Génocide des Tutsis (1994) : Macron admet les « responsabilités » de la France, mais ne présente pas d’excuses

mercredi 2 juin 2021.
 

En visite au Rwanda, le président français s’est adressé, jeudi 27 mai, aux rescapés du génocide des Tutsis. Un discours important, destiné à « normaliser » les relations entre les deux pays. Mais le président s’est refusé à demander pardon.

Seule sur sa chaise, face au pupitre où le président français va s’exprimer, une femme attend, très droite, le regard fixe. Autour d’elle, officiels, services de sécurité et journalistes s’animent, s’apostrophent et règlent les derniers détails techniques avant l’arrivée d’Emmanuel Macron. À quelques mètres en contrebas, la « flamme du souvenir » du mémorial de Gisozi est allumée.

Valérie Mukabayire, elle, ne bouge pas. Elle préside une association représentant les veuves du génocide des Tutsis. On s’excuse de la déranger. « Ce n’est pas un moment ordinaire », convient-elle. Sans effusions, dans un sourire retenu, elle se réjouit qu’un président français vienne visiter ce mémorial, où reposent les corps de 250 000 victimes. Pour le reste, conclut-elle, « je suis là devant lui, et j’attends ».

Quand finalement le président français s’avance, Valérie Mukabayire lève les yeux. « Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter », articule Emmanuel Macron. Les autres représentants des associations de rescapés présents comprennent que les premiers mots présidentiels leur sont destinés. « Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter », « ijoro ribara uwariraye », en kinyarwanda – des mots souvent utilisés pour décrire la difficulté à parler du dernier génocide du vingtième siècle pour ceux qui y ont survécu.

Des échos parviennent de la ville, plus bas. Quelques motos vrombissent. Un coq chante. Le chef de l’État poursuit. Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent raconter « la course éperdue des victimes, la fuite dans la forêt ou dans les marais », « la traque implacable qui reprenait chaque matin », « l’insoutenable euphorie des chants de rassemblement de ceux qui tuaient », rappelle-t-il.

Emmanuel Macron a, de toute évidence, pris le temps de comprendre. De lire les travaux d’historiens, de romanciers, français et rwandais, à propos du génocide des Tutsis. Quelques instants plus tôt, le député breton d’origine rwandaise Hervé Berville, qui fait partie du voyage, disait avoir eu au téléphone l’historienne Hélène Dumas pour vérifier avec elle la signification de plusieurs mots en kinyarwanda. Lors des préparatifs du voyage, l’équipe élyséenne avait fait savoir que le président s’était « imprégné » des livres de Scholastique Mukasonga et Annick Kayitesi.

Jamais, sans doute, un président français n’a décrit aussi précisément les mécaniques génocidaires. Rarement non plus un président français n’aura admis aussi explicitement les responsabilités françaises dans le génocide des Tutsis. Si elle n’a « pas été complice » du génocide selon lui, la France porte néanmoins « une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire » et doit reconnaître « la part de souffrance [infligée] au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de la vérité ».

Et pourtant : Emmanuel Macron, d’un coup, s’arrête en chemin. Il sait que les associations de rescapés ainsi que de nombreux Rwandais espèrent des excuses ou une demande de pardon, au nom de la France. Lui-même a laissé entendre que le moment serait historique. Pourtant, il ne les prononce pas. Ou plutôt, il parle de pardon sans le demander : « Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don alors de nous pardonner », déclare-t-il.

Quelques heures plus tard, il précisera en présence de Paul Kagame : « J’entends que les associations [de rescapés] auraient souhaité que je demande plus directement des excuses ou un pardon. Je pense que les excuses ne sont pas le terme approprié […] [Et] un pardon, ce n’est pas moi qui peux le donner. […] Un pardon ne s’exige pas – qui serais-je pour le faire ? » Personne, pourtant, ne l’a « exigé » ce pardon. Pour que les Rwandaises et les Rwandais acceptent de l’accorder – ou non –, il aurait fallu le demander. Pour des raisons qui lui appartiennent, et qui se trouvent sans doute davantage à Paris qu’à Kigali, Emmanuel Macron a choisi de ne pas le faire.

Au mémorial, le discours se termine. Est-il décent d’applaudir lorsque l’on se trouve au-dessus de fosses communes rassemblant les corps de 250 000 personnes ? L’assistance hésite, puis ose quelques clap clap timides. Emmanuel Macron descend de son pupitre, adresse une longue accolade à la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), la Rwandaise Louise Mushikiwabo, puis se dirige vers Valérie Mukabayire.

La présidente de l’association des veuves du génocide est toujours là, drapée dans un long tissu noir et blanc. Le président français lui adresse la parole, d’abord de loin, puis s’approche. Longuement, il lui parle à l’oreille en lui tenant le bras.

Il finit par repartir d’un pas lent. La délégation plie bagage. Valérie Mukabayire attrape son petit sac à main en cuir noir et se lève enfin. Ce qu’ils se sont dit ? « Je crois que c’était entre nous. » À la nuée de journalistes français qui l’assaille bientôt, elle répète : « C’est positif. C’est une bonne chose que nous ayons de nouveau de bonnes relations avec la France. » Si elle est prête à pardonner à un pays qui ne lui a pas demandé pardon ? « Vous savez, nous avons bien pardonné à nos bourreaux… »

Le chef de l’État français est déjà loin. Comme son homologue rwandais, il est venu pour tourner la page, « achever la normalisation des relations » entre France et Rwanda, comme aiment à le répéter ses conseillers. Signatures de partenariats avec l’Agence française de développement, visite d’un centre de vaccination, échange avec des étudiants, match de basket-ball.

La vie reprend.

Quelques heures à Gisozi pour tourner vingt-sept ans d’histoire, était-ce suffisant ? Les Rwandais ont la politesse de l’accepter. « Personnellement, je pense qu’après avoir parlé de génocide, il ne faudrait parler de plus rien d’autre », avance Immaculée Ingabire, militante féministe et présidente de Transparency Rwanda. « Mais les chefs d’État ont leurs contingences… »

« C’est un pas. Cela ne va pas se terminer aujourd’hui », veut croire Valérie Mukabayire.

Justine Brabant


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