son rapport à l’action politique et au niveau de ses convictions profondes autour des capacités transformatrices que peuvent avoir les individus au sein de la société. Pour l’autrice, l’espoir suscité par l’élection du premier Président socialiste au sein de la population marque la fin de la véritable lutte sociale, de la volonté de changer les choses au travers de la société civile, étant donné qu’il conduit à un alignement général en faveur de l’engagement politique institutionnel classique, vu comme le seul moyen de peser dans les évolutions de la société, mais qui ne permet, selon elle, que des améliorations superficielles.

J’ai tout de suite vu l’impact de cette élection sur les mouvements sociaux qui ont été en quelque sorte désintégrés. En trois ans [1981-1984], ils ont complètement disparu de la scène politique. Je savais dès le début que Mitterrand allait conduire à cette situation. Son élection a été pour moi la preuve que notre combat n’a pas été compris, étant donné que la population a élu une personne pour qui les mouvements de masse ou les luttes des classes n’ont pas leur place dans l’espace politique. Dominique Manotti

De cet espoir collectif nait un désespoir personnel, de cette aspiration commune nait ce doute subjectif qui va la pousser à prendre la plume et à traduire ses désillusions politiques dans le roman noir, vu comme le meilleur moyen de parler des "ruptures profondes" de son époque. Avec Sombre Sentier en 1995, elle débute ainsi son analyse critique de la société et de ses évolutions économiques au travers d’un style direct, simple et sans fioritures.

J’écris des polars pour essayer de comprendre la société, comment elle va, comment elle marche [...] Ils m’ont aussi permis de m’exprimer à des moments de grandes ruptures, comme celui du ralliement de la gauche au culte de l’argent [dans les années 1980]. [...] Le rôle de la littérature, c’est de secouer. Il faut qu’elle bouge. Il faut qu’elle s’intéresse à ce qui se passe dans le monde. Dominique Manotti

Critique de la financiarisation de l’économie, des stratégies de délocalisation des entreprises avec Lorraine connection (2006) ou des pratiques anti-sociales de certains patrons, les romans de Dominique Manotti sont alors pleinement ancrés dans la volonté de comprendre ce qui anime fondamentalement et profondément la réalité du système économique néolibéral. L’engagement, la dénonciation, la lutte contre les inégalités et les injustices restent donc au cœur du travail de cette autrice qui n’a définitivement pas dit son dernier mot.

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Références sonores Extrait de la scène d’introduction du film LA Confidential, adaptation du livre de James Ellroy, par Curtis Hanson (1997) Extrait de la Bête Humaine de Jean Renoir (1938) Lecture d’un extrait de Nos fantastiques années fric de Dominique Manotti (2001) par Tiphaine de Rocquiny Lecture d’un extrait de la préface d’ Edward Thompson : La formation de la classe ouvrière anglaise (1963) par Tiphaine de Rocquiny Alstom : une affaire d’état, LCP, 11 octobre 2017 Références musicales Choix de l’invitée : Evidence - Thelonious Monk (concert de 1963)

Loosers - Balthazar (2020)

Allah las - P rapport ollar Onions (2019)

** Annexe

on trouve une bibliographie complète dans l’article de Wikipédia Dominique Manotti

https://fr.wikipedia.org/wiki/Domin...

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2 – Alice Ferney

** L’émission de FC « Entendez-vos l’éco » du 7/09/2021 il a consacré une rétrospective à Alice Ferney dont la vie et l’œuvre nous ont paru intéressantes.

On peut écouter l’émission en utilisant le lien suivant :

https://www.franceculture.fr/emissi...

Présentation de l’émission sur le site de FC.

ice Ferney est l’incarnation même d’une "romancière-économiste" qui fait transparaitre, au cœur même de ses œuvres de fiction, une analyse fine des enjeux économiques contemporains liés aux inégalités sociales ou l’accès à l’éducation. Retour sur une poétique imbriquée dans l’économique.

* Née en 1961 à Paris, Alice Ferney, de son vrai nom Cécile Brossollet, garde le souvenir d’une éducation bourgeoise et catholique qui va alors profondément marquer ses premiers rapports au monde et influencera durablement une partie de son œuvre, comme son roman Les Bourgeois (2017) qui décrit ainsi une réalité qu’elle a longtemps côtoyé.

