Faut-il s’inquiéter du ralentissement d’une partie du Gulf Stream ?

mardi 17 août 2021.
 

La circulation méridienne du retournement atlantique a atteint son niveau le plus faible depuis un millénaire, selon un article publié dans "Nature Geoscience".

Allons-nous vers un scénario digne du Jour d’après ? Dans ce film d’anticipation sorti en 2004, la circulation méridienne de retournement atlantique (Amoc), souvent appelée "Gulf Stream" de façon abusive, est à l’arrêt : l’Europe et l’Amérique du Nord vivent donc un nouvel âge de glace. Or, une étude scientifique parue dans la revue Nature Geoscience (PDF, en anglais) montre que ce courant a atteint son niveau le plus faible depuis un millénaire.

Stable jusqu’au XIXe siècle, la circulation méridienne de retournement atlantique "a connu un déclin rapide à partir des années 1960", écrivent les auteurs de l’étude dans Nature Geoscience. En cause : le réchauffement climatique. Ce dernier accélère la fonte de la calotte glaciaire du Groenland et cette eau douce, qui s’écoule dans l’océan Atlantique, perturbe le fonctionnement de l’Amoc, qui forme une boucle.

C’est ainsi que les eaux du golfe du Mexique migrent vers le nord. Ces eaux chaudes sont très salées car soumises à un fort phénomène d’évaporation. Elles voyagent en surface et se refroidissent en gagnant le nord. A cause de leur forte teneur en sel, elles sont plus lourdes que les eaux nordiques et plongent dans les profondeurs pour regagner le sud, raison pour laquelle ce processus est qualifié de "tapis roulant" océanique. Le problème, c’est que l’eau douce issue de la fonte de la calotte glaciaire réduit la salinité des eaux originaires du golfe du Mexique, déstabilisant ce mécanisme.

Des hivers plus rigoureux en Europe

Julie Deshayes, chercheuse du CNRS au laboratoire d’océanographie et du climat, précise que la circulation méridienne de retournement atlantique n’est en réalité qu’une petite partie (environ 10%) d’un vaste courant marin qu’est le Gulf Stream, nom trop souvent utilisé pour parler de la boucle décrite ci-dessus. Sauf que le Gulf Stream, étant lié à la rotation de la Terre, ne s’arrêtera jamais. Reste que l’étude parue dans Nature Geoscience amène à s’interroger sur les conséquences d’un ralentissement de l’Amoc d’ici la fin du XXIe siècle. Et celles-ci seraient nombreuses à l’échelle de la planète puisque les courants marins jouent un rôle important dans la régulation du climat.

Un affaiblissement encore plus prononcé de l’Amoc pourrait rendre les hivers plus rigoureux en Europe et en Amérique du Nord, affirme Didier Swingedouw, chercheur au CNRS et professeur à l’université de Bordeaux. Si les eaux chaudes qui remontent de la Floride vers l’Atlantique ralentissent, l’Europe ne bénéficiera plus de la douceur qu’elles apportent. La côte est des Etats-Unis et du Canada en serait elle aussi privée. Dans ces régions, les extrêmes saisonniers seraient plus marqués, mais cela se ferait surtout sentir en hiver avec des températures plus froides et davantage de tempêtes.

Une importante perturbation du courant de l’Atlantique nord détraquerait aussi l’ensemble du Gulf Stream et, par conséquence, le système climatique planétaire. Le niveau des eaux pourrait monter aux Etats-Unis, au Canada mais également en Europe, s’élevant parfois de "plusieurs dizaines de centimètres", d’après Didier Swingedouw.

Des sécheresses en Afrique

D’autres régions de la Terre seraient également touchées. Avec les éventuelles modifications de répartition de la chaleur au-dessus de l’océan Atlantique, le chercheur du CNRS remarque que les "moussons africaines", qui s’étendent de l’Afrique de l’Ouest jusqu’au Sahel, pourraient migrer plus au sud. Ce bouleversement affecterait durement les cultures à cause d’importantes sécheresses et constituerait, selon lui, "le désastre humain le plus important". Le spécialiste de la variabilité du climat mentionne aussi une incidence sur le transport de nutriments et de phytoplanctons à travers l’océan Atlantique. La conséquence, prévient-il, serait une perturbation des écosystèmes marins et une baisse de production de tous les produits de la mer.

Didier Swingedouw évoque encore un problème lié à la "séquestration du dioxyde de carbone", un des principaux responsables de l’effet de serre. En effet, une partie du CO2 de la planète est capté par les océans au niveau de l’interface air-mer au cours d’échanges gazeux. L’Amoc, en plongeant ensuite en profondeur, stocke le dioxyde de carbone ainsi capté dans des eaux très profondes. On parle de la "ventilation" des océans.

Mais un ralentissement du courant atlantique affaiblirait ce phénomène, engendrant une cascade d’événements : une baisse de l’absorption du CO2, et donc une hausse de la concentration de ce gaz dans l’atmosphère, puis une accélération de la montée de la température sur Terre et une hausse de la température des océans. L’ensemble participerait à une accélération du changement climatique.

Un courant "subtil" et "imprévisible"

Mais avant de s’imaginer dans ces projections, Didier Swingedouw relève qu’il est particulièrement difficile de prévoir l’évolution de l’Amoc, décrivant une "circulation subtile, non-linéaire, imprévisible". Actuellement, les modèles prédisent déjà son ralentissement d’ici la fin du siècle, dans une fourchette large, entre moins entre 30% et moins 80%, précise-t-il.

En outre, les conclusions de l’étude parue dans Nature Geoscience ne correspondent pas avec les observations directes de l’Amoc, réalisées depuis 2004. Celles-ci montrent qu’il est relativement stable et "ne diminue pas", note Julie Deshayes. "On ne comprend pas bien pourquoi mais c’est précisément mon travail de chercheur de comprendre où se cache le paradoxe, quels sont les autres lois physiques qui s’expriment", explique-t-elle.

Le climat se réchauffe de toute façon

Surtout, selon Julie Deshayes, le changement climatique "est là dans tous les cas", que l’Amoc faiblisse ou non. "L’impact de l’homme sur le climat est tel que, de toute façon, celui-ci se réchauffe", insiste la spécialiste.

"La grosse tendance que l’on voit dans les 20 prochaines années, voire dans les 50, les 100 prochaines années, sans équivoque, c’est le réchauffement." Julie Deshayes, chercheuse au CNRS

à franceinfo

"Dans certains modèles, nous avons une circulation de l’Amoc qui s’effondre très vite. Mais cela ne change pas grand chose au réchauffement climatique", poursuit-elle. La chercheuse concède qu’un affaiblissement du courant aurait "une petite modulation sur la vitesse du réchauffement global", le ralentissant très légèrement. Mais, selon elle, "c’est secondaire par rapport à l’amplitude du réchauffement global et la mobilisation que l’on devrait tous avoir pour lutter contre ce réchauffement, ou commencer à s’adapter".


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