Mille et une façons de périr

vendredi 13 août 2021.
 

À chaque époque ses mythologies de l’apocalypse. Le pessimisme écologique et politique de la nôtre nourrit une abondance d’oeuvres dont la représentation du futur traduit les peurs du présent.

Il est plus facile, dit-on, d’imaginer la fin du monde que d’imaginer la fin du capitalisme. L’abondance du « collapse porn », qui véhicule toujours les mêmes images de colonnes de fumées noires, d’ours faméliques et de banquise fondue, atteste de la fascination qu’exerce sur nous l’apocalypse. De nombreuses œuvres de science-fiction se plaisent à figurer, si ce n’est la disparition totale de la planète, au moins l’effondrement de la civilisation industrielle telle qu’on la connaît, et la transformation radicale des modes de vie qui s’ensuit pour les survivants.

Reflétant les préoccupations de notre époque, plusieurs séries dystopiques connaissent un grand succès, comme The Leftovers, qui met en scène un monde dans lequel 2% de la population disparaît subitement, sans explication. Ou encore La Servante écarlate, la mini-série adaptée du roman de Margaret Atwood qui raconte comment les États-Unis ont mué en régime théocratique totalitaire et réduit les rares femmes encore fertiles à l’état d’esclaves pour familles riches en mal d’enfants.

Si la catastrophe nous semble de plus en plus proche et probable, nous ne sommes pas les premiers à la projeter dans nos productions littéraires et philosophiques. Dès le Ve siècle av. J.-C., Platon inventait, dans deux de ses dialogues – le Timée et le Critias –, le mythe de l’Atlantide, qui inspirera de nombreuses œuvres, parmi lesquelles Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne. La destruction brutale de cette cité sous l’effet combiné de mouvements telluriques et d’un raz de marée devait nous rappeler à quel point nos civilisations restent fragiles malgré leur puissance apparente. Et quoique les causes fussent naturelles, Platon précisait bien qu’il s’agissait d’un châtiment mérité par une civilisation ayant péché par orgueil. Comme le rappelle Alain Musset dans Le Syndrome de Babylone, géofictions de l’apocalypse (Armand Colin, 2012), ce thème de la culpabilité humaine restera fondamental dans la plupart des récits de cataclysmes.

Convulsions terrestres

Le théâtre de ce désastre moral sera souvent le même : la ville, lieu de toutes les corruptions et de toutes les injustices, coupé de la nature et donc de Dieu. Après les villes bibliques de Babel, Sodome, Gomorrhe, Jérusalem ou Babylone, Paris, New York, Las Vegas et Los Angeles sont les cibles des films d’anticipation contemporains, qui continuent de trouver dans l’Ancien et le Nouveau Testament leur plus grande source d’inspiration, où figurent déjà toutes les options mortelles. Un film comme Waterworld, qui donnait en 1995 un aperçu saisissant d’une Terre totalement recouverte à la suite du réchauffement climatique et de la fonte des glaces, n’est pas sans rappeler le Déluge, qui provoque la fin de la première humanité dans la Genèse. Mais c’est surtout l’Apocalypse selon saint Jean qui offre la plus grande variété de calamités fatales : on y meurt frappé par une météorite, comme plus tard dans Melancholia de Lars Von Trier, ou encore enseveli par de terribles tremblements de terre.

Les convulsions de l’écorce terrestre inspireront de nombreux films à la fin des années 1990 et au début des années 2000, sans doute en raison de la série de séismes qui frappent l’opinion publique, que ce soit à Mexico, à Kobé, à Sumatra, au Sichuan ou à Fukushima. Dans son film 2012, Roland Emmerich met en scène le glissement des plaques tectoniques qui donnera raison à la prophétie maya, à grand renfort d’effets spéciaux spectaculaires permettant d’assister à l’engloutissement de la côte californienne dans les eaux du Pacifique. Last but not least, l’Apocalypse prévoit aussi la mort par épidémie. Une piste biologique qu’exploreront avec avidité de nombreux auteurs, souvent en y ajoutant un nouvel élément : la responsabilité humaine. L’expérimentation en laboratoire qui tourne mal, une guerre bactériologique qui dégénère… Dans Je suis une légende, c’est une tentative de vaccin contre le cancer qui transforme les victimes en monstres sanguinaires.

Chroniques de l’autodestruction

Que l’homme puisse être bourreau de lui-même, l’invention de la bombe nucléaire le confirma définitivement. Après la deuxième guerre mondiale et Hiroshima, on assiste ainsi à l’essor d’une science-fiction apocalyptique qui n’a plus besoin de recourir aux catastrophes naturelles, l’homme devenant techniquement capable de se détruire tout seul. Cependant, à partir des années 1960-1970, avec la lente prise de conscience écologique, et notamment la Conférence de Stockholm en 1972, la destruction de l’environnement supplante l’anéantissement atomique comme principale menace d’autodestruction. Si le spectre du réchauffement climatique a pu inciter un réalisateur comme Cédric Klapisch à concevoir un Paris complètement ensablé en 2070 dans son film Peut-être, Roland Emmerich imagine plutôt dans Le Jour d’après un retour à l’ère glaciaire.

Émerge ainsi une science-fiction plus politique, critiquant la nocivité des sociétés industrielles capitalistes, la consommation de masse et le gaspillage caractéristiques d’un American Way of Life qui épuise les ressources naturelles et multiplie les déchets toxiques. Le classique de 1966 de Harry Harrison Soleil vert imagine la terre en 1999. Exsangue, elle est devenue incapable de nourrir ses trop nombreux habitants. À New York, trente-cinq millions d’habitants s’entassent où ils peuvent tandis que les plus fortunés se barricadent dans des résidences climatisées et sécurisées. Ce n’est plus l’instant t de la catastrophe qui intéresse, mais la période postapocalyptique qui suit, et qui peut durer longtemps… Le film d’animation Wall-E s’ouvre sur une Terre désertée depuis sept cents ans, où ne subsistent que des montagnes d’ordures, vestiges d’une société d’hyperconsommation. Réfugiés sur des vaisseaux spatiaux pendant que des robots tentent de nettoyer le globe, les hommes parviendront finalement à revenir sur terre, après des siècles d’exil. Il y a toujours des raisons d’espérer, du moins dans le monde de Pixar.

Laura Raim


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