« Il faut un plan et une loi sur l’insécurité au travail » – Interview dans « L’Opinion »

jeudi 7 octobre 2021.
 

Le Premier ministre Jean Castex devait faire des annonces jeudi soir en réponse à la hausse des prix de l’énergie. Quel est votre sentiment sur la situation ?

C’est le signal d’un échec. On nous avait dit : la concurrence et la privatisation feront baisser les prix. C’est l’inverse : ils n’ont cessé d’augmenter. Les aléas dans le prix des matières premières sont loin d’être la seule explication. La rémunération des actionnaires revient à prélever un impôt privé sur les trois millions de foyers abonnés au gaz. Nous avons calculé que l’augmentation moyenne de la facture avait été de 500 euros dans les cinq dernières années. On peut rendre cette somme aux usagers en prenant seulement 10 % des bénéfices des fournisseurs. Ajoutez à cela la hausse des prix de l’alimentation, de l’électricité et la réforme à venir de l’indemnisation chômage : la misère va recruter large ! Il est donc temps de se préoccuper de l’insécurité sociale. Dix millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et huit millions nécessitent une aide alimentaire. Ces chiffres considérables appellent des mesures d’urgence : l’augmentation du smic mais aussi le blocage des prix des produits de première nécessité et l’instauration d’un coefficient multiplicateur limité dans la grande distribution pour garantir l’accès à l’alimentation, notamment en fruits et légumes.

Pourquoi la question du pouvoir d’achat a-t-elle tardé à s’inviter dans cette campagne présidentielle ?

Pendant qu’une partie du pays s’effondre dans la détresse sociale, le pays est invité à des diversions sur les religions et à fantasmer sur les violences physiques. Cela traduit une sorte d’indifférence à l’insécurité réelle. Pour 880 homicides par an, les morts du travail s’élèvent à 1 200. Rien que cette année, 733 personnes sont mortes sur leur poste de travail. Je ne comprends pas pourquoi ces milliers d’accidents du travail quotidiens passent sous les radars gouvernementaux. Toute une série de maladies professionnelles ne sont toujours pas recensées comme telles. C’est le cas du burn-out dont nous avons demandé la reconnaissance. J’accuse le régime macroniste d’aggraver la situation ! Il faut donc un plan et une loi sur la sécurité au travail. Il faut reconstituer les comités hygiène et sécurité qui ont été supprimés dans les entreprises et le compte pénibilité aujourd’hui réduit à néant ! Multiplions par deux le nombre des inspecteurs du travail et limitons le recours aux sous-traitants qui invisibilisent une partie de cette mortalité. De même, nous demandons l’inscription de tous les produits cancérigènes pointés par le Centre international de recherche sur le cancer dans les facteurs de maladies professionnelles. C’est vrai aussi pour les pesticides.

Quel bilan faites-vous du débat qui vous a opposé à Eric Zemmour la semaine dernière ?

Ceux qui en ont discuté l’intérêt ne voyaient pas à quel point leur posture était totalement hors sol. Ils n’ont pas compris combien la dignité des millions de gens a été offensée par Eric Zemmour sans qu’il n’y ait jamais eu de réplique. Ce débat a d’abord fait vivre dans la lumière une circulation inouïe d’affects et d’idées très liés. Le racisme et l’antiracisme sont des affects en même temps que des idées. Et comme ils sont les deux à la fois, on voit que cette confrontation a électrisé les gens qui s’intéressent à la vie collective. La campagne présidentielle a vraiment commencé par ce débat. Il faut d’abord en mesurer l’importance : il a rassemblé en moyenne 3,8 millions de personnes et 9 millions y sont passés. Cet événement donnera le ton de cette campagne : autant que les commentateurs le comprennent à temps.

En particulier vos concurrents à gauche pour la présidentielle ?

J’ai en effet subi, comme d’habitude, tous les tireurs dans le dos de la gauche traditionnelle. Ils ont oublié combien leur attitude revenait à couvrir Eric Zemmour en concentrant leurs tirs sur moi plutôt que sur lui. Mais surtout, ils devraient réaliser le décalage entre leurs ratiocinations et ce qui s’est passé ce soir-là. Une fois de plus, ils sont passés à côté d’une double et ample mobilisation populaire : certes celle des amis d’Eric Zemmour, mais surtout celle des antiracistes. Le piège a enfin fonctionné de toutes les manières possibles. D’abord pour lui : obligé d’entrer sur l’écologie et le social, tout le monde a vu qu’il n’avait pas une idée. Il s’est contenté d’ânonner des poncifs. Même sur ce qui était censé être ses sujets comme la « re-migration » ou le refus du droit à l’avortement, il n’a pas assumé !

Que change pour vous l’officialisation de la candidature d’Anne Hidalgo ?

Je suis en campagne depuis bientôt un an et je pense qu’on comprend maintenant mieux pourquoi. Ne serait-ce que pour nous tenir en dehors des faux suspenses pendant des mois de l’ancienne gauche. J’ai pu avancer au calme la stratégie que j’ai appelée « l’union populaire ». Elle est possible sur un certain nombre d’idées : ils sont à la fois dans notre programme et aussi très majoritaires dans l’opinion. Le soir du débat déjà, il s’est produit autour de moi une forme d’union populaire, des gens parfois éloignés de mes positions se sont identifiés à mon combat. Il faut tenir ce rôle-là. Je fais le pari que, de points en points, ça finira par faire une ligne dans l’esprit des gens. Mes concurrents vivent dans le passé, notamment les socialistes. Ils sont persuadés que leurs déboires électoraux depuis 2017 sont des malentendus. Ils continuent à se croire centraux et à exiger l’union derrière eux. Ils méconnaissent le seul enseignement juste jamais donné par François Hollande sur le sujet : « Ce n’est pas l’union qui fait la force, c’est la force qui fait l’union ».

Et celle de Yannick Jadot ?

Europe Ecologie-Les Verts vit de l’idée qu’ils sont l’écologie politique à eux seuls. Pourtant l’ensemble du champ politique s’exprime sur ces questions, y compris à droite. En réalité, ils sont aujourd’hui l’offre idéologique appétissante pour le centre gauche. La classe moyenne supérieure s’y reconnaît mieux que dans les socialistes. Anne Hidalgo est en quelque sorte le symptôme de la fin de règne d’une marque. Pour autant, EELV reste partagé comme ses catégories sociales. Elles hésitent entre deux positions : le camp néolibéral mâtiné de bons sentiments écologistes et le pôle populaire, radical dans ses exigences. Ma tâche est de rassembler celui-ci. Et mon avance dans les sondages montre que je peux le faire.


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