Covid-19 (France) – Pass sanitaire : pour les salariés, la nouvelle loi réserve de mauvaises surprises

samedi 7 août 2021.
 

Le texte qui a entériné l’extension du pass sanitaire a remplacé le motif de licenciement par une suspension de salaire. Bonne nouvelle ? Pas vraiment à en croire les juristes.

CORONAVIRUS - Le Parlement a adopté dans la nuit de ce lundi 26 juillet le nouveau projet de loi sur l’extension du pass sanitaire dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 en France. Dans les prochaines semaines, il sera indispensable pour profiter des cafés, restaurants, foires et salons professionnels, avions, trains, cars longs trajets et aux établissements médicaux sauf en cas d’urgence. Mais il sera aussi nécessaire pour les salariés de ces lieux, ce qui ne va pas sans créer quelques incertitudes pour eux.

La version finale du texte est revenue sur l’article qui prévoyait qu’un employeur puisse lancer une procédure de licenciement envers un salarié qui n’est toujours pas en mesure de présenter de pass sanitaire au bout de deux mois, ou une preuve de vaccination pour les soignants. Voici ce que précise finalement le texte qui doit encore passer par le Conseil constitutionnel.

Au 30 août, les salariés devront être en mesure de présenter un pass sanitaire à leur employeur. C’est à-dire soit la preuve d’un schéma vaccinal complet à J+7, un test PCR ou antigénique négatif de moins de 48 heures ou un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par le Covid-19. Si tel ne devait pas être le cas, le salarié peut en accord avec son responsable poser des jours, le temps de présenter un pass. Dans le cas contraire, son contrat de travail et sa rémunération sont suspendus jusqu’à ce qu’il soit en mesure de présenter un pass sanitaire.

Cette situation de suspension peut-elle durer jusqu’au 15 novembre date à laquelle un nouveau vote devra avoir lieu pour prolonger l’application du pass sanitaire ? “C’est le vide juridique, un no man’s land sans protection économique pour le salarié et sans protection juridique pour les entreprises”, dénonce François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), contacté par Le HuffPost. Illustration des incertitudes créées par cette absence de limite de temps : “Un restaurateur qui perd son chef de salle sans savoir quand il reviendra, va se retrouver dans une situation impossible pour le remplacer”, reprend-il.

“Un recul” pour Élisabeth Borne

Le gouvernement lui-même a alerté dès ce lundi matin sur les risques causés par ce texte né d’un compromis entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire (CMP). Auprès de BFMTV, le ministère du Travail a jugé que ce texte serait finalement moins protecteur pour les salariés, dans le sens où un licenciement ouvre des droits au chômage, contrairement à la démission.

Par téléphone la ministre Élisabeth Borne a même évoqué “un recul”. Le Sénat s’est défendu de son côté auprès de la journaliste de BFMTV, Anne-Saurat Dubois, en évoquant un “progrès” par rapport à la première mouture.

L’avocate en droit du Travail, Michèle Bauer livre une autre raison qui a poussé le Sénat à prendre cette disposition : selon elle, il s’agit d’éviter aux entreprises de verser d’importantes indemnités à des salariés ayant le plus d’ancienneté.

Ils pensent satisfaire les entreprises, parce qu’un licenciement qui sera pour CRS peut coûter cher si le salarié bénéficie d’une grande ancienneté. En ne laissant que la sanction de la suspension sans rémunération, cette disposition ne coûterait rien à l’employeur

De fait une situation de suspension de contrat et de suspension de salaire, sans possibilité de travailler ailleurs à moins de démissionner, ressemble fortement à une mise à pied, souligne l’avocat spécialisé en droit du travail, Éric Rocheblave, contacté par Le HuffPost.

Selon le spécialiste, le nouveau texte a simplement supprimé un garde-fou. “La commission mixte paritaire a fait le choix de supprimer l’absence de pass sanitaire comme motif automatique de licenciement. Mais en parallèle, elle n’a pas non plus prévu dans le texte l’interdiction des licenciements pour ce motif. Concrètement, elle a fait sauter le garde-fou des deux mois”, estime le juriste.

