Le fiasco judiciaire de l’affaire Mannechez, ou le mythe de « l’inceste heureux »

vendredi 16 juillet 2021.
 

Dans « Ce n’était pas de l’amour », Betty Mannechez raconte les années de viols incestueux dont elle et sa sœur furent victimes. Et accuse la justice de n’avoir pas voulu voir le mécanisme d’emprise.

C’est l’histoire d’un inceste et d’une justice aveugle. Celle d’une femme assassinée par son père et d’un fils orphelin. Celle de Betty Mannechez, sœur et victime, femme brisée à jamais. Betty, 37 ans, avait une grande sœur, Virginie. À la maison, les violences physiques et l’ « ambiance sectaire » commencent dès l’enfance.

À la puberté, les parents violent presque quotidiennement leurs deux filles. Betty subira trois interruptions volontaires de grossesse (IVG) pendant l’adolescence, sans que les médecins et psychologues ne s’en inquiètent. Puis elle prendra la fuite, avant de porter plainte en 2002. Son livre, Ce n’était pas de l’amour (City éditions), paru en mars 2021 et co-écrit avec Julien Mignot, retrace les violences qu’elle a subies, le combat pour en sortir, les années de fiasco judiciaire, un traitement médiatique accablant et un double homicide en guise de terrible conclusion.

« Les avocats nous ont convaincu d’affirmer que nous étions demandeuses de relations sexuelles avec notre père »

La plainte de Betty contre ses parents aboutit à un premier procès aux assises en 2011, soit 9 ans après qu’elle a été déposée. Et c’est le père, défendu par Maître Hubert Delarue, qui choisit l’avocat de ses filles, explique l’autrice. Ce sera Éric Dupond-Moretti, qui ne prendra en charge la défense de Betty et Virginie que 8 mois avant le début du procès. Les sœurs, encore manipulées par leur père, acceptent de dire ce qu’il a besoin d’entendre pour sa défense : elles étaient consentantes et n’ont jamais été violées. « Les avocats nous ont convaincues d’affirmer que nous étions amoureuses de notre père et demandeuses de relations sexuelles avec lui », affirme aujourd’hui Betty Mannechez. Et il est aisé de persuader des victimes d’inceste d’adopter ce discours, constate-t-elle : « On est prisonnier tout le temps. On est bloqué par la terreur, mais on est aussi bloqué par un amour d’enfant. » D’autant que les plaignantes sont très impressionnées par leur avocat, véritable figure médiatique [aujourd’hui garde des Sceaux et ministre de la Justice, NDLR]. Dans la salle d’audience, Eric Dupond-Moretti en profite même pour dédicacer son livre Directs du droit à Virginie, qui réagit alors « comme une petite fille, une fan ».

C’est là qu’un deuxième enfer commence. Betty Mannechez revient sur cette maltraitance psychologique qui leur a également porté préjudice sur le plan judiciaire. « Pendant trois jours, quand on entend des filles dire leur amour pour leurs parents sans comprendre que c’est de l’emprise – parce que l’emprise n’a jamais été au cœur de ce dossier –, c’est perdu d’avance. » Un mécanisme que ne semble en effet pas avoir compris Maître Hubert Delarue, contacté par Le Média : « Depuis octobre 2002, Betty Mannechez n’a jamais varié dans ses dépositions en procédure et lors des deux audiences criminelles consistant à défendre son père bec et ongles. »

Et la stratégie fonctionne : le père incestueux écope de 8 ans d’emprisonnement sans mandat de dépôt, une décision rare. « Quand on annonce la peine à mon père, les avocats se réjouissent. Car ça ne s’est jamais vu dans la justice française, une condamnation pour des faits de viol sans mandat de dépôt. C’était dit d’un ton… Genre “on passe un cap”. J’étais juste à côté. »

« Il n’y a plus de crime parce qu’on a réécrit une histoire »

Les avocats ont tout de même une crainte : que l’appel se déroule à Laon, car « là-bas, c’est une femme qui est présidente et elle n’aime pas les violeurs d’enfants », se souvient Betty Mannechez. Le procès en appel a finalement lieu à la cour d’assises de la Somme, en 2012. Là, pour la première fois, un expert-psychiatre évoque un possible « inceste heureux ». « La plaidoirie va être courte : qu’est-ce qu’on peut répondre à ça ? Quand on nous a entendues pleurer d’amour pour notre père, que l’expert-psychiatre a dit qu’il y a des incestes heureux, alors il n’y a plus de crime ! Il n’y a plus de crime parce qu’on a réécrit une histoire », analyse aujourd’hui Betty Mannechez. Le père est condamné à 5 ans de prison dont 3 avec sursis, la mère à 4 ans de prison dont 2 avec sursis.

Les parents incestueux ne resteront que 2 ans derrière les barreaux. À sa sortie, le père retourne aussitôt vivre avec Virginie, avec qui il a eu un enfant. La mère, Laurence, s’installe dans le même immeuble. Et le « système sectaire » se met de nouveau en place. Denis pourra même récupérer ses fusils, explique Betty. Quelques années plus tard, pour protéger son fils, Virginie décide finalement de partir. Elle porte plainte à la gendarmerie, sans conséquences. Une assistante sociale fait un signalement au procureur de la République, mais Denis reste en liberté. Le 7 octobre 2014, il retrouvera sa fille dans le garage où elle travaille, avec son employeur. Il les fusille tous les deux sous les yeux du fils qu’il a eu avec Virginie, âgé de 12 ans, avant de se tirer une balle dans le crâne. Il survivra, hémiplégique et muet. Lors de son ultime procès en 2018, il sera condamné à la perpétuité, mais décédera d’un arrêt cardiaque deux jours après le verdict.


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