Cessons de plaindre les électrices et électeurs du Rassemblement national

vendredi 6 août 2021.
 

On aime croire que les électeurs du RN sont les Françaises et les Français les plus à plaindre, mais ce ne sont pas des incapables, perdus dans leur déshérence. Ils et elles sont des citoyens et citoyennes en pleine possession de leurs moyens qui ont fait un choix : celui d’une France xénophobe fermée sur elle-même. Il ne faut pas les prendre en pitié, mais les placer face à leurs responsabilités.

« Je suis de plus en plus choqué d’entendre décrire comme des gens d’extrême droite, comme des nationalistes – mot qui suppose une certaine agressivité avec connotation militaire, des gens ordinaires, paisibles qui réclament simplement ce qu’ils sont : Français en France, Italiens en Italie ou Britanniques en Grande-Bretagne. Il y a une hystérisation du vocabulaire qui est choquante et qui traduit un mépris. » C’est le démographe Emmanuel Todd qui s’indigne ainsi, dans l’émission « C Politique » sur France 5, de l’injustice du traitement fait aux électrices et électeurs qui soutiennent les partis classés à l’extrême droite.

Pourquoi ne pas les qualifier ainsi, puisque les idées qui portent ces partis sont celles de l’extrême droite, et comportent des ingrédients nationalistes ? Que signifie le fait de défendre le fait d’être « Français en France », dans un pays où notre identité n’est menacée que par les fantasmes de « grand remplacement » ? Accréditer l’idée selon laquelle les Européennes et Européens ne seraient plus autorisé(e)s à être elles et eux-mêmes dans leur propre pays est irresponsable car cette idée est fausse et anxiogène.

Depuis quelques années, l’ex-Front national, désormais Rassemblement national, refuse le qualificatif d’extrême droite, et l’on entend de plus en plus de commentaires incitant à ne pas accabler ses électeurs. Déjà, sous Sarkozy, la droite parlait d’un « vote de crise » tandis que la gauche de Hollande plaignait une « France paumée ». Comme si les résultats spectaculaires du camp de Marine Le Pen étaient le fruit d’un égarement collectif momentané. Un déni français

Les chiffres montrent pourtant qu’il s’agit d’une réalité parfaitement ancrée dans le paysage politique. Le Front national réalise aujourd’hui son score le plus important aux élections européennes (en nombre d’électeurs), et il est confortablement installé dans le paysage politique depuis trois décennies. En 1988, il réunissait déjà 14% des voix et en 2002, l’année du tristement fameux « 21 avril », l’extrême droite affichait comme aujourd’hui 18% des suffrages en comptant ceux de Bruno Mégret. De nos jours, il est devenu parfaitement normal de voir le Rassemblement national se hisser à la deuxième voire à la première place.

Depuis 2014, la France est le pays qui envoie le plus grand nombre de députés d’extrême droite au Parlement européen. Cela traduit à l’évidence une forte adhésion, dans notre pays, à des partis qui font de l’identité et du rejet de l’immigration le cœur de leur message. Et pourtant, la France ne se perçoit pas comme elle est, c’est-à-dire un pays dont les citoyens sont particulièrement sensibles aux idées de l’extrême droite. Au contraire, on entend très souvent la volonté de déresponsabiliser les électeurs de celle-ci, comme si ce résultat n’était que la manifestation passagère de la colère de citoyens en souffrance.

Depuis bien longtemps, les idées développées par ces partis nationalistes ont largement imprégné les discours politiques de la droite. L’ancien président Nicolas Sarkozy n’avait d’ailleurs jamais caché l’inspiration qu’il trouvait auprès du leader frontiste : « Si Jean-Marie Le Pen dit : "Le soleil est jaune", devrais-je dire qu’il est bleu ? », interrogeait-il déjà pendant la campagne présidentielle de 2007. Et c’est en surfant sur les thématiques relatives à « l’identité nationale » – terrain préalablement préparé par ses prises de position de ministre de l’Intérieur « nettoyant au Kärcher » la banlieue et sa « racaille » – qu’il a été élu. Soutien assumé

Malgré l’alternance, la gauche n’a pas été en reste, qu’il s’agisse de laisser entendre, comme Manuel Valls, que les Roms n’ont rien à faire en France, ou de la gestion calamiteuse de la crise migratoire de 2015 – au cours de laquelle François Hollande a cru bon de rappeler l’urgence de la « protection de nos frontières » et d’une posture de « fermeté », alors que des milliers de migrantes et migrants étaient en danger de mort.

Durant la campagne pour les élections européennes, c’est Nathalie Loiseau, tête de liste LREM, qui déclarait sur BFM : « Sur la question des frontières, l’Europe doit se faire respecter. Personne ne doit entrer en Europe s’il n’y est pas invité ». En précisant qu’elle visait l’immigration économique, comme si fuir la misère et la précarité matérielle était moins acceptable que fuir d’autres dangers… Si les idées de l’extrême droite connaissent une telle popularité, c’est parce que l’opinion a longuement été préparée pour y devenir perméable. Et surtout parce qu’elle assume aujourd’hui son soutien à un parti dont l’idéologie n’est un secret pour personne.

On aime croire que les électeurs du Rassemblement national sont les Françaises et les Français les plus à plaindre, mais ce n’est pas parmi les chômeurs ni dans les villes dont les habitants sont les plus pauvres que l’on retrouve le plus grand pourcentage de ses partisans. Les supporters du RN ne sont pas des incapables, perdus dans leur déshérence. Ils et elles sont des citoyens et citoyennes en pleine possession de leurs moyens qui ont fait un choix : celui d’une France xénophobe fermée sur elle-même. Il ne faut pas les prendre en pitié, mais les placer face à leurs responsabilités.

Le Rassemblement national n’est pas un parti marginal ni un accident de l’histoire, c’est une des formations politiques françaises les plus puissantes. Y adhérer, c’est a minima considérer que la xénophobie n’est pas un problème..

Rokhaya Diallo


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message