Interrogée par Capital, la juriste Delphine Robinet abonde en partie : “Un employeur pourrait être tenté de considérer le salarié comme inapte, et donc de le licencier pour pouvoir le remplacer plus facilement. Sauf que la possibilité de licencier n’est plus inscrite dans le projet de loi. Cela crée donc une incertitude juridique”. Un flou qui fait notamment dire à François Asselin que seules les entreprises “dotées d’un solide service RH pourront se saisir de ce type de licenciements. Il faudrait sécuriser ou encadrer une prise d’action pour protéger le salarié et l’employeur”.

Rupture d’égalité entre CDD et CDI

Étrange également, le texte issu de la CMP a fait sauter le “licenciement automatique” au bout de deux mois pour les CDI mais l’a conservé pour les contrats courts. L’article 1 du texte adopté stipule ainsi qu’un contrat à durée déterminé (CDD) peut être “rompu avant l’échéance du terme, à l’initiative de l’employeur” par dérogation à l’article L1243-1l du Code du travail. Ce dernier stipule qu’un CDD de ne peut être interrompu “qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail”.

Faut-il comprendre qu’une dérogation est possible seulement pour certains types de contrat ? Pour Éric Rocheblave, il s’agit “d’une rupture d’égalité” assortie “d’une double peine en plus de la précarité. François Asselin s’interroge aussi de son côté : “Je n’ai pas bien compris cette différence”.

Force est de constater que les points d’interrogations se multiplient également sur la question du reclassement. Trois jours après la suspension du contrat de travail, l’employeur devra convoquer le salarié pour un entretien ”afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d’affectation, le cas échéant temporaire, sur un autre poste non soumis à cette obligation”.

“De quoi vont parler l’employeur et son salarié ? De tests et de vaccins. La loi institue une discussion entre l’employeur et le salarié sur la santé de ce dernier qui relève du privé ? Pour la première fois dans le Code du travail un salarié devra porter à la connaissance de son employeur un élément de santé privé”, s’alarme Éric Rocheblave pointant du doigt le manque d’implication de la médecine du travail dans l’ensemble de la procédure. Elle seule peut déclarer un salarié “apte ou inapte” au travail.

“Des secrets de polichinelle”

Un appel au respect de la vie privée que le président de la CPME juge de son côté un peu hypocrite dans la mesure où l’employeur a aussi l’obligation d’assurer la sécurité de tous au travail, et “où dans une entreprise ceux qui se sont fait vacciner n’hésitent pas à le dire et ceux qui sont contre également. Ce sont des secrets de polichinelle”, estime-t-il se montrant plus circonspect quant aux possibilités de reclassement d’un salarié. Sur ce point encore, François Asselin estime qu’il expose les entreprises à une insécurité juridique et à des situations “tendancieuses” qui devront in fine être tranchées par un juge.

Eric Rocheblave lui donne raison mais s’interroge surtout sur des formulations de la loi. “Au début, le texte de loi évoque simplement des activités, alors que sur l’entretien il évoque des ‘postes’. Cela veut dire que tous les salariés d’une entreprise de loisirs ou de restauration n’auront pas à présenter un pass sanitaire suivant qu’ils sont dans les bureaux ou face aux clients ?” questionne-t-il. Cela nécessite par ailleurs que l’entreprise soit suffisamment grande pour proposer autre chose à son salarié.

Pour le moment l’ensemble de ces dispositions restent soumise à l’approbation du Conseil constitutionnel, qui a enregistré plusieurs saisines sur ce texte. Il devrait se prononcer le 5 août prochain. De quoi laisser du temps pour préparer également les décrets d’application qui devraient répondre à certaines interrogations soulevées par les juristes et les spécialistes.

Lucie Oriol  :


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