A l’image d’Erik Orsenna [que nous avons reçu jeudi 2 septembre], bien que pleinement imprégnée et animée par la littérature, sa "passion de cœur", elle choisit de suivre des études d’économie, sa "passion de tête", en intégrant l’ESSEC. Bien qu’il ne s’agisse pas pour elle d’une expérience fondamentale, ces années d’études lui ont permis de découvrir les pensées de Marx, Keynes, Rawls ou Sen ; autant d’auteurs qui ont construit et déconstruit sa compréhension du marché, de la famille, des inégalités, de la théorie classique et de la justice.

Je trouve que la lecture de Marx continue à être quelque chose de pertinent aujourd’hui [étant donné que] la critique marxiste considère que l’économie libérale classique, en s’intéressant juste à l’échange en tant que tel, ne s’intéresse qu’à la surface de ce qui se passe, alors qu’il faut interroger les conditions concrètes de l’échange. Alice Ferney

Ressentant de plus en plus en elle un appel de l’écriture, elle décide, en 1982, de concilier son amour des lettres et des phénomènes économiques en s’orientant dans la recherche. Elle rédige alors une thèse à l’EHESS sur l’intégration des femmes sur le marché du travail au regard de la théorie néoclassique de Gary Becker. Ce dernier constitue une lecture fondatrice pour Alice Ferney, étant donné qu’il lui a permis de prendre conscience de la rareté de la division sexuelle du travail et des inégalités qui en découlent dans le champ d’étude économique. A l’issue de sa thèse, elle devient professeure d’économie entre 1987 et 2010.

J’étais féministe et j’étais convaincue que le premier acte féministe que pouvait faire une femme, c’était d’acquérir l’autonomie financière. Je me suis donc dit que j’allais me concentrer sur le travail féminin. A l’époque, il n’y avait pas tellement d’économistes qui travaillaient sur ce sujet, à part Gary Becker qui avait publié un livre qui s’appelait Traité de la famille, et dans lequel il donnait un fondement économique à la division du travail. Or, la division du travail dans la famille était en train d’exploser, étant donné que de plus en plus de femmes entraient sur le marché. Comme il n’y avait pas encore de modèle économique qui expliquait [ce phénomène], je me suis dit que c’était cela qu’il fallait que je fasse. Alice Ferney

La question de la place des femmes au sein de la société et des structures économiques, ainsi que celle des inégalités face à l’accès à l’éducation ou à la culture vont alors nourrir sa littérature, que se soit dans l’Elégances des veuves (1995) ou Grace et dénuement (1997). L’autrice a ainsi façonné un syncrétisme autour de sa vision, de son appréhension de phénomènes sociaux et de sa volonté de décrire le monde par une certaine sublimation des mots. Entre fiction et économie. Entre littérature et sciences sociales.

J’ai découvert les travaux d’une historienne du corps, Yvonne Knibiehler, qui parlait du "syndrome Beauvoir". Elle disait qu’en France, les femmes intellectuelles ne parle jamais de la maternité. Cela serait un sujet tabou, ridicule, interdit. Je me suis donc dit, à ce moment là, que je devais faire entrer la maternité dans le roman. Alice Ferney

Lire Alice Ferney, c’est donc comprendre les liens que l’on peut tisser entre roman et militantisme, expérience littéraire et influences économiques, fiction narrative et réalités sociales. Son œuvre nous plonge donc au cœur des principales problématiques des sociétés contemporaines, intrinsèquement liées à la maternité, aux inégalités de genre, sexuelles et aux questions sociales.

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Références sonores * Lecture d’un extrait du roman Les bourgeois d’Alice Ferney par Aliette Hovine

* Toni Morrison : être mère et féministe, France culture, 3 septembre 2019 https://www.franceculture.fr/emissi...

* Gary Becker sur les liens entre maths, économie et dans une moindre mesure, littérature https://www.youtube.com/watch?v=dCY...)

* “A voix nue” Pierre Bergounioux, par Elise Gruau, diffusé en février 2017 https://www.franceculture.fr/emissi...

* Lecture d’un extrait du roman Grace et dénuement d’Alice Ferney par Aliette Hovine

Références musicales La vaisselle - Anne Sylvestre (1981)

https://www.youtube.com/watch?v=7yh...

Ievan Polkaa - Loituma (2008)

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Annexe

On trouve une bibliographie complète de son œuvre dans l’article de Wikipédia qui lui est destiné Alice fermey. https://fr.wikipedia.org/wiki/Alice... ** HD


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